
Medinat Abou, Les Philistins
LES PHILISTINS
La « Palestine » Questions à propos d'un nom
La création récente d'un État palestinien nous invite à nous interroger sur l'origine de cette dénomination:
d'où vient ce nom de Palestine?
Le fruit d'une transformation
La forme actuelle du nom résulte de transformations, à travers les siècles, du mot hébreu Pelishtîm, que nous transcrivons Philistins. C'est ainsi que les Israélites nommaient une bande de guerriers que les Égyptiens appelaient Pereset, et les Assyriens, Palastu. L'ancien historien grec, Hérodote (Ve siècle av. J.-C.), nous parle de Palaistinè (Palestine), contrée située entre la Phénicie (Liban) et l'Égypte. L'empereur Hadrien, au début du IIe siècle ap. J.-C., à la suite de sa conquête du Proche-Orient, crée en cette région la Provincia Palestina, désignée du seul nom de Palestina à partir du IVe siècle de notre ère jusqu'à nos jours. Nul ne peut douter de l'origine exacte de ce nom: il fait directement référence aux Philistins, mais sous la forme assyrienne répandue par les Grecs.
Au début, la seule région visée par ce vocable, soit le « Pays des Philistins », ne dépassait guère la bande de terre très fertile qui s'étend de la région de Gaza jusqu'à la hauteur de Yafo (Tel Aviv); cinq villes figurent comme des centres de grande importance politique: Gaza, Ascalon, Ashdod, Gath et Eqrôn, aussi connues comme la « Pentapole (cinq villes) philistine ». À compter de l'époque grecque, c'est toute la région comprise entre la mer Méditerranée (Grande Mer), à l'ouest, et le Jourdain, à l'est, puis le Liban, au nord, et l'Égypte, au sud, qu'on désigne sous le nom de Palestine.
Qui sont donc ces Philistins?
Comme c'est le cas pour plusieurs peuples de l'Antiquité orientale, nous ne connaissons les Philistins que par les textes bibliques, qui nous les présentent comme de méprisables ennemis (incirconcis), pouvant compromettre sérieusement la présence israélite en Terre Promise. Tout au long de la période des Juges (XIIe et XIe siècles av. J.-C.), ils attaquent les nouveaux habitants du pays, les empêchant même de s'implanter dans cette riche bande côtière. C'est la tribu de Dan qui avait hérité de cette région, mais elle la perdit précisément à cause de la domination philistine, ce qui la força à se trouver un autre territoire. C'est tout à fait à la frontière nord du pays qu'elle finit par s'installer, ce que le livre des Juges nous raconte longuement (Juges 17-18). C'est de ce récit qu'émerge la belle figure de Samson dont la bravoure même entraîne sa mort à Gaza. À partir de l'an 1050 environ, la pression philistine atteint le coeur du pays. Les Philistins n'ont-ils pas défait les troupes israélites allant jusqu'à prendre comme butin l'objet le plus précieux pour la foi d'Israël, l'arche d'alliance? Ils traverseront même le pays en son entier pour y tuer le premier roi d'Israël, Saül, sacré roi pour unifier les forces militaires des tribus israélites et se porter à l'assaut de cet ennemi devenu invincible. Au cours des guerres de Saül contre les Philistins, un jeune héros commence à se manifester: le futur roi David. Sa victoire sur le géant Goliath illustre bien le péril que représentent les Philistins et annonce leur prochaine défaite, épisode final de deux siècles de terreur. Dans la suite de l'histoire d'Israël, ces Philistins, survivant à Gaza, à Ascalon et à Ashdod, et que les conquérants assyriens rencontrèrent lors de leur expédition en Égypte ne connurent que de rares et brefs moments d'influence militaire et politique.
Pour en savoir davantage...
Mais qui sont-ils donc, ces Philistins? Une moisson de découvertes archéologiques nous permet de répondre à cette question. Et d'abord, en Égypte, à la fin du siècle dernier, des textes assez nombreux et précis et de longs bas-reliefs qui les illustrent avec force détails. Puis les très riches fouilles archéologiques, plus récentes et toujours en pleine expansion, effectuées dans le territoire philistin lui-même, apportent d'autres informations. On peut maintenant écrire une histoire, à la fois politique, culturelle et religieuse des Philistins. D'autres chroniques suivront donc celle-ci, qui n'est au fond que leur introduction.
Pour le moment, rappelons-nous que le nom Palestine vient de ce groupe d'étrangers, ennemis mortels d'Israël naissant. Voilà un bel exemple d'un caprice inattendu de l'histoire: la Terre Promise porte sans aucun doute possible le nom le moins approprié de toute son histoire!
