Merci à Roland pour l'envoi de ce texte
Retrouvez notre série documentaire adaptée d'un cours du Professeur Rina Neher - (la quatrième partie est en cours de réalisation)
ISRAEL-DIASPORA
Actuel paradoxe du Peuple juif
Par Roland DAJOUX
« Israël est le seul peuple à avoir traversé toute l’histoire sans solution de continuité, sans conversion, sans mutation. Il possède à lui seul, cette vertu unique….de l’ancien qui revit, sans brisure, ni altération, dans le nouveau » André Néher
Pendant 2000 ans, les Juifs exilés par les Romains, après la destruction du deuxième Temple, ont prié pour revenir sur leur terre, le Royaume d’Israël.
Pendant 2000 ans, malgré les souffrances, les humiliations, les pogromes, les massacres, ils n’ont jamais renoncé au rêve de revenir sur cette terre promise, la Terre d’Israël.
On ignore souvent qu’une présence juive a toujours persistée sur cette terre convoitée par de multiples envahisseurs. Assyriens, Perses, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Croisés, Ottomans, Britanniques, Jordaniens s’y sont succédés, détruisant, incendiant, exilant, massacrant, avilissant, ou empêchant le retour du peuple juif.
Une remarquable étude de l’historienne Renée Néher [1] dément l’idée très répandue que la présence juive en terre d’Israël avait disparu avec la chute du second Temple. « Cette version a été volontairement déformée par des doctrines religieuses ou politiques. La présence massive en Eretz Israël n’a cessé ni avec la destruction du Temple en 70, ni avec la révolte de Bar Kochba en 135. C’est bien plus tard et progressivement que la population juive deviendra clairsemée, sans cependant jamais disparaître complètement. L’intolérance des chrétiens byzantins au Ve siècle, puis celle des Άbassides et des Fātimides musulmans aux IXe et Xe siècles, enfin et surtout les carnages des croisés en 1099 et leur intolérance dans le royaume chrétien latin de Jérusalem, sont les moments de crise où culminent tragiquement les persécutions contre les Juifs ».
Quel est le mystère de la pérennité de ce peuple juif ? N’est-il pas remarquable de constater que toutes les grandes civilisations égyptiennes, babyloniennes, assyriennes, grecques et romaines, à certains moments de leur histoire, aient été associées ou confrontées au destin du peuple juif ? Or voici que ces empires, les plus puissants de leur époque, ont totalement disparu ou sont simplement réduits à l’état de vestiges, alors que le peuple d’Israël tel le phénix, renaît des cendres des bûchers, des pogroms, des Croisades, de l’Inquisition et de la Shoah.
Aujourd’hui, alors que l’Etat d’Israël existe à nouveau depuis plus de six décennies, prés de la moitié des juifs demeurent encore paradoxalement en exil ! « La diaspora, aurait dû, normalement, succomber à ce qui s’avérait être apparemment l’apogée et le succès du sionisme : la création de l’Etat d’Israël ».[2] Les raisons invoquées pour surseoir au retour sont multiples, raisons économiques, culturelles et paradoxalement « religieuses ». Certains ont peur de ne pas retrouver leur statut socio-économique, d’autres critiquent « la mentalité israélienne » et d’autres encore considèrent que l’exil, émanant d’une décision divine, attendent un ordre divin pour décider de leur retour.
La longueur de l’exil ferait-elle oublier qu’il s’agit d’une situation anormale et provisoire et que la notion d’exil ou galout est consubstantiellement reliée au retour ou géoula ? Le Baal Shem Tov est précis : « L’oubli, c’est l’exil, mais la mémoire est le secret de la délivrance ».
N’est-il pas venu le temps de sortir de « la tension déchirante de l’homme juif en diaspora » dont parle André Néher ? Le juif de la golah habitué à survivre au milieu des nations, doit pour cela, abandonner son identité «mixte » de juif et autre-chose, juif et français ou juif et américain… et retrouver son identité originelle, celle de l’hébreu solitaire face aux nations mais dont l’histoire est indissociable de celle du genre humain.
