Ce mois-ci je vous propose de découvrir l'ouvrage de Cathie Fidler
L’auteur :
Cathie Fidler est née en 1947, à Nice, ville où elle s’est enracinée. Issue d’une famille d’émigrés, elle éprouve un attachement très fort pour sa région, celle où les siens ont choisi de s’installer avant sa naissance. Les saveurs du verbe, de la cuisine, de la lumière méditerranéennes ont imbibé sa vie, et sans doute son écriture, tout autant que l’Europe plus nordique de ses ancêtres, ou que les pays anglophones dont elle a longtemps enseigné la langue et la culture. Ce sont ces recettes multiculturelles qu’elle souhaite faire goûter à ses lecteurs.
Le roman :
HISTOIRES FLOUES
Ce sont trois histoires au format un peu inhabituel, à mi-chemin entre la nouvelle et le roman. Un format courant en anglais, moins fréquent en France.
Elles s’intitulent :
Au bout de l’impasse
La gratitude du ouistiti
Un saut en arrière
Elles se passent toutes les trois sur fond d’occupation de la région de Nice, et mettent en scène des survivants de la traque des Juifs, et leurs descendants.
En filigrane de situations fictives, un arrière-plan historique et géographique a été soigneusement documenté.
Il y est question de recherche de secrets, de la curiosité légitime des enfants pour tout ce qui touche à l’histoire personnelle de leurs parents, mais aussi de prendre la mesure de tout ce qui n’était pas si clair, à cette époque-là. Les « méchants » étaient certes très méchants, mais l’un d’entre eux s’avère un « presque Juste », et les « gentils » ont aussi leurs zones d’ombre.
Les descendants des victimes sont-ils tentés de rendre leur propre justice ? Comment s’en sortent-ils ?
Les descendants des délateurs sont-ils indemnes, des décennies plus tard ?
Comment vivre en paix avec soi-même, avec ce passé familial ? Et aussi, comment oublier un premier amour tragiquement achevé, et occulté pendant toute une vie ?
Ce sont autant de questions posées par ces histoires, par leurs personnages attachants, avec des fils conducteurs inhabituels et un ton à la fois émouvant et percutant.
Septembre 1943. Les Nazis ont envahi la zone dite « libre » et traquent les Juifs. Dissimulée dans un placard, la petite Elsie Oppenheimer entend des hommes emmener ses parents, et leurs protecteurs. Elle ne les reverra jamais… Ainsi débute AU BOUT DE L’IMPASSE.
Où sont les héros, où sont les lâches, et quelles furent leurs motivations ? Voilà ce que les survivants et leurs descendants tenteront de découvrir dans chacune de ces HISTOIRES FLOUES, ancrées dans les Alpes-Maritimes sous l’occupation.
Ces trois récits ont en commun la recherche d’une vérité passée, et si les histoires sont floues, c’est que le souvenir comme les perspectives le sont. Chacune nous plonge dans un passé douloureux, voire honteux, dont la mémoire déformée et déformante se transmet bien longtemps après la mort des protagonistes.
Note de l'éditeur - En savoir plus sur l'ouvrage ICI
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[...]
Il faudra lire les trois nouvelles de ce recueil pour que le flou annoncé se dissipe..
[...] Il ne s’agit pas ici d’un butin hétéroclite amassé au fond d’une caverne obscure dans l’attente d’une hypothétique mise au jour qui resterait à interpréter mais plutôt de lambeaux d’humanité arrachés ici et là, et qui finissent par faire sens grâce à l’imagination et au talent de narratrice de Cathie Fidler.
Au fil de l’ouvrage, l’écriture se fait claire, nerveuse comme pour faire écho à l’urgence du propos. Cathie Fidler sait faire exister ses personnages en quelques traits tout en leur donnant une substance, une épaisseur toute charnelle.
Ce qui émerge de cet habile entrelacement de récits et de vies recousues c’est la nécessité d’une parole rédemptrice qui, seule, pourra rendre à l’homme, même au-delà de son existence, la dignité souillée par les circonstances de la vie et les faiblesses humaines.
Michel Borla.
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Mémoire des années de peste brune
Par Albert Bensoussan
La peste brune dont nous voulons ici parler – et qu’on ne finirait pas d’évoquer tant elle persiste et signe du sang juif – désigne la catastrophe hitlérienne déclenchée le 30 janvier 1933, quand un obscur caporal et peintre du dimanche prend le pouvoir en Allemagne et y installe, sous le regard indifférent des autres pays d’Europe, un régime de terreur.
