Raphaël Draï
Chronique de radio J, le 17 janvier 2011
« Lorsque l’histoire accélère, elle vous fait le coup du lapin », disait le politologue Bertrand de Jouvenel. Il y a quelques jours à peine, qui aurait pu prévoir et prédire que le Président tunisien allait être renversé et qu’il quitterait à la sauvette, lâchement, le sol de son pays ! D’où la prudence de presque tous les leaders politiques français, de droite comme de gauche, hormis les pétroleurs habituels, et cela jusqu’au milieu de la semaine dernière. Ensuite, faute d’avoir anticipé l’Histoire, l’on a fait mine de l’accompagner et c’est ainsi que l’ex-maître de la Tunisie, au lieu d’atterrir à Paris, s’est retrouvé à Djeddah.
L’Histoire ne se contente pas d’être imprédictible. Elle sait aussi jouer de la dérision puisque l’ex–dictateur – car c’est comme cela qu’on le traite depuis que l’on n’a plus rien à en attendre ou à en craindre - puisque l’ex – dictateur, donc, anti- islamiste impitoyable, a trouvé refuge dans l’un des pays les plus islamistes de la planète, l’Arabie saoudite.
Désormais, pour la Tunisie la pire des politiques serait la politique du pire. Il faut souhaiter que ce pays du Maghreb se dote dans les meilleurs délais du régime le plus apte à répondre aux exigences de sa jeunesse et de ses cadres. Prétendre y instaurer magiquement la démocratie serait trop vite dit. Les suppôts de l’ancien régime n’ont pas jeté leurs dernières armes et les islamistes n’ont pas commencé vraiment à agir.
Ensuite, il faudra attendre pour savoir si la Tunisie va faire des émules en Algérie, au Maroc et ailleurs, et si cet exemple sera celui du respect des libertés, ou celui du retour à l’état de nature, comme disent les philosophes de la politique. Il faudra attendre également pour savoir si la nouvelle démocratie tunisienne, en si violente gésine, saura, vis-à-vis de la démocratie israélienne, se démarquer des Etats qui font de l’anti-sionisme et de l’antisémitisme le ciment de leur fallacieuse unité. Car, en dépit des apparences, le régime de Ben Ali concédait beaucoup et parfois de manière ostensible, au soutien grégaire de la cause palestinienne et l’on comprend mieux à présent dans quel but. La progression de la Tunisie vers une démocratie effective serait, enfin, bénéfique pour la société française tout entière où vivent 600 000 tunisiens et tunisiennes et où il importe que l’alternative à l’islamisme ne soit pas une autre forme d’extrémisme et d’absolutisme, mais bel et bien le goût irrépressible de la liberté dans tous les domaines où c’est elle qui donne son goût à la vie et permet d’en faire consciemment le choix.
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