Israël est comme une commune de Paris qui n’aurait pas encore été fusillée (*1…)
Par Alain RUBIN
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La lecture des correspondances « spéciales » de Jérusalem ne cesse de me donner la nausée, pas vous ?
Numéro après numéro, articles et tribunes personnelles ou correspondances après articles et tribunes, tout est strictement balisé et répétitif : Israël est un scandale ! Israël est le scandale !!! C’est ce qui m’a suggéré ce titre.
En effet, si en mai 1871, le nabot versaillais, le sanglant Thiers n’était pas parvenu à éradiquer la Commune parisienne, au moyen des fusillades de masses (plusieurs dizaines de milliers de fusillés pendant la semaine sanglante de mai 1871 et des milliers de déportés, en Algérie et en Nouvelle Calédonie), si le premier gouvernement parisien de la démocratie des élus révocables à tout instant s’était maintenu au milieu d’une France versaillaise : il se serait trouvé, précisément, dans la situation des Juifs d’Israël ayant restauré leur souveraineté nationale sur un petit tiers de leur antique patrie ; patrie qui leur fut arrachée au moyen de la transformation de la terre d’Israël en propriété exclusive du califat islamique conquérant au 7ème siècle.
Ce gouvernement aurait été, pour la France versaillaise et tous les gouvernements d’Europe, un scandale permanent. Mais, mai 1948 ne devint pas mai 1871 et l’objectif de la ligue arabe : « jeter à la mer les Juifs survivants » ne fut pas atteint.
Au 16ème puis au 19ème siècle, les souverains ottomans accepteront que le peuple dépossédé radicalement par la conquête islamique reprenne possession de petites portions de la terre de sa patrie, en contradiction avec le « pacte d’Omar » qui interdit aux dhimmis, les sujets non musulmans « protégés », de jouir de la propriété du sol.
La première entorse au pacte d’Omar, assumée par Suleyman le magnifique premier puis par son fils Suleyman le magnifique II, permit à des dizaines de milliers de Juifs chassés de la péninsule ibérique de venir s’installer chez leurs ancêtres qui avaient quitté le pays en compagnie de navigateurs Phéniciens pour s’en aller fonder Carthage puis les colonies puniques de la péninsule ibérique et de la Corse. Le Calife accepta qu’ils se rapproprient, à prix d’or, sept bourgades de Galilée orientale, entre Safed au nord et Tibériade au sud. Les deux cités devinrent les deux métropoles de ce mini Ichouv avant la lettre.
Les Juifs s’y livreront aux cultures maraîchères ainsi qu’aux cultures intellectuelles, faisant de ce petit bout septentrional d’Eretz Israël l’épicentre de la Kabbale, au moyen d’une active industrie du livre.
La seconde entorse ottomane au pacte d’Omar, est plus récente. Elle remonte au 19ème siècle. Aidé par des Juifs fortunés, un retour juif (« Alya » en hébreu) pu se traduire dans le réinvestissement de Juifs dans le travail agricole. Ce travail de la terre et ses produits sont au cœur de la culture juive. Ils font partie intégrante des rituels religieux juifs fondamentaux.
Les ottomans du 19èmes siècle acceptèrent que les Juifs rachètent par petits lots leur pays, le plus souvent de mauvaises terres, des terres laissées trop longtemps en jachères, rendues souvent malsaines par absence d’entretien des cours d’au et par des eaux stagnantes (marais et marécages).
Ces terres leur furent vendues, toujours à des prix supérieurs à leur valeur. Néanmoins, il se trouve des gens pour affirmer le contraire (généralement dans la mouvance « gauche » chrétienne et chez le pseudo marxisme de toutes nuances) et pour qualifier de colonialisme ce retour et ce rachat de ce dont nos ancêtres ont été spoliés par l’acte d’expropriation générale décidé et mis en œuvre par les conquérants arabo musulmans au 7ème siècle.
Si les iroquois revenaient à New York, ou si les Sioux et les Cheyenne se réinstallaient dans les grandes plaines du Middle West, parlerait-on de « colonisation peau rouge », parce certains « blancs » pourraient y voir une remise en cause de leur propre présence désormais plusieurs fois séculaire ?
Mais on nous objectera que les Juifs, ce n’est pas les peaux rouges. Certes.