Ses nervis et zélateurs ont revêtu pour uniforme une chemise brune. Un journaliste français, Daniel Guérin, va se rendre sur place et en rapporter un reportage qu’il intitule La peste brune, publié en 1934. Mise en garde dont nos gouvernants incrédules ne tinrent pas compte. Sachons bien, aujourd’hui encore, et peut-être plus que jamais, que les gouvernements face aux génocides et exterminations en tout genre sont, dans le meilleur des cas incrédules, et lâches dans le pire. Tout en gardant bonne conscience. On sait, par exemple, aujourd’hui que les Alliés étaient parfaitement informés de l’existence des camps de concentration et des fours crématoires, et pourtant ils n’ont rien fait. D’autres chats à fouetter, l’égoïsme, l’intérêt de chacun, la veulerie, on expliquera cela comme on voudra.
C’est pourquoi nous ne nous lasserons pas d’accueillir des témoignages sur ces années noires – on peut les qualifier ainsi, tant la couleur brune vira vite au noir – et d’entendre tout ce qui s’écrit sur cette époque déjà lointaine, et pourtant si présente encore à notre mémoire. Je me rappelle, par exemple, qu’à Alger, au début des années quarante et alors qu’on ne savait pas encore qu’un plan de recensement des Juifs d’Algérie avait été établi en vue d’une future déportation, ma mère avait déposé chez une voisine deux valises, l’une pour ma sœur (qui, depuis, a sagement fait son alya) et l’autre pour moi, afin que nous puissions survivre, clandestinement et sous une autre identité. Eh bien, nous recevons aujourd’hui, sur ce même sujet, un recueil de nouvelles intitulé Histoires floues, de la plume de Cathie Fidler, qui nous remet en mémoire, avec justesse et émotion, ces années de peur et de persécution.
Trois nouvelles composent ce récit qui prend sa source en septembre 1943, quand les Nazis, au mépris des accords passés avec Pétain, ce vieillard gâteux qui « avait fait don de son corps à la France », comme il l’avait pompeusement et niaisement déclaré au lendemain de l’armistice du 22 juin 1940, envahirent la zone libre, cet espace rétréci de Vichy à Toulon où tant des nôtres avaient trouvé refuge après l’invasion de la partie nord de la France. Les Allemands, on s’en souviendra, avait aboli cette frontière de refuge et de liberté quelques jours après le débarquement des Alliés à Alger (sur la plage de Sidi-Ferruch) le 8 novembre 1942. Cathie Fidler nous montre là la traque des Juifs, ceux qui se cachent dans des réduits, voire dans des placards, à l’instar d’Anne Franck à Amsterdam, et puis les délations ignominieuses, la fabrication de faux papiers, les déguisements, les identités secourables, les trafics en tout genre, les courses poursuites, la libération enfin, et les cahots – ou le chaos – de l’Histoire avec sa grande Hache meurtrière. De ces récits, nous retiendrons tout particulièrement l’histoire de la petite Etsie Oppenheimer qui a accompagné ses parents depuis l’Allemagne jusqu’au havre de Nice. Depuis l’effacement de la zone libre, ceux-ci, en prévision du pire, ont aménagé une cachette derrière une armoire, et y enferment périodiquement, pour s’y accoutumer malgré l’exiguïté, leur petite fille et son frère aîné. Celui-ci un beau jour, las de se cacher, parviendra à s’enfuir et, plus tard, depuis l’Angleterre, tentera de retrouver sa petite sœur qui, elle aussi, grâce à la prévoyance paternelle, s’en tirera. Un vilain jour (car on ne saurait dire ici un beau jour), les parents alertés par le vacarme d’une descente policière, poussent violemment la fille dans le placard et sous sa cachette en lui recommandant d’y rester sans faire le moindre bruit. Ils disparaîtront définitivement dans la rafle et la fillette, après un long temps de silence, d’obscurité et de peur, sortira enfin au jour et sera recueillie par une voisine bienveillante qui la confiera à un couvent « charitable ». Mettons-y des guillemets car l’auteur soulignera ensuite que la petite a été catéchisée et ne sera rendue par les « bonnes » sœurs qu’à contrecoeur : elle était déjà si douée pour la religion, cette petite ! (On pense évidemment à la fracassante affaire Finaly, ces deux enfants confiés à une institution catholique par des parents qui finiront à Auschwitz, et qui seront baptisés bien malgré eux, avant de rejoindre, au terme d’une recherche rocambolesque et d’un procès retentissant, leur vraie famille en Israël). La pièce maîtresse de ce récit est la lettre de délation, retrouvée après coup. Voici ce texte de corbeau, dont on peut penser qu’il est la pierre angulaire du livre, et peut-être même un document historique : « Nice, le 26 août 1943. A l’attention des Autorités Compétentes. Les époux Bacino cachent des Juifs dans leur maison du Chemin de la Conque Prolongé. Quand allez-vous enfin vous décider à nous débarrasser de cette vermine ? » Cette ignoble lettre de dénonciation entraînera, d’ailleurs, un règlement de compte tardif, mais définitif, car la délatrice sera punie : la fiction, c’est là aussi son mérite, permet ce luxe là, non pas d’établir la vengeance, mais de rétablir la justice. Et nous sommes réconfortés par ces textes de Cathie Fidler, si bien écrits, si joliment contés, si efficaces.