Guy Couturier Professeur émérite, Université de Montréal
Source: Parabole XVII/2 (1994) 18. Suite de la série : Des peuples qui ont du style
Des peuples qui ont du style
La plupart d'entre nous ont fait, dès l'enfance, la connaissance des Philistins, ce peuple étranger installé en Terre Promise à peu près en même temps qu'Israël. Curieusement, ce sont ces redoutables guerriers qui ont donné leur nom à l'ancien pays d'Israël, la Palestine. Pour en savoir davantage sur eux, il suffit de consulter les archéologues, qui ne demandent qu'à nous transmettre les informations abondantes dont ils disposent.
La « mode » des Philistins
La plus ancienne découverte remonte à la fin du siècle dernier; elle a lieu en Haute-Égypte, à Medinet-Habu. Son importance exige qu'on lui accorde une attention particulière. Vers 1190 av. J.-C., un groupe d'envahisseurs, que les inscriptions désignent du nom collectif de « Peuples-de-la-Mer », frappe de nouveau à la porte de l'Égypte. Le pharaon Ramsès III leur livre, sur terre et sur mer, un combat gigantesque qui tourne à son avantage. Pour souligner une telle victoire, il fixe les détails de la rencontre marine sur un énorme bas-relief qui servira d'ornement à un des murs extérieurs de son grand temple funéraire de Medinet-Habu (voir le fragment reproduit plus bas). Des inscriptions identifient les différents éléments associés à ces « Peuples-de-la-Mer », ce qui facilite l'interprétation. D'autant plus que les artistes respectent scrupuleusement les caractéristiques des costumes, des armes et des armures de chacun de ces groupes.
Scène de combats maritimes entre les Égyptiens et les Peuples-de-la-Mer
(bas-relief, temple funéraire de Medinet-Habu, Égypte)
Dans leurs jupes coupées à la hauteur des genoux, les Philistins impressionnent par leur taille et leur allure quelque peu « sportive ». Le vêtement semble fait d'une large pièce de tissu enroulée autour du bassin et retenue à la taille par une ceinture; le dernier pan se termine par une pointe ornée d'un triple gland. Chez certains, on soupçonne une cuirasse qui reproduit la courbure des côtes: il s'agirait d'une matière rigide, du cuir peut-être, recouverte de lames de métal. Leurs boucliers de forme ronde ou un peu allongée, à base rectiligne, sont assez petits.
Attirent aussi notre attention, les visages bien rasés et la ligne droite reliant nez et front, ce qui correspond tout à fait au célèbre profil caractéristique des anciens habitants de la Grèce. Examinons maintenant les coiffures que les artistes présentent avec minutie. Nous en distinguons trois types précis, et chacun, comme l'indiquent les inscriptions, est donné comme le signe distinctif d'un « peuple » en particulier. Les « Sheklesh » et les « Teresh » portent une sorte de bonnet en filet, qui descend sur la nuque. Les « Sherden » portent un casque assez haut, de forme un peu conique et muni de deux cornes. Le troisième type de coiffure est nettement celui qui domine dans l'ensemble du tableau; il s'agit d'une sorte de touffe de « plumes » dressées, retenues à la tête par un bandeau, le tout fixé à un bonnet qui s'adapte bien au crâne. Cette coiffure est portée par trois peuples différents: les « Denyen » les « Tjekker » et les « Pereset » (Peleset), dont le nom survit dans notre nom Palestine. Nous verrons que certains détails de cette même coiffure veulent identifier chacun de ces trois peuples! Cela doit nous intéresser, car ce sont ces trois groupes qui s'établirent sur la côte d'Israël et qui furent dès lors désignés sous le nom de Philistins.
Sur une bonne piste?
Depuis le début du XIIIe siècle, les prototypes de ces coiffures, des boucliers et des vêtements sont indubitablement localisés à Chypre, en Crète et en Grèce même. C'est donc du côté de la Mer Égée et de la Grèce proprement dite qu'il nous faut chercher l'origine de ces Philistins, ce qui correspond bien à la donnée biblique, qui les fait venir de Caphtor (Crète: voir Amos 9,7; Jérémie 47,4; Deutéronome 2,23).
Est-ce que l'archéologie en Palestine même nous révèle des objets marqués de telles caractéristiques? D'autres chroniques nous le diront peut-être!
Guy Couturier, Professeur émérite, Université de Montréal
Source: Parabole XVII/4 (1995) 16.