Imad Moughniyeh à la place du mort face au Tribunal Spécial pour le Liban
Par Marc Brzustowski
Pour © 2010 lessakele et © 2010 aschkel.info
C’est donc un avion sans ailes et sans pilote qui, si l’on se fie aux « fuites » du Wall-Street journal, devrait été conduit devant le Tribunal Spécial pour le Liban, à partir de courant décembre. L'un des principaux inculpés serait déjà passé en jugement devant son Créateur, puisqu’il s’agirait d’Imad Moughniyeh :
l’architerroriste courait comme le vent, des baraquements américains et du Drakkar à Beyrouth en 1983, en passant par Buenos-Aires en 1992 et 1994, jusqu’ à la supervision des milices chi’ites irakiennes et quelques trucs de métier pour Ben-Laden, avant d’être stoppé par un appui-tête détonnant, au volant de son 4X4 Pajero Toyota, le 12 février 2008. Comme quoi, on ne peut vraiment se reposer sur rien ni personne.
D’où, bien entendu, on voit légitimement pointer la question à 50 000 $ de la politisation du Tribunal Spécial, consistant à faire porter le chapeau à un guerrier de l’ombre sans tête, ayant précipitamment rejoint les enfers, victime, selon la rumeur qui court toujours, des artificiers très spéciaux d’une puissance régionale très discrète sur ses modes opératoires.
On sait qu’il y a encore peu, le fils du défunt Premier Ministre, Saad Hariri se fendait, en dernier recours, de cette ligne de compromis auprès du Secrétaire général de cette milice terroriste, le Hezbollah : en accusant un mort, et en le traitant comme un dissident extrémiste du mouvement, ainsi que quelques-uns de ses acolytes putschistes, celui-ci pouvait encore conserver presque intacte son image toute en Libanité et éviter d’être accusé de comploter contre la sécurité de l’Etat libanais. Hassan Nasrallah, directeur général de cette agence de communication iranienne, bien entendu, ne s’en laissait pas conter. Le marché de dupes, en effet, n’avait rien pour arranger ses affaires :
accusé d’avoir couvert des exécutions commanditées par l’Iran et la Syrie -même si celle-ci s’en sort à bon compte, en prétendant que le groupe qu’elle nourrit jour après jour depuis son aéroport de Damas échapperait à son contrôle- il perdrait le vernis d’impunité qui le fait exister à Beyrouth, à coups de menaces permanentes de coup d’état-7 mai 2008- ou pire encore, d’actions attentatoires un peu partout sur la planète.
C’est qu’avec la mort du planificateur de bien des coups tordus depuis les débuts du mouvement et coordinateur de la partie immergée de l’iceberg du Jihad mondial, le Hezbollah a perdu gros. Même en laissant la culpabilité sur les épaules rentrées de Moughniyeh, le Hezbollah a un besoin vital de faire peur, à l’interne comme à l’externe. Ce faisant, il est en train de fournir tous les éléments suffisants et nécessaires à l’opinion publique mondiale, utiles à la démonstration qu’il n’a de « libanais » que le nom pour la galerie et qu’il ne saurait avoir qu’une fonction « politique » dans le cadre des institutions du pays du Cèdre. La proposition d’Hariri Junior vise, en effet, à réduire son influence à un rôle d’apparat, en tentant de le neutraliser chaque fois qu’il aurait recours à des méthodes peu avouables.
Sur le plan factuel, il serait plus que douteux que le chef militaire du bras armé de l’Iran, Moughniyeh, alors en pleine possession de ses moyens, n’ait, étrangement, été pour rien dans l’élaboration et la mise en œuvre de l’attentat de grande envergure qui a emporté Rafik Hariri. Comme semblent le démontrer les expertises menées à ce jour, le modus operandi dévastateur équivaut presque à une signature. 22 autres personnes ont suivi l’ex-Premier Ministre dans la mort, lors d’explosions multiples laissant un cratère béant sous le convoi blindé. On savait l’esprit de ce tueur assez « dérangé », voire il était décrit comme un parfait sadique entrant en transe à la seule idée d’une action prochaine. Si le procès risque de se focaliser sur cette personnalité, il ne sera pas le seul inculpé. Une liste de 9 hauts-responsables du Hezbollah s’est réduite à 6, mais non des moindres, et encore frais comme des gardons, ceux-là.
Le principal co-accusé serait le propre beau-frère de l’archi-terroriste, précisément candidat à sa succession : Mustapha Badreddine. D’après le Wall Street journal, il serait bien le principal coupable, comme si, dans le cadre de ce remplacement potentiel, le mouvement terroriste avait voulu le tester en lui confiant cette mission. Ainsi le « fantôme », tel qu’on désignait Moughniyeh de son vivant –et de ce point de vue, rien n’a changé- lui ferait moins d’ombre et il passerait en pôle position, au moins devant le Tribunal spécial. Ce qui est déjà une promotion. On comprend donc que, pour autant que les procédures aboutissent et se concluent ou non par des arrestations effectives, elles visent bien le système incestueux de reproduction et de prolifération du Hezbollah, et ne se contentent de délivrer des brevets de terrorisme à titre posthume.
