Droit des peuples à disposer...
Par Alain Rubin
L’actualité marquée par l’irruption de la révolution en Tunisie met provisoirement au second plan une série de situations de crise politique, voire de crise révolutionnaire profonde. C’est le cas de l’Algérie et de la Côte d’Ivoire notamment.
En Algérie, la crise du système de dictature du FLN, -dictature directement issue de la prise du pouvoir par l’ancienne ALN de l’extérieure, strictement contrôlée par une bureaucratie sélectionnée hors d’Algérie et sans véritable rapport avec l’action des Katibas des maquis, ALN marquée viscéralement par l’étouffement de la démocratie et par les règlements de compte sanglants-se combine à l’affirmation politique du Peuple berbère Kabyle.
Ce dernier a payé le prix fort. En effet, la guerre d’indépendance fut aussi une guerre intestine, menée contre lui, pour éradiquer le nationalisme historique incarné par Messali et ses partisans. Puis il paiera le prix fort à la dictature du FLN. En octobre 1988, il paiera encore le prix du sang, avec plus de 500 tués, cinq cents jeunes mitraillés, pendant la répression des manifestations. Aujourd’hui, ce peuple s’organise. Aujourd’hui, il s’affirme, sur son propre plan historique. Cette année, en exil, le MAK commémorait le Yennaer, le premier anniversaire du gouvernement kabyle en exil, à l’occasion du jour de l’an berbère.
Mercredi 12 janvier, à Tizi Ouzou, 5000 Kabyles ont participé à la marche pacifique convoquée par le MAK. Ce dernier revendique l’autonomie kabyle et les revendications sociales.
Cette perspective, c’est une sorte d’autonomie nationale culturelle, comme on disait dans le mouvement ouvrier international, à l’époque ou les marxistes réfléchissaient sérieusement à la question des nationalités, en relation avec la question sociale.
La Marche pacifique organisé par le MAK à Tizi Ouzou a fait monter de plusieurs crans les exigences : celles de la Démocratie politique et du respect des langues berbères, qui doivent obtenir l’égalité statutaire avec l’arabe, celles de la mise des richesses du pays au service de la population dans son ensemble.
En côte d’Ivoire, la crise ne se dénoue pas et ne se dénouera pas.
Deux Présidents se font face. Ils se nient l’un l’autre. La population ne se sent pas à descendre dans la rue pour légitimer Ouattara, « l’élu », le Président de la « communauté mondiale ».
Ira-t-on vers deux administrations, vers deux gouvernements, vers une dualité de gouvernement, situation caractéristique des révolutions classiques ?
Ira-t-on vers un partage territorial, selon les lignes de clivage correspondant à la division qui existent au sein d’une « nation ivoirienne » qui n’existe pas; clivages qui se sont exprimés dans les majorités et minorités opposées selon les parties du pays ?
Un peu d’histoire
La première guerre mondiale a constitué le terreau qui produira la mise en œuvre du principe de respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
L’éclatement de ce que l’on appelait les empires centraux (Prusse et Autriche Hongrie) et l’empire ottoman, amènera une partie des nations qui les composaient, bon gré mal gré, à vivre de leur vie propre dans leur état nation.
C’est ainsi que les Juifs, en tant que nationalité, -en majorité dispersée et opprimée depuis de longs siècles-, obtinrent la reconnaissance de leur droit à l’existence et au rétablissement de leur vie politique propre au sein d’un foyer national garanti par les instances internationales, dans le respect des autres populations se trouvant sur leur territoire historique.
A l’inverse, d’autres nations ou nationalités n’obtinrent pas la reconnaissance de leur droit à la souveraineté, même à une reconnaissance partielle comme l’obtint la nation juive.
Ce sera le cas des Kurdes, distribués -malgré eux- dans la nouvelle Perse devenue Iran, la Syrie, l’Irak, la toute nouvelle Turquie ottomane, et une portion du Caucase soviétique.
Ce sera aussi le cas de très vieilles populations, -possédant une culture et une conscience, présentant toutes les caractéristiques de la nationalité-, mais que l’on continuera d’étouffer et dissoudre au sein d’ensembles administratifs coloniaux.
C’est toujours la situation oppressive qui caractérisent les populations berbérophones, dispersées pour l’essentiel, -par la colonisation succédant aux conquêtes islamo-arabes puis ottomanes-, au sein des unités administratives de la colonisation française.
