Il faut briser le complot du silence sur le programme nucléaire de la Syrie
par Graham Allison et Olli Heinonen Wall Street Journal, le 6 décembre 2010
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Les Etats-Unis se sont joints à d'autres puissances de premier plan pour orchestrer une conspiration du silence pleine de risques sur le programme nucléaire syrien. La Syrie a rejeté tout programme d'armement nucléaire en ratifiant le Traité de non-prolifération nucléaire en 1969. Pour assurer le monde qu'elle tiendrait cet engagement, elle signa également signé un accord de protection avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (l'AIEA) en 1992.
Pourtant la Syrie ne s'est pas privée d'acheter secrètement un réacteur nucléaire à la Corée du Nord, un pays confronté à un régime de sanctions parmi les plus restrictifs au monde. Si Israël n'avait pas lancé une attaque aérienne contre le site du réacteur d'Al-Kibar en septembre 2007, il produirait aujourd'hui du plutonium pour la première bombe nucléaire de la Syrie.
Mais cette violation des engagements du traité par la Syrie n'a pas été découverte par des inspecteurs de l'AIEA. Et le programme n'a pas été stoppé par des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il a donc été facile pour les puissances mondiales de n'avoir rien vu et de faire comme si ces événements ne s'étaient pas produits.
Il n'est nullement certain que Damas ait abandonné de ses ambitions nucléaires. Depuis novembre 2008, neuf rapports de l'AIEA (le dernier date du mois passé) ont illustré le refus de la Syrie d'accepter des requêtes exigeant des détails supplémentaires sur son programme nucléaire.
La Syrie n'a pas fourni d'explications plausibles sur la présence de particules d'uranium synthétique trouvées par l'AIEA en 2008 à Dair Alzour, sur le site du réacteur bombardé. Plus inquiétant, l'agence a découvert l'existence d'une expérience de conversion sur un réacteur de recherche de Damas que la Syrie n'avait pas signalée. (La conversion de l'uranium est une étape nécessaire pour la mise au point d'un minerai d'usage militaire.)
La Syrie a reconnu qu'elle avait utilisé de l'oxyde d'uranium (nécessaire pour lancer l'enrichissement de l'uranium) dans cette expérience effectuée avec les laboratoires de Homs, qui bénéficient de l'assistance technique de l'AIEA. Cependant, elle n'a pas permis d'accéder à ces laboratoires, disant qu'elle remettrait les discussions et les vérifications en profondeur sur ces matériaux à mars ou avril 2011.
Il est essentiel que l'AIEA établisse s'il y a un lien entre l'uranium trouvé à Dair Alzour, à Homs, et le réacteur de recherche scientifique de Damas, pour s'assurer que tout le matériau nucléaire de Syrie est bien déclaré à l'organisme de contrôle nucléaire international. Mais il n'y a eu de progrès dans l'établissement des faits concernant le réacteur détruit et trois autres sites qui pourraient bien être fonctionnellement en relation avec lui. La Syrie continue de plaider qu'en raison de la nature militaire et non-nucléaire de ces sites, elle n'a aucune obligation de fournir davantage d'informations à l'AIEA. Mais l'accord de protection ne contient pas de limitation de ce genre sur l'accès à l'information sur les activités ou sur l'accès aux sites.
La conception du projet de Dair Alzour semble très similaire à celle du réacteur nord-coréen de Yongbyon. Et la Corée du Nord est capable de produire du combustible pour ce type de réacteur.
Nous avons récemment appris de l'expert nucléaire américain Sigfried Hecker que la Corée du Nord a pu construire un petit site d'enrichissement de l'uranium avec l'aide du Pakistan. Le président syrien Bashar Assad a déclaré à un journal autrichien en décembre 2007 que l'ingénieur nucléaire pakistanais A.Q. Khan, dont la spécialité personnelle a été d'aider à la prolifération, avait offert sa technologie nucléaire à la Syrie. Beaucoup d'ingénieurs et de scientifiques syriens auraient été impliqués dans le projet de Dair Alzour. Que font-ils aujourd'hui, trois ans après le bombardement du site?
Au moment où la Syrie tente de gagner du temps, l'autorité du régime de non-prolifération est de moins en moins affirmée. Cela permet à un précédent fâcheux de s'établir, auquel de futurs pays proliférateurs pourront se référer.
Il est possible de passer aisément à une autre étape. Selon le contrat passé entre la Syrie et l'AIEA, l'agence doit pouvoir obtenir un accès aux sites qui ont bénéficié de son appui technique. Plus précisément, l'accord de protection permet à l'AIEA de conduire "une inspection spéciale" du site de Dair Alzour et d'autres sites suspects. Le 3 décembre, un groupe bipartisan du Congrès américain a invité le Président Obama à faire pression sur l'AIEA pour conduire une telle inspection. Autrement, le monde risque de se réveiller avec une Syrie transformée en seconde Corée du Nord.
M. Allison est directeur du Centre Belfer pour la Science et les Affaires internationales de l'université Kennedy à Harvard et auteur de "Terrorisme nucléaire : La catastrophe finale évitable" (Times Book, 2004). M. Heinonen est un ancien directeur adjoint de l'AIEA; il est maintenant membre du Centre Belfer.