I. EXIL et DIASPORA
« Mon cœur est en Orient et je suis en Occident, comment pourrais-je trouver plaisir à ce que je mange… Yéhouda HaLevy. Le Kuszari
Selon Léon Askenazi, il faut distinguer la galout, l’exil proprement dit, de la diaspora, tefoutsot en hébreu. On est en galout lorsqu’on ne peut pas revenir a sa métropole, soit parce qu’elle n’existe plus, soit parce qu’on en est totalement empêché. Par contre, on est volontairement en diaspora car on peut mettre fin à cet éloignement par sa volonté. « La situation géographique par rapport a la métropole est apparemment la même, mais la situation existentielle est très différente ».[3]
La notion d’exil est une constante dans l’histoire de l’humanité. Adam et Eve éconduits du Jardin d’Eden où ils furent créés pourraient représenter l’archétype du premier exil. Dans l’histoire d’Israël on peut dire que le phénomène de l’exil fut connu et prévu depuis Abraham, qui s’appelait encore Abram. «Sache le bien, tes descendants seront étrangers sur une terre qui ne sera pas à eux, ils y seront asservis et opprimés durant quatre cents ans ». L’exil est donc bien d’une durée limitée et sa fin fixée d’avance, le texte continue « et alors ils sortiront avec de grandes richesses ». Genèse 15, 13 et14.
Avant le début de l’exil de Babylone, Jérémie a lui aussi, annoncé que l’exil serait limité à soixante dix ans. Cyrus accordera le retour des exilés et le second Temple sera inauguré exactement soixante dix ans après l’incendie du premier Temple. Mais on sait, aussi que la majorité du peuple préféra rester en exil et le deuxième Temple fut brulé par les Romains, quatre cent quatre-vingt années dix après le premier.
Et aujourd’hui, de nouveau, alors que plus de six millions de juifs ont le bonheur de vivre le retour d’Israël sur sa terre et que l’on voit se réaliser sous nos yeux la prophétie d’Ezéchiel (36,8) : « Vous montagnes d’Israël, vous serez recouvertes d’une végétation luxuriante et vous porterez vos fruits pour mon Peuple » ….une partie de peuple demeure encore en exil !
II. ERETZ ISRAEL EST-ELLE UNE TERRE COMME LES AUTRES ?
« Israël et sa terre sont en relation de corps et d’âme ». André Néher
Selon André Néher, il y a ceux qui pensent qu’Eretz Israël est une terre comme les autres, que certains appellent Israël et d’autres Palestine, une terre qui ne serait qu’un accident l’histoire et dont la destinée pourrait être régit par des normes historiques ou par des pourparlers de paix et à l’opposé, il y a ceux qui voient « dans la terre d’Israël et dans Jérusalem, la « Jérusalem céleste » et la « Jérusalem universelle », la Jérusalem de chaque homme, terre promise de chaque homme, l’idéal qui ne trouve peut-être pas de meilleure expression métaphorique pour n’importe quel homme ».[4] André Néher poursuit : « Or il ne s’agit pas pour le peuple juif d’une terre comme les autres, ni d’une terre-pas-comme-les-autres, mais d’un sublimé, métaphorique. Pour les juifs, la terre d’Israël n’est pas une terre comme les autres, mais c’est aussi une terre. Les deux propositions sont inséparables l’une de l’autre. Il y a là une imbrication du physique et du métaphysique qui constitue l’un des éléments de cet irremplaçable ».
Abraham Isaac HaCohenKook dans son livre OROT (premier chapitre, premier paragraphe) écrit : “ La Terre d’Israël n’est pas une réalité extérieure, un bien extrinsèque à la nation ; elle n’est pas uniquement un instrument visant à établir notre unité globale et affermir notre existence matérielle ou même spirituelle. Non, la Terre d’Israël est une entité consubstantiellement rattachée à la nation par un lien de vie, toute entière affectée de caractères internes spécifiques à sa réalité. Aussi, est-il impossible de rendre compte du contenu de la sainteté du sol d’Israël et d’exprimer la profondeur de son amour, en se basant sur les seules données de la raison humaine.
III. L’HEURE EST-ELLE ARRIVÉE ?
« Pendant 2000ans, le Juif a porté en lui cette espérance de redevenir l’Hébreu. Aujourd’hui l’histoire a réalisé cette espérance ». Léon Askénazi
On assiste aujourd’hui à une grande illusion médiatique. Nombre d’intellectuels et personnalités juives, vivants en diaspora multiplient les appels et les pétitions, pour ou contre Israël, selon leurs orientations politiques ou philosophiques. Partagés entre leur ambition hexagonale et leur attachement ou leur rejet de l’Etat hébreu, mandatés par aucune autorité officielle, ils expriment ainsi, leur désir d’apporter un soutien épistolaire à Israël en se parant souvent de l’habit confortable du « politiquement correct » ou au contraire, ils s’alignent sur toute l’argumentation des opposants à l’Etat d’Israël. Ces icones médiatiques ignorent que le destin de l’Etat hébreu ne se joue pas à Paris, à Bruxelles ou même à New York mais à Jérusalem.