On nous dira, ici ou là, que les Juifs, ces odieux sionistes qui n’expropriaient pas mais rachetaient leur propre terre en se cotisant, avec l’accord de l’autorité califale, ne sont pas des amérindiens mais des infidèles, et que ce sont même des « chiens d’infidèles » ! et qu’ils sont des colonialistes, objectivement agents des grandes puissances occidentales, qu’ils ont été « punis » par les lois du matérialisme historique et de la lutte des classes ou par Dieu, voire les deux, à plusieurs reprises ; pour cette ou ces raisons, « l’évolution » de l’histoire humaine les a définitivement privé de leur ancien pays ; d’autres diront que Dieu a offert, à titre définitif, cet ancien pays des Hébreux (les Banu Israïl en arabe) aux fidèles du prophète de la Mecque, en leur permettant de le conquérir à la pointe du sabre...
C’est, en résumé, la doctrine de Hamas et de Hezbollah, et plus ou moins celle du Fatah qui se met lui, un brin de fond de teint marxiste avec, autour des yeux, un zest de nationalisme révolutionnaire socialisant, dans le genre « kuomintang de gauche », pour se faire des alliés parmi les gogos antisémites de France et d’ailleurs, ou auprès de ceux des socialistes de la veine de Guesde, ainsi que parmi tous ceux qui se veulent ou se croient, à divers titres, socialistes, et même de terribles révolutionnaires internationalistes.
Alain Rubin
Dans une lettre de Jérusalem, publiée dans son édition du 17 octobre 2008, l’homme que ce quotidien parisien du soir tient pour son correspondant dans la capitale historique des Juifs, Jérusalem, consacre un peu plus de trois tiers de colonne à l’historien israélien Zeev Sternhell.
Le titre est racoleur : « l’historien Zeev Sternhell pris pour cible par l’extrême droite israélienne ».
Ca c’est un titre ! Et dessous quoi ?
La semaine précédente, le correspondant spécial du « monde » s’était vu reprocher un article considéré par beaucoup comme étant seulement de l’agit-prop (c'est-à-dire des mensonges présentés à la manière de la propagande stalinienne) dirigée contre les sionistes.
L’homme avait en effet donné dans son article, paru sous forme de tribune libre, un chiffre saisissant et considérable (pour les besoins de la diabolisation d’Israël), d’enfants tués par les effets collatéraux des opérations de Tsahal contre les organisateurs d’attentats suicides et les lanceurs de quassam agissant depuis la bande de Gaza. Ce chiffre a été dénoncé, comme imaginaire et fruit d’une imagination partisane et débridée, dans différents articles de réponse.
J’attends pour ma part avec intérêt, la réponse du correspondant sur ce point. Il ne manquera certainement pas, s’il respecte un tout petit peu ses lecteurs et le journal qui lui assure sa pitance et son gîte quotidiens, de donner les sources qui le font parvenir à ce chiffre contesté.
L’article concernant Sternhell m’a étonné sur un point qui met en cause ce dernier.
En effet, l’historien israélien est présenté par Michel Bôle- Richard comme étant, je cite : « un socialiste classique, un socialiste de la vieille école, celle de Jules Guesde et de Jean Jaurès. Je suis étonné par cette information, pour plusieurs raisons.
Un « socialiste classique », israélien de surcroît, aurait pu être présenté, ou se présenter lui-même, comme un socialiste dans la tradition maintenue du Poalé Tzionisme de gauche.
Poalé Tzion Smol se voulait un courant marxiste intransigeant. Membre de l’internationale deux et demi**2, il demandera même à pouvoir adhérer à la troisième Internationale fondée à Moscou en 1919 par le parti Bolchevique et les courants socialistes qui partageaient sa vision de la lutte politique et de l’organisation politique de la classe ouvrière internationale.
Poalé Tzion soutenait, aussi bien en Pologne (ou il était brillamment représenté par des hommes comme Emmanuel Ringelblum***3) qu’en Palestine du mandat britannique, la perspective d’un état souverain et socialiste, binational juif et arabe (dans l’esprit de l’austro marxisme qui animait en Europe le grand parti ouvrier marxiste juif de Pologne et de la zone juive de résidence de l’empire du Tsar, le Bund).
Je suis encore bien plus étonné que Zeev Sternhell, historien étant supposé être un bon connaisseur de la politique en France et du mouvement ouvrier socialiste de ce pays, se soit ainsi présenté au correspondant du quotidien parisien. Mais l’a-t-il fait réellement ?
En effet, comment peut-on qualifier de même vieille école socialiste, celle de Jules Guesde et celle de Jean Jaurès ?
