02-03-2010 | |
Le feuilleton du Mossad suspecté d’assassinat à Dubaï a escamoté le flux des nouvelles en provenance de Turquie. Le changement de stratégie vis-à-vis d’Israël, amorcé par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, inquiétait déjà Benjamin Netanyahou qui.... Par:Jacques Benillouche avait compris qu’il ne s’agissait plus d’une simple alerte mais plutôt d’une décision murie et planifiée de longue date. Après ses visites en Syrie puis en Iran, le premier ministre turc avait décidé de se détourner des occidentaux pour s’allier avec les « forces du mal » selon la terminologie américaine. Il cherchait à redonner à la Turquie un statut de puissance régionale en soutenant les palestiniens tout en profitant des déconvenues économiques et financières de la Grèce pour continuer à bloquer les ports et les aéroports de Chypre. En constatant la régression démocratique d’un régime profondément islamique, Nicolas Sarkozy semble avoir raison en affirmant en avril 2009 : « J’ai toujours été opposé à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne et je le reste ». L’Europe ne sentait rassurée car elle savait les militaires postés en embuscade. L’armée turque, connue pour être garante des institutions, tient au maintien des relations privilégiées avec l’occident. Son poids politique, léger en période de stabilité, s’alourdit quand des nuages assombrissent la situation. Elle occupe le poste d’arbitre ultime qui saurait donner de la voix quand ses intérêts seraient touchés. L’Histoire a montré qu’elle voyait d’un mauvais œil toute hypothèque de l’avenir de la Turquie entre des mains islamistes risquant de porter atteinte à l’indépendance et à la laïcité du pays. Rumeurs de complot en 2009 Des bruits sérieux avaient déjà circulé en 2009 sur l’existence d’un complot préparé par un colonel pour favoriser un putsch militaire tendant à renverser le gouvernement. Un document révélé par le quotidien Taraf faisait état d’un « Plan d’action pour combattre le fondamentalisme religieux » établi par le réseau putschiste turc Ergenekon. Ce réseau est composé de militants de l'extrême-droite, d'officiers de l'armée et de la gendarmerie. 300 personnes ont été arrêtées de juin 2007 à novembre 2009, malgré les dénégations molles du chef de l’armée qui feignait d’ignorer que les actions permettant de renverser le gouvernement légitime étaient détaillées par le menu. Cependant, dans sa dernière querelle avec la Turquie, Israël gardait un espoir dans une réaction de l’armée restée pro-israélienne. D’ailleurs, Benjamin Netanyahou n’avait pas envoyé son ministre des affaires étrangères mais son ministre de la défense Ehoud Barak à Ankara pour recoller les morceaux. Israël et la Turquie ont alors annoncé le 17 janvier 2010 la poursuite de leur coopération militaire mais la brouille ne s’était pas estompée pour autant. Pendant des décennies, ces deux pays se sont épaulés face aux défis stratégiques de la région tout en tissant des liens militaires au détriment du monde arabe. Le changement constaté est « un développement inquiétant » aux dires de l’ancien chef d’Etat-major israélien de l’armée de l’air. « La Turquie est vitale pour l’entraînement de nos forces armées aériennes sur de vastes espaces, étant donné surtout la localisation stratégique de la Turquie proche à la fois de l’Iran et de la Syrie.» Il faisait allusion au fait que les bombardiers israéliens avaient emprunté l’espace aérien turc lors de l’attaque du site nucléaire syrien en 2007. Réunir le monde musulman D’autres dirigeants israéliens se sont montrés plus réalistes et résignés : « il se pourrait que la réalité ait déjà changé et que les liens stratégiques que nous pensions continuer avec la Turquie soient simplement terminés». Les palestiniens jubilent et souhaitent que les turcs interviennent comme médiateurs pour rassembler les Chiites et les Sunnites et pour réunifier le monde musulman au détriment de l’Etat juif comme du temps de l’Empire ottoman. Israël a constaté un pas vers cette stratégie avec la participation de la Turquie à l’Organisation des Pays islamiques et à une cession de la Ligue Arabe, entérinant ainsi le virage vers ses ennemis. Nul ne s’inquiète outre mesure d’une hégémonie éventuelle de la Turquie dans la région. Les dernières nouvelles faisant état d’un putsch éventé risquent de changer la donne mais personne ne peut en évaluer les conséquences. Douze militaires, pour la plupart des officiers, ont été inculpés et écroués par un tribunal d'Istanbul pour avoir ourdi un complot visant à renverser le gouvernement islamo-conservateur turc. L'agence Anatolie a annoncé une réunion extraordinaire entre le président Abdullah Gül, le Premier ministre Recep Erdogan, et le chef d'état-major, le général Ilker Basbug. Les autorités turques ont maintenu en examen 20 officiers, dont cinq amiraux et trois généraux, arrêtés en début de semaine pour une tentative de putsch présumée et pour appartenance à une organisation clandestine. Par ailleurs, la justice a prorogé la garde à vue de huit militaires et deux généraux. Chaque jour, de nouvelles arrestations de militaires sont annoncées dans une stratégie d’intimidation amenant au total l’arrestation de 33 officiers pour tentative de coup d’Etat. Atteinte à l’armée Le pouvoir politique turc ne s’était jamais attaqué de front à l’armée. Le premier ministre Erdogan prend donc des risques dont il ne mesure pas les effets pour l’avenir et la stabilité de son pays. S’opposer ouvertement à l’armée et par ricochet à l’occident peut lui coûter le pouvoir à moins qu’il ne soit sûr de la neutralité d’une armée devenue docile. Une dizaine de coups d’Etat ont déjà eu lieu chaque fois que l’armée a senti que le pouvoir civil déviait des préceptes édictés par Kemal Atatürk, le créateur de la Turquie moderne. Mais l’opposition s’interroge sur les raisons de s’en prendre aujourd’hui à des « généraux en pyjama ». En fait, le camp des laïcs étant totalement affaibli par la chape de plomb imposée par les islamistes, les dirigeants au pouvoir se sentent forts pour remettre en cause la Constitution votée après le coup d’Etat de 1980. Ils veulent profiter de cette révision pour rogner sur les prérogatives des militaires et pour islamiser en douceur la Turquie. Israël suit les évènements avec philosophie mais il craint une Turquie islamique forte qui prêterait main forte à un Iran nucléaire. Une éviction des militaires l’amènerait à anticiper les mesures à prendre contre l’Iran. Il a déjà expérimenté des crises aigues qui ont été toutes surmontées. Mais en secret, en raison des liens privilégiés qu’il entretient avec les militaires turcs, il reporte tous ses espoirs sur les pressions que pourrait exercer une armée soumise aux intimidations du pouvoir civil. Elle est la seule à pouvoir susciter une prise de conscience d’un gouvernement islamiste qui devra alors redéfinir sa politique en conformité avec les intérêts occidentaux et avec les intérêts d’une population turque jalouse de ses liens avec le monde occidental. Le premier ministre Erdogan joue avec le feu. . . |