A qui appartiennent les syndicats ?
Par Alain Rubin
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L’expulsion ratée, suivie de la dissolution du syndicat de Fabien Engelman, m’a ramené en 1967.
A l’époque, on me convoquera devant une commission de la direction de l’Union départementale des Hauts de Seine de la CGT. En effet, après avoir été convoqué devant le bureau de l’union locale de Courbevoie, rue Carl Hébert, dont j’étais le secrétaire responsable à la propagande, je refuserai de désavouer mon parti. Ce refus de désavouer mon organisation politique était, m’expliqua-t-on, incompatible avec mon appartenance à une instance de direction de la CGT.
Vous me demanderez qu’est-ce qui rendait incompatible cette appartenance aux instances de la CGT et celle à une organisation « ennemie de la CGT… une organisation qui dénigre la CGT » ?
Je vais vous le dire, ce n’est pas un secret. Quelques semaines plus tôt, à l’occasion d’une manifestation parisienne, République-Bastille, convoquée par l’Union régionale des syndicats CGT de la Région Parisienne, l’UNEF avait organisé un regroupement de quelques centaines d’étudiants venant tranquillement manifester avec les salariés du public et du privé en grève et descendus dans la rue pour protester contre la politique salariale du général de Gaulle. Les étudiants rassemblés par l’UNEF voulaient protester contre la réforme Fouchet considérée par eux comme visant à mettre en route la privatisation de l’université et à exclure totalement des études supérieures les enfants de la classe ouvrière. Politique de « police » des salaires, privatisation de l’université, n’étaient pas des domaines sans rapport, c’est ce que voulaient exprimer les syndicalistes étudiants.
La direction de la CGT ne l’entendit pas de cette oreille. Le SO du syndicat le fit fermement et bien comprendre aux étudiants. Les coups qui tombèrent drus n’étaient pas des caresses. Ils pleuvront indistinctement sur les étudiants comme sur les étudiantes regroupés derrière la modeste banderole de l’UNEF.
C’est cette agression injustifiée et injustifiable*1 qui donnera lieu à un article publié dans un bulletin intérieur de mon organisation politique de l’époque. Le bulletin dénonçait le « service d’ordre stalinien » qui avait brutalement chassé les étudiants manifestants qui voulaient réaliser l’unité d’action de la classe ouvrière et des étudiants.
Convoqué d’abord devant le bureau de mon union locale, on me demandera de désavouer mon organisation qui attaquait odieusement le service d’ordre du syndicat. C’est parce que je refuserai de me laisser intimider que la bureaucratie staliniste, confisquant le syndicat, me convoquera à Nanterre au siège de l’union départementale, devant ce qui était un tribunal d’opinion. N’ayant pas accepté le chantage de ceux qui considéraient l’organisation syndicale -groupant alors trois millions de salariés- comme étant la propriété privé de leur parti, on décidera que toutes mes responsabilités et tous mes mandats me seraient immédiatement retirés.
Les choses auraient pu en rester là. Mais pour les staliniens, qui un an plus tard feront déferler six cent mille hommes des forces du pacte de Varsovie sur la Tchécoslovaquie du « socialisme à visage humain », me retirer mes responsabilités et mandats ne suffisait pas. C’est ainsi qu’en 1969 on me refusera ma carte syndicale. Les syndiqués, qui travaillaient avec moi, protesteront, en vain. Ces messieurs et ces dames de l’appareil staliniste pensaient en effet n’avoir aucun compte à rendre et disposer du droit légitime de décider qui serait et resterait syndiqué.
1946-1948 n’avait servi à rien.
Ces gens considéraient que dés lors qu’ils s’étaient emparés des manettes de l’organisation syndicale, elle devenait leur propriété ; ne pas partager certains de leurs choix de parti et le faire savoir, vous plaçait hors de l’organisation syndicale.
Leurs dogmes devenaient la vérité du syndicat.
En 1948, le stalinisme, après avoir flotté un moment sur la question, décrétera, comme un seul homme, après que Staline en ait ainsi décidé, que le Plan Marshall était un instrument de l’impérialisme dirigé contre l’union soviétique. Staline l’ayant décrété, les dirigeants PCF du bureau confédéral décideront que la CGT devait elle aussi s’opposer et combattre le Plan Marshall.
Ceux qui ne partageaient pas ce point de vue, -imposé par Staline, après que différents gouvernements dirigés par des PC (Tchécoslovaquie…) aient eux-mêmes hésité face à la proposition d’aide américaine-, deviendront des « agents des yankee », des « agents du patronat »…
Le stalinisme exigeait une seule tête dans les rangs, une seule tête en ligne, sur une seule ligne, et une ligne épousant les méandres de la politique stalinienne décidée à Moscou.
Je disais que pour la clique éperdue qui dirige encore la principale confédération syndicale ouvrière, 1946-48 n’aura servi à rien. Ces gens continuent de considérer le syndicalisme ouvrier comme leur propriété privée.
Il y a l’exclusion d’Engelman, et il y en aura d’autre, pour la raison qui lui est invoquée ou pour d’autres.