En exil on a vite oublié que les juifs furent pendant des siècles considérés comme « le peuple errant », réduit à l’état de fossile destiné à servir de « témoin » à l’Histoire ! Les juifs furent aussi pendant des décennies appelés « israélites », soupçonnés de double allégeance, ils sont encore, aujourd’hui écartelés entre leur nationalité accordée par le pays d’accueil et leur identité ancestrale. Les juifs de la diaspora souffrent d’une affection bimillénaire, la maladie de l’exil.
Le danger pour les juifs n’est plus en Israël mais dans les pays où se multiplient les actes antisémites, dans ces pays qui feront passer leurs intérêts avant vous, juifs de l’exil. Etant minoritaires dans vos pays d’accueil, on risque de vous rappeler, à nouveau, votre double allégeance, songez-y !
Juger Israël à l’aune de la morale est la plus grande hypocrisie du siècle. Tous ceux qui énoncent des critiques moralisantes vis-à-vis d’Israël devraient faire leur examen de conscience. « Les peuples qui ont fait ce qu’ils ont fait au peuple juif, l’Église qui a fait ce qu’elle a fait au peuple juif, ne peuvent pas aujourd’hui aborder les comportements de l’État d’Israël, comme s’il s’agissait d’un peuple sans passé. L’Allemagne aimerait être née en 1945, mais elle ne l’est pas ; la France souhaiterait que le régime de Vichy ait été une parenthèse illégale de l’Histoire, et que le maréchal Pétain n’ait été que le héros de Verdun, mais ce n’est pas le cas ; l’Espagne voudrait fêter 1492 comme la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, mais cette date est aussi celle de l’expulsion des Juifs et le symbole des bûchers de l’Inquisition. » [5]
Dans les Psaumes de David on dit : « ayinou qué holmim » , nous étions comme des rêveurs. Nous étions, en effet comme des juifs qui rêvaient et qui priaient pour revenir sur notre terre. La subtilité de la langue hébraïque nous apprend que la racine halom est la même que haklama qui veut dire convalescence et Israël est seul pays ou l’on peut guérir de la maladie de l’exil !
N’oublions pas aussi que dans cette même racine se retrouve dans le mot lohem, combattant et milhama, guerre et que c’est au moment du retour des exilés que surgit toujours Amalek. [6]
Ce n’est qu’à ce prix qu’Israël passera du temps de David, lui qui à du gagner toutes les guerres à celui de Salomon, son fils qui a pu construire le Temple de la Paix à Jérusalem !
L’école de pensée affirmant que « le jour où on devra recevoir la Terre d’Israël, eh bien on la recevra » est en désaccord avec le Rambam qui affirme que chaque génération est tenue de prendre possession de la Terre d’Israël et que ce commandement n’a jamais cessé de tout temps. L’argument majeur des tenants de l’interdiction de toute initiative humaine, que seul Dieu peut décider de la fin de l’exil est démentie par le Maharal de Prague et par Nahmanide qui nous rappellent que le commandement d’habiter Israël a sa source dans la Thora « Vous prendrez possession du pays et vous y habiterez ». Nombres 33,53.
André Néher en conclue que seul l’Etat d’Israël, dans sa dimension physique et métaphysique, est capable de concilier les « patients » et les « impatients » du messianisme, le sacré et le profane et les trois inconciliables, c'est-à-dire la rencontre des trois peuples bibliques et de tous les hommes, à partir du défi de leur altérité.[7]
« Car mon Temple est destiné à être Maison de prière pour tous les Peuples » Isaïe, LVI, 6-7
Roland Yéhouda DAJOUX
JERUSALEM
daju@netvision.net.il
[1] Renée Neher, La vie juive en Terre Sainte sous les Turcs ottomans, Calmann Lévy
[2] André Neher. Jérusalem, vécu juif et message.
[3] Léon Askénazi La parole et l’écrit. Albin Michel
[4] L’attitude à l’égard d’Israël: le peuple, la terre, l’Etat. Concilium 98 (octobre 1974), 87-94
[5] Ilan Greislammer, Repenser Israël ; Géopolitique d’une paix.
[6] Léon Askénazi, La parole et l’écrit II
[7] L’attitude à l’égard d’Israël: le peuple, la terre, l’Etat. Concilium 98 (octobre 1974), 87-94