C’est aussi le cas des Peuples de l’Afrique noire.
L’Afrique des Noirs a été bouleversée, dans son organisation politique, humaine, économique, par les coups de boutoirs de l’islamisation qui amorcera les traites négrières à grande échelle.
Elle subira, ensuite, les ententes internationales entre les marchands de chair humaine, mettant en place ces carcans dislocateurs que seront les administrations coloniales européennes.
La conférence de Berlin partagera l’Afrique au cordeau.
Elle taillera d’un trait les contours de ce qui deviendront de futurs pays et de prétendues nations. Les partages se feront en fonction des rapports de force entre puissances européennes relayant l’ancien conquistador arabo-musulman, en fonction des forces militaires et économiques. Il en résultera le partage-découpage des ethnies, en tant qu’elles étaient des confédérations tribales ainsi que le fondement historique de toute avancée vers la nationalité.
Les confédérations tribales furent partagées. Elles seront intégrées, contre leur gré, au sein des sous-ensembles administratifs coloniaux.
Avec la « décolonisation », le partage inter colonial des peuples et « peuplades » a été maintenu. Les matériaux humains pour de futures crises ont été accumulés. Ils explosent aujourd’hui, à l’occasion des élections ivoiriennes.
Politiques officiels, journalistes, instances internationales, tous font mine d’ignorer la question des nationalités en Afrique.
Politiques, journalistes, « anti impérialistes » de toutes nuances, anciennes puissances négrières, organisatrices des traites occidentales autant qu’orientales, continuent de traiter l’Africain comme un ancien objet devenu sujet définitivement mineur que l’on menace de la force armée de l’ONU, s’il veut mettre en acte un véritable destin national.
Politiques, journalistes, « anti impérialistes » de toutes nuances, anciennes puissances négrières et/ou coloniales, chacun dans son registre refuse aux Africains le droit à la nation. Par contre, chacun d’eux s’enthousiasme pour le droit à la nation pour des hommes et des femmes qui, jusqu’en 1959 et même encore en 1967, s’estimaient Syriens du sud pour la plupart, et Egyptiens pour beaucoup d’autres.
Ce droit d’un peuple qui n’a, en tant que nationalité, que 51 années d’existence, est devenu une cause sacrée, une cause internationale, la cause des causes, celle qui « indigne » un fonctionnaire diplomatique cacchochyme, s’inventant un passé prestigieux, ainsi que le ban et l’arrière ban des vestiges universitaires du stalinisme et des épigones de Trotski. Ces derniers, pour l’occasion, prostituent la réputation du révolutionnaire intransigeant et rigoureux.
Tandis que le droit à la nation est refusé aux peuples d’Afrique noire. Le partage-mutilation des proto-nations africaines doit perdurer, coûte que coûte.
Leur droit à la nation, aux Africains, ce serait de rester, bon gré mal gré, dans les petites cellules bâties par et pour les puissances négrières puis coloniales.
C’est ainsi qu’on refuse aux Africains ce que l’on a accordé il y a vingt ans aux Tchèques et aux Slovaques. Souvenons-nous quel fut le premier grand acte de la « révolution de velours » : les deux peuples, les deux nations slaves se sépareront bons amis. Elles exerceront le droit affirmé en 1917 par le Président Wilson, à savoir : le droit, -pour deux petites nations, pourtant très proches, tant par l’histoire et la langue, que par le territoire, mais séparés par la religion (le catholicisme chez les Slovaques, le protestantisme chez les Tchèques)-, de se séparer et de proclamer deux républiques indépendantes.
Les élections Ivoiriennes posent avec vigueur, en terre africaine, le droit historique des peuples, le droit à se séparer et à disposer d’eux-mêmes. Elles posent, avec force, le droit à se constituer en état national, sur la base de leurs affinités linguistiques, culturelles, religieuses et politiques.
Aux Africains, on croit toujours possible d’opposer la diplomatie de la canonnière...
Aux Africains noirs, comme aux sahariens et aux Kabyles berbères, comme aux Kurdes, on croit encore possible refuser ce à quoi ils ont droit, ce à quoi ils aspirent : le droit de disposer d’eux mêmes. Jusqu’à quand ?
Alain Rubin