1er épisode :http://aschkel.over-blog.com/article-35735696.html
2eme épisode : http://aschkel.over-blog.com/article-36018532.html
3eme épisode : http://aschkel.over-blog.com/article-36331989.html
Tous mes remerciements à Sacha.
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La difficulté des historiens à caractériser le sionisme provient sans doute de ses enjeux politiques et idéologiques. Car cela revient à accepter plusieurs postulats, eux-mêmes mis en cause par de pseudo-historiens alterjuifs : le premier est l'unité indéfectible du peuple juif, le second est sa dimension non ethnique (en dépit de sa transmission par la mère) mais volontaire, être Juif de naissance ou de coeur, le troisième concerne le droit à l'autonomie juive, corollaire de la reconnaissance de l'antisémitisme chrétien comme crime.
Que le sionisme soit laïc, religieux, ashkénaze ou séfarade ne suffit pas à en épuiser le sens. Car cette filiation nationale et théologique repose fondamentalement sur une « politie juive », selon le mot de Daniel Elazar, c'est-à-dire sur une communauté d'individus partageant un destin, une histoire, des valeurs, des rites, des traditions en commun, et partageant des institutions dont le but a été, est et restera précisément l'unité du peuple comme témoignage de l'Alliance et des Lois données à Moshé au mont Sinaï. La créativité juive dans l'histoire y trouve son inspiration. Et c'est dans ce sens qu'il faut comprendre le projet de nouvelle société juive telle que l'envisage Herzl.
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Le quatrième livre s'ouvre sur le Seder de Pessah, fêté chez les Littwak en compagnie de Reshid Bey, Löwenberg, Kingscourt, de Mme Gothland, ainsi que du révérend Hopkins et du père Ignaz.
Cette fête, la plus juive qui soit, tirait sa signification plus loin dans le passé des hommes que toute autre dans le monde. Pratiquée depuis de si nombreus siècles, ... et le monde s'était depuis tranformé, des peuples avaient disparu, d'autres étaient apparus dans l'histoire, le monde était devenu plus vaste, des continents inconnus étaient sortis des mers – mais seul un peuple, ce peuple, était toujours là, comme avant, préservant des traditions inchangées, fidèle à lui-même et gardant le souvenir des souffrances de ses aïeux. C'est avec des mots vieux de milliers d'années que le peuple de la servitude et de la liberté priait l'Eternel, son D. – Israel !
En intitulant l'avant-dernière partie de son roman « Pessah », Herzl prend le contre-pied de l'image traditionnelle de Juif assimilé qui lui a été bien trop souvent attribuée.
Certes, son inspiration est autant religieuse que profane, et il conçoit le judéité comme nationale avant d'être d'essence confessionnelle. Pour autant, ce qui relie le projet sioniste à la terre d'Israel plonge son coeur dans les racines de la Torah et du Talmud.
Nous lisons aujourd'hui dans notre ancienne Haggadah comment les Sages autrefois, dans une soirée comme celle-ci, se rendirent ensemble à Bene-Berak, et s'entretinrent toute la nuit de la sortie de Mizraim. Nous sommes les héritiers de Rabbi Eliezer, d'Asarias, de Rabbi Aqiba et de Rabbi Tarphon. Et voici notre nuit de Bene-Berak. Ce qui est ancien se transforme dans ce qui est nouveau. Nous devons avant tout accomplir notre Seder de la façon dont nos aïeux l'accomplissaient...
Il y eut une nouvelle Egypte, et il s'est produit une même sortie hors de cette nouvelle Egypte... Nous avions le devoir de devenir des hommes nouveaux, et nous avions le devoir de ne pas rompre la fidélité avec nos anciennes racines.
L'image est saisissante : le retour en Israel comparé à la sortie d'Egypte. La même liberté recouvrée. Et un même souvenir du prix de la liberté.
Un Seder à la croisée du destin du peuple et de la relation du peuple avec son D.
Un Seder à la croisée de la tradition et de la modernité.
Face au dilemme posé par l'assimilation, Herzl propose une lecture de la vie juive qui se trouve entièrement libérée du carcan de l'exil.
En effet, selon Herzl, reprenant en cela les tenants de la Wissenschaft des Judentums, l'école historique judéo-allemande du début du 19e, le lien avec la terre d'origine a été maintenu grâce à la pratique religieuse et à la persévérance des rabbins dans les temps d'exil et de persécutions.
Le retour en erets Yisra'el fait du peuple juif un peuple à la fois comme les autres, et distinct en même temps puisque son passé marqué par la persécution le rend capable de dépasser les conflits entre nationalités.
Altneuland témoigne de la fidélité de Herzl à la tradition dans un contexte européen où la néo-orthodoxie de Hirsch s'opposait à la réforme engagée.
Herzl retrace ensuite l'histoire des débuts – romancés – du retour en Israel, sous la forme d'un discours d'un des pères fondateurs, Joseph Lévy, directeur générale de la chambre d'industrie.