Malgré son surarmement, la milice chi’ite en est, actuellement, réduite à perpétrer sa guerre psychologique contre le gouvernement et la population libanaise, parfois même contre des agents du Tribunal, comme récemment, lors d’un incident conduit par des femmes dans une clinique de Dahiyeh, au sud de Beyrouth sous son contrôle. Un exercice de grande ampleur, fin octobre consistait à simuler une prise en mains du pays tout entier, de nature aussi « non-violente » et « pacifique » que le nucléaire iranien. Tous les experts s’accordent à penser qu’une telle mainmise ne pourrait pas se réaliser sans coup férir, ne serait-ce que parce qu’une milice sunnite ou chrétienne adverse, ou tout simplement, les gardes de tel bâtiment officiel, ne pourraient pas laisser faire sans réagir. Si les principaux responsables libanais se trouvaient encerclés et dans l’incapacité de trouver refuge, leur marge de manœuvre réduite à néant, il est plus que probable qu’un navire de guerre américain, si ce n’est plusieurs, serai(en)t contraint(s) de mouiller au large jusqu’au dénouement d’une telle crise. Si Arafat, en 1982 bénéficiait de la bienveillance de la France, il est peu probable qu'aucun occidental vienne au secours de Nasrallah. Israël pourrait alors considérer qu’il n’y a plus d’Etat légitime au Liban, excepté le Hezbollah, et décréter l’état de guerre. Sachant que les principaux sites syriens stockent des tonnes d’armes à son intention, il pourrait alors être tout-à-fait avisé d’opter pour des frappes préventives, privant l’armée supplétive iranienne à Beyrouth de tout recours logistique, de façon à venir l’encercler et la hacher menu au grand soulagement, malgré les cris d’orfraie habituels, de la « Communauté Internationale ».
La politique de communication du Hezbollah, sa principale mission au Liban est, aujourd’hui, plus que compromise. Elle se trouve, en effet, à deux doigts de déclarer la guerre au Liban souverain et, dans la foulée, à la Communauté internationale –même si celle-ci ne réagit pas- pour s’opposer à la Justice des Nations. S’il lui prenait de se comporter de telle sorte, elle anéantirait le mythe de « la Résistance » armée contre Israël, mais endosserait, au contraire, l’attitude de l’état putschiste iranien, qui n’a pas besoin de cela, depuis juillet 2009 pour redorer son blason respectueux des institutions et des suffrages. Elle ferait de l’armée israélienne, tapie à la frontière, un recours possible de rétablissement de l’ordre et de l’honneur perdu des Organisations internationales et américaines dans la région, même si c’est à contrecœur pour bien des Etats européens critiques voire violemment antisionistes, dans le monde arabe.
A cette heure, la milice terroriste se trouve prise à son propre piège, sans latitude pour réagir. Quoi qu’elle fasse, elle ne stoppera pas le processus de mise en examen de quelques-uns de ses cadres les plus influents. Même s’ils s’enfuient vers l’Iran ou s’y trouvent déjà, c’est encore un aveu d’allégeance totale et de retour à sa terre d’origine et de refuge. Comme si le diable rentrait dans sa boîte. Avec l’agitation militaire autour de l’Iran, le poids pressurant des sanctions, il reste, entre les mains de Téhéran, le chantage à l’élection d’un Premier Ministre irakien qui lui soit favorable. C’est, en tout cas, la première fois que sa principale force de frappe psychologique au Moyen-Orient, son poste avancé en Méditerranée, s’enfonce à ce point dans le malaise et la perte de crédibilité. Cela ne signifie pas, non plus, que le Liban se réveillera souverain de ce cauchemar, ni que la région en sera quitte d’une dégradation généralisée, à mesure que les menaces se précisent. Au moindre court-circuit la poudrière explosera.
Le chaos actuel en Irak semble bien être le tableau expressionniste de ce sol qui se dérobe sous les pieds de l’Iran, à mesure qu’il croit infliger sa gouverne à l’ensemble du Moyen-Orient et n'impose jamais que la mort à tout ce qu'il touche. La perte de Moughniyeh signifie bien l’équivalence entre terrorisme de la pire engeance et les prétentions à la « lutte armée contre Israël ». Si ce message n’est pas prêt de passer dans les consciences et opinions mondiales, il se peut, néanmoins que toutes les tentatives de délégitimation de l’Etat hébreu ne soient jamais sans retour de flammes et qu’à jouer à ce jeu, même à force de nier les réalités factuelles, celles-ci reviennent toujours en boomerang.
Nasrallah n'a aucun intérêt à donner le "beau rôle" à Israël en mettant ses menaces de coup d'état à exécution. Mais le désespoir de cause et la colère sont mauvaises conseillères.
commenter cet article …