Notre ami Le Poulpe relevait très justement que le bureau confédéral lève un impôt pour financer le bateau français pour la flottille pour Gaza. Le Bureau confédéral de la CGT croit-il que tous les responsables accepteront un détournement de fonds syndicaux ou de Comité d’entreprise, ou des collectes intenses, alors que l’on ne sait pas en faire de sérieuses quand une usine est en grève ?
Le PCF a décidé de cacher la vérité aux syndiqués et aux salariés français.
Pour exciter les passions, pour alimenter l’hostilité et la haine à l’encontre d’Israël, il continue de mentir, osant continuer de dénoncer « une crise humanitaire ».
Le bureau confédéral de la CGT ment impudemment à ses syndiqués et aux salariés, pour les taxer et leur faire verser, même à leur insu, pour financer un « Marmara » français destiné à forcer un blocus alimentaire, sanitaire et en matériaux de construction civile qui n’existe pas.
Répétons, le blocus de Gaza n’existe pas. La crise alimentaire, que le bureau confédéral de la CGT invoque est tellement grave et si poignante, que les « affamés de Gaza », dont aucun enfant n’a le ventre gonflé par la faim -mais témoigne à l’inverse d’une vigueur physique tout à fait éclatante-, ont exporté en Egypte des vivres au moment du soulèvement contre Moubarak.
La direction de la CGT ment.
Elle veut en découdre avec Israël. Elle veut, en prenant sa décision, que l’hostilité envers Israël devienne un dogme, se transforme en une vérité paradigmatique pour l’appareil syndical tout entier et pour tous les syndiqués et sympathisants.
En 2011, Israël devrait prendre la place que le stalinisme -qui s’était opposé aux aspirations ouvrières et populaires de 1945, au nom des impératifs du traité de Yalta- faisait jouer un peu plus tard à la dénonciation du Plan Marshall.
Décider que les organisations de la CGT se rapprocheront des comités et des regroupements qui se sont ou se seront constitués ici et là, pour prendre en charge le financement de ce qui en vérité est une véritable opération de guerre privée, -minutieusement préparée-, c’est décider que des comités d’entreprises détourneront, vers des buts politiques partisans, des fonds, qui sont des salaires différés destinés aux salariés de l’entreprise, c’est aussi décider de s’associer à des détournements d’impôts locaux, pour les mêmes raisons.
Décider que les organisations de la CGT prendront en charge une action destinée à obtenir l’effondrement d’Israël, en utilisant le prétexte d’une crise humanitaire provoqué par un embargo alimentaire et sanitaire inexistant, c’est décréter que le point de vue du PCF doit devenir celui de tous les syndiqués, bon gré mal gré.
Si des militants ont pu croire que les causes de la scission du mouvement ouvrier, après guerre, et celle de la CGT en particulier, avaient disparu, pour laisser place à des conceptions respectueuses de tous les salariés, respectueuse de tous les syndiqués et de tous les militants, nous voyons que malheureusement il n’en est encore rien.
Du chemin reste à faire, pour que les staliniens et la nébuleuse qui gravite autour d’eux et celle qu’ils ont infectée de leur conception totalitaire quant au fonctionnement des organisations, il reste du chemin à faire pour que les organisations ouvrières fonctionnent sur la base de la Charte d’Amiens, à savoir : que le syndicat doit être indépendant et ne pas se retrouver comme une extension de leur parti, pour qu’il soit la propriété de tous ses membres.
Du chemin reste à faire pour que ces hommes respectent ceux qui ne partagent pas toutes leurs conceptions ou sont en désaccord avec tel ou tel de leur choix.
Il y a bien plus qu’une analogie de méthodes dictatoriales, entre 1946-48 et 2011
En 1945, Maurice Thorez, revenu quelques mois plus tôt de Moscou, où il avait passé la durée de la guerre, avec les consignes de Staline, parlera, comme l’oracle que l’on ne contredit pas. Il s’adressera à la direction du PCF, ainsi qu’à tout son appareil syndical central flanqué des compagnons de route laissés à des postes clé de l’organisation syndicale, tous ensembles réunis à la réunion d’Ivry du comité central élargi. Il transmettra l’ordre de Staline et sa concrétisation française du traité de Yalta-Téhéran, à savoir : aider impérativement à la reconstruction de l’état bourgeois. Ce qui se déclinait, ordonnera Thorez, au nom du génial Staline chef du prolétariat mondial, par : « Produire d’abord, revendiquer plus tard », et surtout, restituer les armes des milices patriotiques, celles des FTP, dissoudre les Comités ouvriers ayant remis en route la production pour les transformer en comité d’entreprise.
« Revendiquer c’était faire le jeu de la bourgeoisie, et la grève était devenue l’arme des trusts ».
Il fallait donner un os à ronger, dériver la combattivité vers de faux objectifs, domestiquer la classe ouvrière et ses syndicats. Il en sortit la scission d’une CGT réunifiée en 1943 dans la clandestinité et groupant sept millions de membres en 1945.
