EDITORIAL |
Par Marc Brzustowski
Pour © 2010 lessakele et © 2010 aschkel.info
Après un moment d’affolement, dans l’ensemble des capitales arabes, on a cherché à se rassurer sur le caractère d’exception des évènements de Tunis. L’exemple d’un peuple qui se soulève spontanément pour chasser un dictateur, Ben Ali, fait craindre la tâche d’huile. Il a, aussi, révélé que les vieilles ficelles, comme d’attiser la haine antisioniste en espérant éluder toute question relative à l’absence de développement, n’avait pas réponse à tout.
Bachar al-Assad, le nouvel ami de Washington et Paris, a réuni ses chefs de la sécurité, interdit tout rassemblement, démultiplié les écoutes téléphoniques et décapité tant et plus de paraboles de transmission par câble. Amrou Moussa, l’Egyptien de la Ligue arabe, est plus « modéré », laissant envisager un vent de réformettes pour endiguer le mécontentement, réputé plus contagieux que la grippe H1N1.
Après les manifestations massives en Iran contre la spoliation électorale, la révolution du Jasmin est le deuxième évènement-choc qui réveille en sursaut les Caïds inamovibles du monde musulman. L’une n’a pas abouti et se trouve prise dans les serres d’un régime qui démultiplie les tours de vis. L’autre a passé la première épreuve en faisant fuir devant sa clameur un homme terrorisant, défendu bec et ongles par son voisin et ami Khadafi. L’ancien despote n’apparait plus que comme un escroc de paradis fiscal, parti, avec sa rapace épouse, en emportant 1,5 tonne d’or. Reste à ce peuple le plus long chemin à accomplir : celui d’une véritable recomposition politique librement exprimée, au-delà des mots d’ordre visant à calmer sa fureur…
On prête, généralement, à la « rue arabe », l’idée qu’elle se préoccuperait en priorité de la revendication majeure de l’Organisation de la Conférence islamique : à savoir que « l’injustice suprême » pour un musulman serait l’existence d’Israël. C’est même l’axiome sur lequel repose toutes les diplomaties occidentales, avec cette pression accrue pour adopter des résolutions contraignantes contre Israël. Michèle Alliot-Marie est ainsi venue piétiner quelques « implantations », à Tel Aviv et proférer des menaces doucereuses et « modérées ». Elle marche tête baissée dans le plan unilatéral du cacique non-élu et inéligible Mahmoud Abbas.
Un sondage réalisé, il y a quelques mois par la chaîne TV d’Al Arabiya, auprès d’un large panel de citoyens du monde arabe, démontrait que 70% des sondés affichent une indifférence marquée quant au destin du « processus de paix ». En clair, si cette marotte idéologique de la cause palestinienne n’était pas répétée comme un mantra, les populations risqueraient d’exprimer leurs véritables frustrations et de faire trembler certains de ces pouvoirs sur leur socle. Ce serait, sans doute, pour de toutes autres raisons, et ces états devraient rendre des comptes. La première condition de la paix, hormis la reprise des négociations directes, ne serait-elle pas à portée de main ? Imaginons seulement que ces potentats ligués contre Israël pour conserver leurs trônes, prennent quelques heures de leur temps pour commencer à réfléchir aux voies de la sagesse et de la prospérité commune.
Ces exemples mettent à plat le discours du Caire, homogène et lisse comme un œuf. Ils font dérailler le soutien français à Saddam Hussein, à Ben Ali ou, maintenant, à Bachar al-Assad, comme rédempteur protégeant l’Occident de la marée « verte ». Chaque fois, le pire ennemi de la démocratie est le meilleur ami du pays des « Droits de l’homme ». Comprenne qui peut. En Syrie, les Occidentaux misent sur un matelas économique pour parvenir à un déverrouillage progressif du régime, assorti d’un lâchage par seuil de l’Iran et des groupes terroristes. C’est une illusion sans fond qui permet, précisément, au régime alaouite de jouer sur tous les tableaux, sans jamais céder un pouce de sa poigne de fer ni de ses alliances, sans lesquelles il n’est plus.
Dans ces deux pays, Iran et Tunisie, on assiste à l’émergence brimée d’une classe moyenne, éduquée, mais privée d’accès à la parole. C’est encore une différence majeure avec l’ensemble composite et pluriethnique du monde arabe. En Tunisie le PIB moyen d’un habitant est de 4300 $, soit le double d’un Marocain ou d’un Jordanien. 1/3 de sa jeunesse fréquente l’université. La manne à redistribuer, confisquée par le clan Trabelsi, n’était pas d’origine pétrolière ou gazière. L’Algérie proche, riche à l’excès en matières premières, est victime d’une corruption endémique, mais peut lâcher quelques subsides de temps à autre, sur le mode féodal. L’armée y verrouille tous les accès, en proie à des explosions sporadiques qui, jusqu’à présent, n’ont pu rêver d’un changement de régime.
