RABBIN TOM COHEN
www.kehilatgesher.org RabbenuTom@Wanadoo.fr

Les Yamim Noraïm, les jours terribles, est une période de l'année où nous prenons conscience, collectivement, de la fragilité de la vie et de l'importance que peut prendre le moment présent. Peut-être est-ce cela qui attire tant de gens
vers les synagogues partout dans le monde.
Les mélodies lancinantes et la puissance de certains mots des prières que l'on dit en cette occasion, comme ceux du
Ounetané Tokef, s'adressent au plus profond de nous-mêmes : "La décision est prise à Roch Hachanah et elle est
confirmée à Yom Kippour; qui vivra et qui mourra." Nous approchons la nouvelle année avec un sentiment
d'incertitude. Personne ne sait ce qu'elle nous réserve.
Tout ce que nous pouvons faire, c'est profiter le plus possible de ce moment. Nous repensons à l'année écoulée et nous
espérons que l'année à venir sera meilleure. Mais nous oublions parfois que le moment le plus important est
précisément celui-ci, maintenant. En définitive, c'est le seul qui compte vraiment.
Hayom : aujourd'hui. Ce mot revient sans arrêt dans la liturgie de Roch Hachanah.
Même si on parle souvent de Roch Hachanah en disant que c'est "l'anniversaire du monde", l'expression Hayom harat
olam ne veut pas dire "aujourd'hui le monde a été créé" mais plutôt "aujourd'hui le monde est en train d'être créé".
Roch Hachanah nous parle du présent. Chaque jour est une opportunité pour recommencer à neuf, chaque jour est une
occasion pour renouveler nos vies. Nous créons le monde en partenariat avec Dieu "hayom harat olam", "aujourd'hui
le monde est en train d'être créé".
Mais qu'est-ce que cela peut vouloir vraiment dire ? Après tout le monde existe déjà. Comment peut-il être créé hayom
– aujourd'hui ?
Selon un Midrach de Vaykra Rabba (29:11), ce n'est pas le monde qui a été créé à Rosh Hashanah, mais le premier
être humain. Selon cet enseignement rabbinique, la création du monde a débuté le 25 du mois d'Eloul pour culminer à
Roch Hachanah, le premier jour du mois de Tishri. Rosh Hachanah marque le commencement de l'humanité, pas le
commencement du monde.
Les rabbins décrivent l'image suivante : le premier jour, l'humanité a vécut l'ensemble de son existence. Le midrach
nous raconte heure par heure ce qui s'est produit.
La première heure, Dieu décida de créer Adam et Eve; la deuxième, Dieu consulta les anges à ce sujet et la troisième
heure, Il prit la terre avec laquelle Il allait façonner l'humanité. A la troisième et quatrième heure, "Dieu pétrit la
poussière et assembla les parties", et de la sixième à la huitième heure, Il mit les premiers êtres humains debout,
insuffla la vie en eux et les plaça dans le jardin.
Que se passa-t-il durant le reste de la journée ? Dieu leur ordonna de ne pas manger du fruit de l'arbre de la
connaissance du bien et du mal, les vit désobéir, et les fit passer en jugement à la onzième heure. Enfin, la douzième
heure, Dieu leur pardonna leur transgression. Adam et Eve "quittèrent la présence du Saint, libres."
En d'autres mots, tout – la naissance, la formation, la rébellion, le jugement, la repentance et la rédemption, toutes les
phases de transformation de la vie – eurent lieu à Roch Hachanah. L'entièreté de la vie se déroula en une journée.
Symboliquement, tout ce qui aurait un jour de l'importance a déjà eu lieu pendant les premiers moments de la création.
Imaginez ce que cela donnerait de voir votre vie sous cet angle. Tout ce qui doit arriver, va arriver aujourd'hui. Ce
moment est riche de signification. Il a un potentiel infini. Tout comme chaque vie est un monde à elle seule, chaque
moment est une éternité à lui tout seul.
Chaque jour, lorsque nous nous réveillons, le monde entier est devant nous : qu'est-ce que nous allons en faire ? Un
jour gâché, c'est comme une vie gâchée. Nous avons perdu l'occasion de grandir, de soigner un esprit brisé, de
réconforter quelqu'un qui est en deuil, d'aider à amener l'ère messianique, d'amener la paix dans le monde. Une fois
qu'aujourd'hui est passé, ce jour est perdu à jamais !
Roch Hachanah symbolise n'importe lequel des jours. Chaque jour a un potentiel illimité pour le bien ou pour le mal.
Comme les premiers êtres humains, ce jour-là nous naissons, nous nous développons, nous nous rebellons, nous
obéissons, nous sommes jugés et nous sommes pardonnés. Il n'y a ni hier ni demain, juste Hayom, juste aujourd'hui.
Que ferons nous avec ce jour tant qu'il est là, avant qu'il ne soit définitivement perdu?
Chaque moment est "le" moment. C'est ce que nous faisons – c'est la vie que nous vivons. A ce moment, la vie se
déroule… même, et parfois surtout, lorsque nous ne faisons pas attention.