En 2011, nous sommes dans le sillage de l’échec des mouvements pour la défense des retraites. L’appareil stalinien a toujours bloqué toute action sérieuse, confinant la riposte ouvrière à une série de grande messes répétitives ; refusant, comme irréaliste, la mise en œuvre de moyens d’organisation locaux, basés sur l’unité d’action organisée, nécessaires à la préparation de la grève générale des salariés du public et du privé, qui reste pourtant voie nécessaire pour s’opposer au diktat de la commission européenne mis en œuvre contre le retraites par le gouvernement français et accepté par ses oppositions de « gauche ».
Mais la chose pose problème. Alors, il lui faut masquer,
il lui faut dériver et donner une lutte de substitut.
La guerre, c’est la politique par d’autres moyens. La guerre, c’est un moyen d’union sacrée, c’est aussi un moyen efficace pour duper le citoyen.
Ici, la poursuite de la politique de renoncement à la défense effective des acquis ouvriers et sociaux, c’est l’aventure guerrière pour la « révolution palestinienne », c’est l’aventure guerrière contre le sionisme exécré, c’est le « Marmara français », pour abattre ce méchant Israël.
Pendant qu’ils collecteront des sous, pour financer le bateau de la « liberté palestinienne », pour mettre à bas le « méchant et criminel état sioniste »,- méchant et criminel parce qu’on ne cesse de le leur répéter-, les militants et les syndiqués auront l’impression de faire quelque chose d’utile. Ils croiront lutter pour une juste cause, une cause qui aura des effets positifs en France même, peut-être oublieront-ils ce qui ne s’est pas passé pour s’opposer sérieusement et efficacement face à l’attaque mettant en cause les régimes de retraite.
Et tous ceux qui ne seront pas d’accord seront des ennemis, il faudra eux aussi les chasser du syndicat, ou le dissoudre comme celui d’Engelman, s’il refuse le diktat et les mensonges des staliniens et de leurs comparses, s’il refuse la chasse aux sorcières.
En 2011, comme en 1946-48, la question toujours pas résolue reste celle-ci :
À qui appartiennent les syndicats ?
Sont-ils la propriété d’une école politique, comme le défendaient les guesdistes, puis les hommes de confiance de l’appareil du comintern et leurs descendances directes, et aujourd’hui, ici et là, les gauchistes et des crypto-staliniens de différentes nuances.
En 2011, comme en 1946-48, la question posée et non résolue, c’est le respect de la lettre et de l’esprit de la Charte d’Amiens, ou sa transformation en icône révérée, à la manière dont Staline et ses successeurs et affidés révéreront la momie de Lénine, pour mieux crucifier son parti en exterminant les hommes de février-octobre 1917, en proclamant le pouvoir des soviets pour mieux les combattre.
Alain Rubin
*1 Après les premiers affrontements entre les étudiants et les forces de polices envoyées par le ministre de l’intérieur Marcellin -pour évacuer le meeting convoqué le 3 mai 1968 en soirée par l’UNEF et les organisations politiques étudiantes- la riposte de la direction stalinienne du PCF consistera à dénoncer les « irresponsables », les « aventuriers gauchistes », les « groupuscules manipulés par la police »…
Déjà, en mars 1968, lorsque la police avait envahi l’usine de la SAVIEM à Caen, pour y briser la grève totale d’occupation, frappant brutalement les grévistes que les juges condamneront lourdement en comparution immédiate, l’appareil politico-syndical du stalinisme ne lèvera pas le petit doigt pour défendre les jeunes ouvriers condamnés après avoir été agressés sur le lieu de travail occupé, façon juin 36, comme il refusera de lever le petit doigt pour défendre les travailleurs guadeloupéens du bâtiment, en grève et rassemblés par leur syndicat Fraternité Ouvrière et attaqués, en mai 1967, dans les rues de Pointe à Pitre, à coups d’arme à feu par les forces de l’ordre.
Avec deux ou trois autres militants « aventuristes » et « gauchistes », je serai moi-même dénoncé à ce moment auprès des milliers de travailleurs des nombreuses usines de Boulogne-Billancourt, où se trouvaient les usines Renault avec ses trente mille métallos et beaucoup d’autres entreprises importantes. L’appareil stalinien, s’étant approprié la CGT, m’accusera d’être un provocateur, un instrument de la police, dans un tract distribué dans les usines de Billancourt. Les tracts de dénonciation complétaient les menaces physiques et les coups à la porte des usines.
Le 6 mai 1968 au matin, le jour de la première manifestation de masse convoquée par l’UNEF et le SNESUP, dans le cadre de la grève générale universitaire, la direction du PCF et ses relais dans les directions des syndicats de la CGT dénonceront les « groupuscules irresponsables » qui appelaient à la grève générale universitaire et à manifester le soir à partir de la Place Denfert Rochereau. Les milliers qui se rassembleront ce soir là, pour traverser Paris en cortège serré et combattif, répondront par la dérision, scandant, en réponse à l’éditorial du matin du Bureau politique du PCF : « nous ne sommes qu’un groupuscule !! »
Alain Rubin