Après moi le déluge.
Par Yéhouda Guenassia
Merci Yéhouda pour l'envoi de ce texte
Pour aschkel.info et lessakele.
tradition-et-psychologie-contemporaine
Création/Destruction. Création/Destruction.
Sommes-nous voués indéfiniment à ces cycles infernaux ? Disposons-nous d’assez de force, de courage, de désir de vie pour nous extraire de cette maladive pulsion de mort qui nous entraine toujours, encore et encore vers la même désespérance.
Notre inconscient collectif semble réglé sur cette même longueur d’ondes, pour obtenir toujours, finalement ce même résultat. Paradoxalement unis dans ce que nous pourrions nommer un désir orienté vers…nous-mêmes, qui lorsqu’il prend le dessus sur celui de partager avec l’autre, nous mène inexorablement dans un non-lieu vide de sens.
Contingence personnelle, le moi régnant en maitre absolu, moi avant les autres, et après moi le déluge.
Et c’est ce qui arriva. La génération de Noé comme la nôtre -selon la Tradition nous ne serions ici que pour tenter une nouvelle fois l’expérience de transformation de ce désir effréné vers soi-même en une conscience plus élargie- tomba dans un narcissisme résistant à toute épreuve, même à celle de la destruction. Et il ne s’agissait pas de tenter l’aventure de l’altruisme, ce qui aurait encore été trop utopique, mais seulement d’essayer de vivre en toute humanité dans un respect minimum des limites de la vie en communauté.
Limites ? Oh ! Le mot déplaisant. Les contemporains de Noé n’en voulaient point. Les nôtres non plus. Les mots d’ordre (sic) sont plutôt de nos jours : libre entreprise, gain, profit, croissance. Il existe bien quelques faux semblants dé culpabilisateurs : commerce équitable et autre écologie verdâtre, pour faire passer la pilule de ‘’Prends, consomme, sers toi sans limite et tu seras heureux’’. Le gain le plus facile au détriment de l’autre sans être sanctionné, une sexualité débridée sont la cause de ce qui est nommé dans la Bible : Hamas. Oui, vous avez bien lu. Le mot est jeté. Un concept dont un seul, à l’époque, a pu se défendre, et cela uniquement en construisant une arche de protection entre la négativité environnante et ce qui devait être sauvé de l’humanité.
Clin d’œil magnifique du Réel, l’humanité d’aujourd’hui envoie de Turquie, lieu où certainement a échoué l’arche de Noé (sur le mont Ararat), de multiples arches pour cette fois sauver le Hamas actuel, maître incontesté dans la pratique de la malversation, la mauvaise foi et le détournement de conscience.
Nous sommes devenus coutumiers de ce genre d’exercice auquel l’humanité nous a depuis longtemps habitués.
Alors, nous avons le choix entre continuer de rester prisonniers du mythe de l’absurde, et tel Sisyphe répéter, ad vitam aeternam, ce dont on ne voit jamais la fin et le sens.
Ou bien libérer nos inconscients de l’emprise de la mythologie, en utilisant le seul remède ‘’anti-mythes’’ efficace, je veux parler de la Tradition de la Transcendance que la philosophie grecque n’a eu cesse d’étouffer, et, ainsi, de par notre propre lucidité retrouvée, nous élever au dessus de la stupidité du monde. Ce monde qui ne pouvait, et ne peut toujours pas, se représenter qu’un projet cohérent le guide, dans l’impossibilité où il se trouve de décrypter que derrière le chaos apparent peut se cacher une force unificatrice. Règne absolu des forces de la nature comme déterminantes et autonomes, ni Dieu ni maitre, et après moi le déluge…
Si je me pense tout puissant, pourquoi m’appliquer des restrictions, des limites. L’autre n’existe pas et je peux en disposer comme bon me semble. Si l’aveuglement de mes désirs ne me permet pas de lire le Réel, de donner du sens à ce non sens ambiant. Je suis perdu.
Comprendre, c’est unifier.
Tout débute par la conscience et rien ne vaut que par elle. « Bereshit… » Le premier mot de la Bible nous indique la voie, la direction. Nous pouvons décomposer ce mot ainsi: Beroshi…Tav. En hébreu, cela signifie dans ma tète, un Tav, dans ma tète, un signe. Quelque chose qui laisse une trace qui demande à être entendu, à prendre sens, signification.
Le véritable discernement procède de la sphère de Binah, et uniquement de ce lieu une juste vision du monde peut se développer. Pour y accéder, je n’ai d’autre choix que de me construire une arche, une Tevah. Dans la langue du sacré, Tevah signifie: mot.
La véritable protection, l’arche que nous sommes dans l’obligation de construire c’est celle de notre intelligence, de notre compréhension, de notre conscience. De quoi finalement est constituée la conscience, sinon de mots formant un langage intérieur signifiant, permettant à chacun de se faire une idée de lui-même et de son propre environnement. Cependant, seulement depuis le niveau de Binah, du vrai discernement, peut s’ouvrir une conscience unifiée et non tronquée pouvant lire avec exactitude les messages du Réel et ainsi permettre le déplacement nécessaire à un autre possible. Un point de vue ne s’appuyant pas sur la partie étriquée de nous-mêmes, mais sur le noyau sacré dont chaque être est dépositaire, ouvert sur les autres et sur le grand Autre. Alors seulement nous pouvons être à même de construire une réalité nouvelle différente.
Ou bien nous resterons figés dans nos éternels recommencements, nos gestalts inachevées, nos cycles de création/destruction sans pouvoir atteindre le niveau de réhabilitation, de rémission, de grâce qui nous fait tant défaut. Il s’agit de l’accès à ce que l’on nomme en hébreu Teshouva: Retour sur soi, retour vers l’autre, responsabilité, une certaine abilité à recevoir et à donner des réponses L’unique opportunité de stopper le cycle infernal grâce à une ‘’ response/abilité’’ nouvelle, et ainsi trouver l’ajustement créateur. Et je ne suis pas en train de parler de religion mais d’union réparatrice, de réconciliation bienfaisante, de conjonctions de tous les opposés, de fonction symbolique réunificatrice, du seul choix possible face à la séparation diabolique dans laquelle continue de se perdre le monde et qui l’entraine invariablement vers de nouveaux déluges.
Cet éternel message, le peuple devenu juif en fut dépositaire, il accepta la responsabilité de le transmettre, de l’enseigner aux peuples de la terre. S’il reste conscient de sa mission, la poursuit, ses souffrances n’auront pas été inutiles. Sinon…
Au sein de chaque peuple, des voix éclairées se sont de tout temps élevées, ainsi celle du grand poète persan Saadi (1184-1290), qui, un jour, interloqua son audience avec éloquence :
"Les enfants d’Adam sont garants les uns des autres, ayant été créés de la même essence. Quand une calamité affecte un membre, les autres membres ne peuvent demeurer inactifs. Si vous n’avez pas de sympathie pour les ennuis des autres, vous ne méritez pas qu’on vous appelle un homme".
Yehouda Guenassia