ROCH HACHANA 5768 RABBIN TOM COHEN
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Faire attention, voilà qui me rappelle une vieille histoire qui contient une part de vérité : "des années avant l'apparition
de la photo numérique, un homme part faire le tour du monde avec un appareil 35mm. A son retour, un de ses amis lui
demande : "alors c'était bien?" L'homme répond : "Je sais pas, je fais développer les pellicules et je te dis."
Rabbi Abraham Joshua Herschel a dit un jour : "Le temps est la dimension à travers laquelle nous réalisons que
l'instant [ce moment] est un acte de création."
Combien de fois est-ce qu'on se surprend à dire des choses du style :
- Si ça pouvait s'arrêter, là je pourrai être heureux. (je ne parle pas de mon discours, of course).
- Ou : "quand je serai en vacances, là ça ira mieux.
- Ou : "ça me tarde d'être ce week-end".
Vivre dans le moment, ce n'est pas forcément vivre pour ce moment.
En ce moment, là maintenant, nous pouvons penser, ressentir et être heureux. On n'a pas à attendre la fin de la journée
de travail ou la fin de la journée de cours pour faire l'expérience de la vie. Se préoccuper du passé ou du futur, c'est
passer à côté du moment présent.
Ce qui se produit maintenant – la personne assise à côté de nous, les sons que nous entendons ou ce que nous voyons –
c'est ça la vie au présent. Apprendre à être là pour ce moment est une bénédiction qui vient avec une vie pleine de
sens. Il n'est pas nécessaire d'attendre d'avoir des invités pour ouvrir une bonne bouteille; on peut mettre ses vêtements
préférés et célébrer aujourd'hui. Lorsque l'on désire mener un vie qui a du sens, on a le potentiel pour être dans le
moment – il suffit juste de ralentir – de prendre une grande inspiration et de voir ce qui peut se passer.
Mon livre préféré de la Bible est l'Ecclésiaste, Kohélet, et il résume cette idée en disant : "Douce est la lumière et c'est
une jouissance pour les yeux de voir le soleil. Aussi, quand même l'homme vivrait de longues années, qu'il les
consacre toute à la joie…" (11, 7-8)
Mais ne me mécomprenez pas. Je ne me fais pas l'avocat d'un hédonisme du style de celui d'Epicure, qui consisterait à
s'abandonner sans réfléchir à de brefs moments de plaisir vécut dans l'immédiat; cette philosophie de vie basée sur
'mangez, buvez et soyez joyeux parce que demain on pourrait être fichu'. Non, ce que je veux dire, c'est que ralentir et
s'arrêter pour, disons, sentir une fleur, n'est pas tout à fait la façon dont la plupart d'entre nous vivent leur vie.
La vérité est que (et si nous ne regardons pas en face la vérité sur nous-même pendant les grandes fêtes, alors quand?)
nous vivons nos vies avec des regrets et des espoirs. Comme le chantait Paul McCartney : "Yesterday, all my troubles
seemed so far away".
Nous rêvons de notre futur et nous ruminons notre passé. Nous passons plus de temps à penser à ce que nous avons
manqué ou à nous soucier de ce qui n'a pas encore eu lieu.
Toutes mes excuses aux agents en assurance présents parmi nous, mais nous souscrivons à des assurances sur la vie et
nous ne saisissons jamais l'occasion de vivre maintenant.
La liturgie des grandes fêtes nous le rappelle encore et encore. Hayom ! Aujourd'hui, c'est le seul jour qui compte.
Et quid de votre judaïsme ? Hayom ! Est-ce que vous le vivez à travers le filtre d'un lien nostalgique avec votre passé
ou est-ce que vous le gardez précieusement pour un jour à venir ?
Chaque année, je rencontre des couples qui vont se marier. Ils sont occupés à préparer le futur. Et pourtant quand je
leur demande quel rôle le judaïsme va jouer dans leur vie, beaucoup répondent : "on n'est pas vraiment religieux. On
verra ça quand on aura des enfants." Le judaïsme devient une question lointaine, pas un défi pour le présent. La vérité
est que c'est aujourd'hui le moment pour s'interroger sur ce genre de questions, pas demain. Pour beaucoup de couples,
les enfants arrivent effectivement, et quand c'est le cas, nous sommes souvent trop occupé par d'autres questions plus
pressentes, si bien que nous oublions nos bonnes résolutions.
John Lennon a écrit : "La vie, c'est ce qui se passe pendant qu'on est trop occupé à faire des projets." Ce qui est
important ce n'est pas ce que nous faisons pour la prochaine génération, mais ce que nous faisons maintenant. Si nous
remettons notre judaïsme à plus tard, nos enfants recevrons clairement le message. Ils penseront que pour les adultes,
être juif ce n'est pas important. Alors pourquoi s'embêter ? Un judaïsme plein de sens ne peut être décliné au futur. Il
doit être vécu maintenant, ou il se retrouvera assigné aux poubelles du passé.