Le cas de Ramallah reste unique : un corrompu ne s’est pas présenté à une élection depuis son précédent échec, organisé par les Etats-Unis trop pressés, en 2006, face aux islamistes du Hamas. Mais, son existence politique est artificiellement maintenue, grâce à l’illusion diplomatique qu’il finira par « négocier » ou s’autoproclamer chef d’Etat. Il continue de représenter « le meilleur espoir de paix » pour toutes les chancelleries mondiales. Des capitales sud-américaines, elles-mêmes sujettes au népotisme ou au chaos socio-économique, l’ont déjà reconnu comme l’un des leurs ; l’Espagne, parmi les pays en voie de paupérisation accélérée en Europe, s’y prépare.
L’Irak est un autre cas particulier, dans sa marche vers une difficile « normalisation », entre retrait américain et risques de prise de contrôle iranien, via les milices de Moqtada Sadr et le Hezbollah local, réplique à l’identique de son grand frère libanais. Il offre les meilleures garanties de repli tactique pour les séides de Nasrallah, menacés par le Tribunal Spécial.
Au Liban, le Hezbollah a esquissé deux tentatives successives de coup d’état, en moins de 24 heures : lors d’une première simulation, le mardi 18, plusieurs groupes d’une trentaine d’hommes se sont rassemblés en au moins 9 points-clé de la capitale, aux intersections des quartiers chiites et sunnites. Pris de panique, des commerçants ont baissé le rideau de fer, des écoles et des services publics ont préféré fermer. Les blindés de l’armée patrouillaient dans les rues, sans intervenir directement.
On serait passé tout près du point de rupture, mercredi soir, 19 janvier, selon les sources militaires de Debkafile. Les cibles de cet assaut étaient les bâtiments et les troupes de l’ONU au Liban : ses hommes de mains devaient encercler les bureaux de la Commission économique et sociale de l’ONU, pendant que des miliciens en armes auraient contraint les hommes de la FINUL à répliquer à leurs assauts au Sud-Liban, ou à se constituer otages.
Le Hezbollah devait aussi assiéger les bureaux de l’émissaire spécial, Michaël Williams, ceux de l’UNWRA, qui s’occupe des camps palestiniens, ainsi que plusieurs points de liaison de la FINUL à Beyrouth. L’objectif était de contraindre Ban Ki-Moon à réévaluer les actes d’accusation contre plusieurs de ses membres haut-placés. Mais, au dernier moment, Nasrallah a préféré remettre l’opération à une fois prochaine.
Car Ban Ki-Moon aurait pu exiger de l’armée libanaise qu’elle débloque les accès à ses institutions. En cas probable d’échec, il aurait alors dû mandater une résolution au Conseil de Sécurité, pour que des troupes en armes viennent au secours des équipes de la FINUL. L’intervention internationale aurait pu se terminer par le débarquement de troupes de marine américaines, françaises et germaniques, stationnées à proximité des côtes beyrouthines.
A cette heure, on peut considérer qu’on n’en est qu’à la première vague de tests. l’Iran rappelle qu’il se veut seul maître à bord, au pays du Cèdre, comme il dispose d’atouts-maîtres en Irak. Si le Hezbollah se sent acculé, il lui reste jusqu’en septembre prochain, au moins, pour trouver ce qu’il considère comme une « sortie honorable » : il se présente en victime libanaise d’un complot américano-sioniste et peut appeler, à tout instant, ses partisans à l’insurrection, dans un scénario à l’irakienne.
Une guerre des nerfs, bien connue à la frontière israélienne, s’est déclenchée. Cette fois, elle est diffuse dans tout le pays, sans qu’Israël n’ait besoin de faire vrombir le moindre moteur de Merkava. Le risque de choc frontal avec les instances internationales pourrait entrouvrir la porte à la destruction en règle de son stock de 50 000 roquettes et missiles pointés contre Israël, assurant, par ricochet, la sécurité du Tribunal Spécial. Il est certain qu’Ahmadinedjad et Nasrallah réfléchiront à deux fois, avant de lancer les dés. Bachar, quant à lui, sait qu’il ne peut pas, sans dommage, franchir le « seuil critique » et suppléer au renfort de la milice chi’ite en nouveaux Scuds-D…
« L’Axe » est encore loin d’être « échec et mat », grâce à sa nouvelle profondeur stratégique en Irak.
commenter cet article …