Les journaux télévisés de France Télévisions avaient choisi un décompte des otages français excluant l'otage Juif franco-israélienGuilad Shalit. Depuis quelques temps, s'ils continuent de nommer les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ils ont opté pour une référence aux autres otages français dans le monde et aux guides de ces deux journalistes sans y accoler de chiffre. C'est un revirement inattendu et peu satisfaisant.
Un des neuf otages oubliés
Depuis juillet 2010, à chaque édition du journal des chaînes de France Télévisions, les journalistes le présentant rappelaient le décompte des jours de captivité de leurs confrères du service public audiovisuel, Hervé Guesquières et Stéphane Taponnier et de leurs trois accompagnateurs capturés le 30 décembre 2009, en Afghanistan.
Sur un ton grave, le ou la journaliste du JT déclarait : « Cela fait x jours que nos confrères Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ainsi que leurs trois accompagnateurs sont retenus en otages en Afghanistan. Nous ne les oublions pas, ainsi que les six autres otages français retenus dans le monde ». Et certains de préciser les lieux où sont détenus les six autres otages : « au Sahel et au Soudan ». Ce qui excluait l'otage Juif franco-israélien Guilad Shalitkidanppé en 2006 en Israël par le Hamas et détenu dans la bande de Gaza. Une référence vague
Depuis peu - environ quelques semaines -, ces mêmes JT s'achèvent par un rappel laconique et mystérieux. Ainsi, le 4 juin 2011 : "Nous avons une pensée pour nos confrères Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier retenus en otages en Afghanistan avec leurs accompagnateurs. Cela fait 522 jours maintenant. C'est aussi une journée supplémentaire pour les autres otages français détenus dans le monde". Aux téléspectateurs de deviner... Mission impossible pour ceux qui ignorent jusqu'à l'existence de Guilad Shalit, otage dans la bande de Gaza. A noter cependant que le site de France 3 dédié aux deux journalistes français otages nomment toujours, ce 7 juin 2011, les trois accompagnateurs : "Mohammed Reza, Ghulam et Satar". Il est probable que cette page sera modifiée conformément au nouveau leit-motiv.
Pourquoi ces JT de France Télévisions ne donnent-ils pas le nombre exact des autres otages français ? Pourquoi n'indiquent-ils pas le nombre des accompagnateurs ? Pourquoi ce flou si peu journalistique ?
Victoire des organisations juives françaises - Siona,BNVCA (Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme), qui ont réclamé, depuis janvier 2011 pour Siona, aux chaines publiques la prise en compte de Guilad Shalit parmi les "autres otages français dans le monde" ? Force de la conviction de Richard Prasquier, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), qui lors du diner du 9 février 2011, a espéré que ne soit pas oublié parmi les neuf otages français (1) de "mouvements terroristes islamistes" le jeune Guilad, "détenu par le Hamas depuis près de cinq ans, sans contact avec l’extérieur" ? Ou selon le site JSSNews,s'agirait-il du résultat des actions menées depuis mai 2011 auprès de France Télévisions par Yohann Taïeb et Jonathan Curiel, jeunes militants Juifs français, forts "d'une lettre en date du 24 mai émanant du Chef du Cabinet du Président de la République, M. Guillaume Lambert, leur indiquant que le Président avait chargé le Ministre de la Culture et de la Communication de traiter ce dossier" ? Bravo à ces deux militants
Sur le site d'Atlantico, l'écrivain Gérard de Villiers avance le 3 juin 2011 une autre explication concernant la référence imprécise aux accompagnateurs : "Grâce à une source à Kaboul digne de foi, France Télévisions a appris que les deux journalistes ont été livrés à un groupe de talibans parun de leurs accompagnateurs, qui avait changé de camp. Comme on ignore lequel, France Télévisions a décidé de "lisser" sa formule, afin de ne pas encenser un traître". Si ces faits étaient avérés, alors la Mairiede Paris se trouverait dans une position embarrassante. En effet, place de la République, elle a installé le 28 janvier 2011 d'immenses panneauxaccompagnés de cette légende : « Paris solidaire des journalistes - Stéphane Taponier, Hervé Ghesquière - et leurs trois accompagnateurs afghans, Mohamed, Gulam et Satar, enlevés depuis le 29 décembre 2009 en Afghanistan ». Le 6 juin 2011, j'ai interrogé la direction de France Télévisions et de France 3 sur ces mutations sémantiques, sans obtenir de réponse. Le secteur audiovisuel public français pourrait cependant informer ses téléspectateurs des raisons présidant aux changements dans ce triste rappel pluriquotidien et mobilisateur...