Combien parmi nous espèrent visiter Israël "un jour"? J'entend souvent "Rabbi, j'irai quand la situation sera meilleure"
ou "j'irai quand je serai à la retraite, ou "quand les enfants seront grands". Je suis fier que beaucoup de membres de
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notre communauté qui peuvent se le permettre font le choix d'aller régulièrement en Israël. Ils ont compris qu'Israël a
besoin de nous Hayom, pas demain, pas quand il y aura enfin une paix juste, pas quand tout ira bien. Leur présence est
une déclaration, la démonstration qu'en dépit de tout ce qui doit être fait pour créer une meilleure société (et croyezmoi,
il y a beaucoup à faire), ils se sentent concernés.
L'un des truismes de la vie dit que les rêves qu'on remet à plus tard finissent par ne pas être concrétisés.
Trop souvent nous sommes occupés à "gagner notre vie" ou à "assurer le quotidien" pour notre famille ou à "assurer
notre futur" pour nous souvenir que les autres ont besoin de nous. Et c'est le temps que nous prenons pour eux qui
compte le plus, pas le temps que nous mettons de côté pour demain ou pour la postérité.
Il n'est jamais arrivé que quelqu'un dise : "Qu'est-ce que j'aurais aimé que mes parents passent plus de temps au
travail" ou "j'aurais préféré qu'ils prennent moins de vacances et qu'ils travaillent plus dur". Ce dont nous nous
rappelons, ce sont les moments de présence, ce que l'on a partagé, en particulier les moments passés à ne rien faire
d'autre qu'être avec ceux qu'on aime. Hayom. C'est de ça dont on se souvient.
Il y a une histoire rabbinique connue qui parle de ce Rabbin qui, jeune homme, brûlait du désir de changer le monde.
Mais, alors que les années passaient, il se rendit compte que le monde ne pouvait pas aussi facilement se plier à sa
volonté. Alors il utilisa toute son énergie à changer sa communauté. Mais les années passant, il se rendit compte que
ça aussi, ce n'était pas possible. Alors il décida de changer sa femme et ses enfants. Et les années passant, le rabbin vit
que ses efforts n'amenaient pas grand-chose. Enfin, le rabbin pria "Rebono Shel Olam, Maître de l'Univers, je ne Te
demande qu'une chose : aide-moi à me maîtriser moi, et à parfaire mon propre coeur, et ce sera comme si j'avais
renouvelé un monde entier."
Aujourd'hui, le monde est à nouveau créé. Et ce monde-là est en vous, et en moi.
Une respiration est courte, juste quelques secondes. Elle doit être suivie d'une autre, et encore d'une autre. D'une
certaine manière nos vies sont toujours dans un équilibre précaire. Nous sommes comme les pauses entre deux
hoquets. La question est : que devons-nous faire ? Comment vivre ? Nous pouvons vivre des vies timides, à toujours
nous préoccuper de savoir ce qui pourrait arriver et quels désastres peuvent bien se cacher au coin de la rue ou, à partir
de ce soir, nous pouvons commencer à capitaliser sur la manière dont nous avons réellement vécu nos vies et voir si
nous ne pouvons pas faire les choses différemment.
Hillel dit dans les Pirké Avot, "Im lo ahshav émaytaï. Si ce n'est pas maintenant, quand?" C'est le seul moment que
nous avons, en tous cas le seul moment dont nous pouvons être sur!
Alors que nous célébrons un nouveau Roch Hachanah, il nous faut réfléchir à ce qui compte vraiment. Nous misons
tellement sur le futur (d'ailleurs en anglais, à la bourse, on parle de "futures" pour désigner les opérations à terme) que
nous passons souvent à côté des richesses du présent, celles que nous avons héritées du passé.
Si nous ne retenons qu'une seule chose de ces offices, j'espère que ce sera ce mot : Hayom.
Faites les choses qui comptent vraiment aujourd'hui. Ne les remettez pas à demain. Rien ne nous assure qu'il n'y aura
ni tristesse ni tragédies. Mais si nous pouvons dire que nous n'avons pas de regrets et que nous sommes fiers de ce que
nous faisons dans nos vie et de la personne que nous sommes, alors nous pourrons quitter ce monde vraiment
satisfaits, peu importe quand ce moment-là sera.
A la fin de l'office de Moussaf, nous récitons un poème qui dit "Hayom, aujourd'hui". Avec toute cette introspection et
toutes ces promesses que nous faisons, l'office nous laisse là : à méditer sur la signification du Hayom :
O Eternel, aujourd'hui restaure nos forces
Aujourd'hui, bénis-nous
Aujourd'hui, élève-nous.
Aujourd'hui, inscris-nous pour le bonheur.
Aujourd'hui, renouvelle une année de bien.
Aujourd'hui, écoute nos voeux.
Aujourd'hui, accueille favorablement et avec clémence nos prières.
Aujourd'hui !
En mon nom, au nom de ma famille et au nom de notre famille élargie et la communauté, Kehilat Gesher, j'espère que
Hayom – aujourd'hui, sera une source de bénédictions pour vous et pour ceux qui vous entourent.
Shana Tova Tikatévou. Rabbi Tom Cohen. (Traduction : Olivier F. Delasalle)