Benjamin Fondane
Par Gilles Raphel
Benjamin Fondane est né Benjamin Wechsler (ou Wexler) alias B. Fundoianu, le 14 novembre1898 à Iaşi en Roumanie et mourra assassiné dans la chambre à gaz d'Auschwitz-Birkenau le 2 octobre 1944.
Il fut poète, philosophe, dramaturge, critique littéraire, réalisateur de cinéma et traducteur juif roumain, principalement d'expression française.
Benjamin Fondane est arrivé à Paris en 1923. Il y écrit sa première œuvre en français, Exercice de français, publiée en 1925.
En 1940, Fondane s’engage lors de l'invasion nazie en France. Fait prisonnier, il s'évade, est repris puis sera hospitalisé au Val-de-Grâce pour une appendicectomie. Après avoir regagné son domicile, il travaille à son projet Ulysse, transposant l’Odyssée dans l’errance juive et à divers essais.
Le 7 mars 1944, il est arrêté sur dénonciation par la police de Vichy. Sa femme, Geneviève Tissier, parvient à obtenir sa libération, en tant qu’époux d’une aryenne, mais il décide de ne pas abandonner sa sœur Line arrêtée simultanément. Il est envoyé au camp de Drancy, puis déporté à Auschwitz par le convoi du 30 mai.
Il part pour la chambre à gaz le 2 octobre, le résistant André Montagne témoigne : « Le lundi 2 octobre, dans l’après-midi, les camions vinrent chercher ceux qui avaient été désignés pour la chambre à gaz. Je vois Fondane sortir du block, passer très droit devant les SS, fermant le col de sa veste pour se protéger du froid et de la pluie, monter dans le camion. »
Plaque de commémoration Benjamin Fondane
(Paris)
Sa pensée philosophique, imprégnée de l’existentialisme de Léon Chestov est entièrement tournée vers la
lutte contre le mal : “La liberté ne consiste pas dans la possibilité de choisir entre le bien et le mal (…).
Elle consiste dans la force et le pouvoir de ne pas admettre le mal”. Il est Ulysse, l’Ulysse juif, le juif errant à la recherche du bien dans une lutte permanente : “Je suis de votre race, j’emporte comme vous ma vie dans ma valise”
Dans l’Exode, écrit vers 1934, persuadé de l’abandon de D.ieu, il devient prophète :
« Et pourtant, non!
Je n’ étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes : personne n’a jeté à l’égout vos petits
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices
vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,
Préface du poème l'Exode en hébreu et en anglais
gravée à l'entrée de la Salle des Noms, Yad Vashem
Nous reproduisons ci-après la préface de l’Exode, publié en 1942. Se reconnaissant tout d’abord comme
un homme commun, Fondane se ravise, il est en quelques lignes celui qui porte l’errance, subit le malheu
semble abandonné de D.ieu et cependant demeure à jamais libre. Ces strophes prédisent avec une
étonnante lucidité une fin tragique mais aussi nous éclairent sur les deux piliers de la pensée philosophique
juive que sont l’inaltérable liberté et la notion de visage. Le visage, visage de l’humanité, même dans la pire
barbarie.
Emmanuel Levinas écrira plus tard : "la responsabilité est quelque chose qui s'impose à moi à la vue du
visage d'autrui." Il suffit, et il faut, voir un visage, pour se sentir "ligoté", "otage d'autrui", se sentir
convoqué à la responsabilité.
“Oui, j’ai été un homme comme les autres hommes,
nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,
j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,
j’ai acheté des fleurs et je n’ai pas toujours
payé mon terme.
[…]
J’ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,
et je n’ai rien compris au monde
et je n’ai rien compris à l’homme,
bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer le contraire.
Et quand la mort, la mort est venue, peut-être
ai-je prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai,
je puis vous le dire à cette heure,
elle est entrée toute en mes yeux étonnés,
étonnés de si peu comprendre –
¬avez-vous mieux compris que moi?
Et pourtant, non!
je n’étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes,
personne n’a jeté à l’égout vos petits
comme des chats encore sans yeux,
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices,
vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,
d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,
changeant de nom et de visage,
pour ne pas emporter un nom qu’on a hué
un visage qui avait servi à tout le monde
de crachoir!
Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant vos yeux. Il ne demande
rien! Oubliez-le, oubliez-le! Ce n’est
qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème
parfait, avais-je donc le temps de le finir?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties
qui avait été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j’étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j’avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,
un visage d’homme, tout simplement!”
Exode. Préface en Prose, 1942