Ce tableau historique imaginaire n'en révèle pas moins le dualité du projet sioniste qui est tant une réponse à l'antisémitisme qu'une restauration fondée sur des principes de paix et de progrès.
La « société nouvelle pour le peuplement de la Palestine », crée en vue d'un retour du peuple juif sur sa terre, signe un accord avec la puissance tutélaire, les autorités turques, qui prévoit le versement initial de 2 millions de livres sterling – la monnaie internationale et la plus chère de l'époque – ainsi qu'un versement de 1,5 millions par an pendant 30 années, complété d'un quart des recettes de la « société nouvelle » à destination du Trésor ottoman.
Il s'agit là d'une étonnante inversion du postulat antisémite d'un goût perverti du peuple juif pour la thésaurisation, le capital et le refus du travail de la terre. La liberté achetée à prix d'or et l'effort continu des Juifs sionistes pour créer de rien leur pays sur leur terre sont deux réponses en quelques sortes aux accusations sordides dont les juifs viennois étaient l'objet.
L'achat des terres est aussi une réponse indirecte au monde musulman, dans la mesure où le sionisme n'est pas une conquête mais une participation au progrès selon des bases légales.
La « société nouvelle », société par actions, deviendra précisément une « société coopérative » une fois l'établissement juif garanti, afin d'en assurer la pérenité, et de trouver un « un équilibre entre le capital et le travail ». Allusion aux conditions sociales dramatiques que les ouvriers connaissaient en Europe à cette époque.
La restauration se manifeste par l'achat de terres, puis de plantes, de matériel agricole, de biens de consommation, permettant la création d'infrastructures, le percement d'un canal entre la Mer Morte et la Mer rouge pour produire de l'électricité.
Le souhait de Herzl était précisément, par l'intermédiaire de Joe Lévy, de faire de cette aliyah un retour définitif, et non uniquement un refuge temporaire. Des ingénieurs et des techniciens y travaillent d'arrache-pied, afin de faire en sorte que les premiers immigrants puissent dès leur arrivée se sentir chez eux et à leur tour participer à la réussite de la nouvelle société juive.
En revanche, nous nous trouvions dans notre patrie, notre terre... Les gens que nous nourrissions créaient en même temps les moyens futurs de subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leurs successeurs.
Une société ouverte, pionnière, active : La confession ou la nationalité ne fut jamais prise en compte. Tous ceux qui voulaient travailler la terre d'Israel était bienvenu.
Car le but est explicite : Il était question d'ériger une véritable république moderne, fondée sur l'éducation par l'art, sur la réforme agraire, sur la mise en oeuvre de l'égalité, sur les droits sociaux, sur le rôle de la femme dans une société civilisée, sur le développement des techniques scientifiques et appliquées,...
Il est saisissant de constater que l'innovation constitue pleinement l'identité israélienne contemporaine. Si pour Herzl, les véritables fondateurs d'Altneuland ont été les ingénieurs en hydrologie, car du drainage des marais, de l'irrigation, ou encore de la construction de barrages, a pu être menée cette vie nouvelle pour le peuple juif et tout ceux qui veulent participer à cette société nouvelle, active et égalitaire.
Les progrès ressemblèrent à un printemps rapide, tel qu'on le voit dans la nature quand les arbres desséchés commencent soudainement à reverdir. Et chaque jour marquait la rapidité de notre progrès... Et c'est ainsi que le lait et le miel purent couler à nouveau dans la patrie des Juifs, et elle était à nouveau ce qu'elle avait été : la Terre Promise.
Le sionisme est souvent, trop souvent présenté comme une idéologie. À ce titre, il ne serait qu'un interprétation du monde, une simple idée guidant les actions des hommes, un projet déraciné et presque dangereux.
Or, comme il le souligne dans ce roman programmatique, Herzl tient à rappeler que le mouvement sioniste n'est pas un mouvement politique, ce n'est pas une théorie. C'est la prise en main par le peuple juif de son propre destin.
Loin de toutes les disqualifications morales dont les pseudo-justiciers des droits de l'homme accablent généralement le sionisme, le retour en Israel du peuple juif contient en lui-même un impensable pour les cultures qui l'ont opprimé pendant des siècles et réduit à un archétype négatif : le peuple juif acquiert sa liberté.
Les multiples et incessantes campagnes de dénigrement, de calomnies et de haine qui ponctuent, aujourd'hui encore, le temps médiatique, s'avèrent être l'indice évident que cette limite, dans la pensée collective, à la compréhension du sionisme et de la réalité d'Israel, est pleinement un obstacle à la paix.
En humaniste, Herzl pensait que l'exemplarité du sionisme, son extraordinaire force de mobilisation des énergies individuelles dévouées au bien commun, auraient raison de l'irrationalité de la haine antijuive.
Car il pensait que : la difficulté de l'entreprise ne nous a pas écrasés, elle nous a régénérés.
Contre tous xeux qui encore tiennent à scinder le judaïsme du sionisme, Herzl montre avec conviction que le sionisme est pleinement le fruit de la créativité du judaïsme moderne.
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