Il est triste que France Télévisions ait si longtemps privilégié un nombre d'otages excluant le jeune Juif franco-israélien Guilad Shalit, tout en accordant son attention aux "trois accompagnateurs afghans", pour finalement "botter en touche" en préférant un flou énigmatique au décompte exhaustif des "otages français dans le monde". Le tout avec bonne conscience et sans aucune sanction.
La réactivité ciblée du CSA On peut aussi déplorer le silence du CSA(Conseil supérieur de l'audiovisuel), "autorité administrative indépendante" qui "garantit en France l'exercice de la liberté de communicationaudiovisuelle dans les conditions définies par la loi du 30 septembre 1986" et veille à "la représentation de la diversité de la société française dans les programmes". Autre fait éclairant. Le 6 mars 2010, interpelé sur les contrôles au faciès, le journaliste Eric Zemmour avait déclaré lors de l'émission Salut les terriens, présentée par Thierry Ardisson sur Canal + : «Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes, c’est comme ça, c’est un fait » (2).
Le lendemain, le dimanche 7 mars 2010, Rachid Arhab,président du groupe de travail "Déontologie des contenus audiovisuels" du CSA, a déclaré dans Médias le magazine présenté par Thomas Hughes sur France 5 : le CSA s'était saisi de ces propos "bien avant même la saisine par le MRAP [Nda : Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples] et par le Club Averroès" (3). Ce conseiller a ajouté : "C'est une question que nous avons regardée de très près cette semaine, que nous allons continuer d'examiner". Et de conclure "à titre personnel", sans engager "ses amis et collègues au CSA", qu"'on peut être Arabe et éventuellement pas trafiquant de drogue. On peut être aussi au CSA". Et le 23 mars 2010, le CSA a sanctionné Canal + par une mise en demeure pour ces propos controversés d'Eric Zemmour. On ne peut que regretter que le CSA n'ait pas manifesté les mêmes réactivité et sévérité à l'égard de France Télévisions discriminant ce jeune Juif franco-israélien, le même respect à l'égard d'organisations juives françaises l'ayant informé de cette occultation grave du sort de notre compatriote, la même rigueur à l'égard de France 2 dans l'affaire al-Dura ou dansl'affaire Salah Hamouri, etc. On peut y voir un des signes de l'affaiblissement de la situation des Juifs français dans leur pays et de leurs organisations représentatives.
(1) Voici les noms des otages français dans le monde :
- Gilad Shalit a été capturé en Israël le 25 juin 2006 et est détenu dans la bande de Gaza ;
- Denis Allex, conseiller à la sécurité, membre de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE - service de renseignement), a été enlevé par des islamistes (« Shebabs ») en Somalie le 14 juillet 2009 ;
- Hervé Guesquières et Stéphane Taponnier,journalistes de France Télévisions, ont été capturés le 30 décembre 2009, en Afghanistan ;
- Thierry Dol, Marc Ferret, Daniel et Françoise Larribe, Pierre Legrand ont été kidnappées au Niger en septembre 2010. Le 24 février 2011, Françoise Larribe a été libérée par Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique. (2) Le 18 février 2011, poursuivi par le MRAP, SOS Racisme et la LICRA devant le Tribunal de grande instance de Paris en raison de ces propos, Eric Zemmour a été relaxé du délit de diffamation, mais a été condamné pour incitation à la discrimination raciale à 1 000 euros d'amende avec sursis et 10 000 euros de dommages et intérêts. (3) Créé en 1997, le club Averroès "rassemble près de 400 professionnels autour de la promotion de la diversité dans les médias français".