Albert Bensoussan
Albert Bensoussan est le traducteur en français de Mario Vargas Llosa le nouveau prix Nobel de littérature.
(Témoignage paru sur .terredisrael.)
Parole à l'auteur
À PROPOS DE QUELQUES HISTOIRES FLOUES
Voilà ce que j’ai envie de dire pour vous donner envie de lire mes Histoires floues :
D’abord que ce sont des histoires qui ne sont ni trop longues, ni trop courtes. Pas des nouvelles, et pas des romans. Il y en a trois, d’environ 70 pages chacune. De quoi fragmenter la lecture quand on a peu de temps à y consacrer, mais attention, il paraît que quand on en commence une, on ne peut pas la lâcher !
La première, Au bout de l’impasse, met en scène une petite fille cachée dans un placard par ses parents, qui sont, eux, arrêtés suite à une dénonciation. Vont graviter autour de la maison qui les avait abrités, voisins, voisines, religieuses du couvent, médecin, acteurs, témoins et survivants. Chacun avec sa vision, pas très claire, un peu floue de ce qui s’est passé en ces journées tragiques de 1943, à Nice, et dans les années qui ont suivi.
J’ai aimé y faire parler les personnages dans la langue de la région, avec ses particularismes savoureux, que mon éditeur cherchait à corriger, mais inutile de dire que j’ai tenu bon !
La seconde, La Gratitude du Ouistiti, montre une femme, Gaby, (née après la guerre) en quête de la vérité concernant l’homme qui, paraît-il, a sauvé sa famille en 1942, en leur fournissant de faux papiers. C’était le maire du village. Une belle action – sauf que l’homme était entouré de pas mal de flou aussi. Quelles étaient ses motivations réelles ? On les devine, elles n’étaient pas de l’ordre du moral. La vie du village, les petites lâchetés, les retournements de ses habitants en fonction des circonstances, y sont révélés.
Gaby fouille la vie de ses parents, avec la curiosité que nous avons tous pour la jeunesse de nos parents. Elle découvre ce que c’était de « danser sur un volcan », quand le monde entier autour de soi n’était que terreur - et ses convictions en sont ébranlées.
Quant à la troisième histoire, Un saut en arrière, elle se passe à Cannes pendant les journées de libération de la ville. Elle met le projecteur sur une histoire d’amour tragique, également découverte par la fille d’un des personnages, tandis qu’elle nous promène entre Cannes et Vancouver, au Canada, où un autre survivant a occulté un passé héroïque et lâche à la fois. La vie et la mort de parachutistes alliés, leur combat courageux, sont également un des pivots de cette histoire, dont j’ai voulu que l’arrière-plan soit extrêmement documenté sur le plan historique et technique, comme pour les autres, du reste.
Dans les trois cas, la curiosité taraude les descendants : ils fouillent, encore et encore, le passé de leurs parents, de leurs grands-parents - pour découvrir, au fond d’une vieille boîte ou d’une antique valise, les traces enfouies de ce qui a pu leur arriver, avec l’espoir fou de lever le flou qui entoure cette période. Les choses étaient-elles aussi simples qu’on le pense parfois ?
Le lecteur saura-t-il en suivre le fil, résoudre les énigmes, et y voir plus clair ?
Peu importe, car ainsi que le dit un des personnages, ce sont les questions qui comptent, pas les réponses. N’est-ce pas ?
Cathie Fidler
Histoires floues, Éditions Aparis-Edilivre, collection Coup de Cœur, 2009.
Disponible sur le site de l’éditeur, ou en librairie, sur commande.
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