Tous deux sont bien les chefs de deux écoles socialistes classiques, mais elles n’étaient pas du tout la même vieille école socialiste.
Prenons deux questions que Sternhell, ou celui qui le fait parler, semble ignorer ou qui ont dues paraître mineures à l’historien ou à celui qui peut être lui a prêté sa propre ignorance :
1° Dans l’affaire Dreyfus, Jaurès et Guesde étaient aux antipodes.
Le premier mit au service de la cause du prisonnier de l’île du diable toute sa puissance politique, toute sa farouche volonté et sa puissance de conviction, pour en faire l’affaire de tout le mouvement ouvrier et de tous les défenseurs de la République, (la République de la grande tradition de 1792).
Le second, considéra que le mouvement socialiste, et plus généralement le mouvement ouvrier, n’était pas concerné par l’injustice subie quotidiennement et pour de longues années par Dreyfus.
Pour Guesde, Dreyfus n’était qu’un « bourgeois, et le POF combattait la bourgeoisie ». Le Parti Ouvrier Français n’avait donc pas à en défendre un, même si ce bourgeois était victime d’une monstrueuse iniquité judiciaire.
Dreyfus était « un officier et le POF combattait le militarisme et le corps des officiers ». Alors on n’allait pas, « nous les socialistes, défendre un membre de la caste militaire ».
En outre, rajoutera Guesde, Dreyfus ne veut même pas être défendu, alors qu’il y a tant de victimes innocentes du capitalisme qui attendent pour être défendues…
Heureusement pour Dreyfus, dans le mouvement ouvrier, le point de vue de Jaurès prévalu sur celui sectaire, étriqué, passif devant l’odieuse machination antisémite, de Jules Guesde et sa vieille école socialiste classique.
2° prenons la question syndicale.
Ce n’était pas rien la fonction et la place des syndicats ouvriers, pour un « socialiste classique », pour un « socialiste de la vieille école ».
Sur ce problème aussi, problème majeur s’il en fut, et s’il en est encore aujourd’hui, Guesde et Jaurès étaient comme deux écoles socialistes absolument opposées.
Guesde défendait âprement que les syndicats ouvriers doivent appartenir en quelque sorte à son parti le POF, tandis que Jaurès défendait leur indépendance totale vis-à-vis de tout groupement politique, fut-il socialiste.
Le congrès de la vieille CGT, celui qui adopta la Charte d’Amiens en 1906, montra que l’école de Jaurès pouvait être très proche des syndicalistes des courants anarcho-syndicalistes (les syndicalistes anarchistes) et, qu’à l’opposé, « l’école socialiste » guesdiste représentait quelque chose que l’on retrouvera plus tard, en France et ailleurs, sous d’autres couleurs, cherchant régulièrement à déposséder les syndiqués et les militants pour les assujettir à une fraction, à un parti, au pouvoir d’état .
Alors, monsieur le Professeur, pour vous : Jaurès et Guesde étaient une même «vieille école socialiste classique » ?
Mais peut-être n’avez-vous rien dit de tout cela au correspondant spécial du quotidien dit de référence ? Peut-être vous l’a-t-il tout simplement fait dire des choses en pensant et en parlant à votre place…
Pour résumer, il y aurait bien d’autres choses à relever dans cette présentation curieuse d’un historien israélien qui :
soit ne connaîtrait que par oui dire le mouvement ouvrier et socialiste en France de l’époque de Jaurès et Guesde, et s’autoriserait pour ces raisons à faire de Jaurès et de Guesde une vieille et même école socialiste classique, sans trop y être allé voir. Ce qui serait tout de même assez curieux pour un homme qui se pique d’une démarche scientifique et s’intéresse paraît-il de très près à l’histoire française
soit il n’a pas tenu les propos qui lui sont prêtés par le correspondant bien connu du quotidien parisien du soir ?
Ce qui ne serait pas moins grave. Cet à peu près jetant plus qu’un doute, une fois encore, quant à la fiabilité des informations véhiculées par le correspondant du quotidien de « référence ».
A suivre ?
Notes
*1- Aujourd’hui on ne fusillerait plus.
Dans le cas d’Israël, pour ce chancre, « ce cancer » (Ahmadinejad), qui dément la victoire de l’islam (la conquête arabo musulmane établissant une souveraineté perpétuelle, le « dar el Islam »), on compte bien être plus expéditif que les Versaillais, au moyen de l’arme thermonucléaire.
**2- la crise de l’internationale socialiste produisit, d’un côté : la troisième internationale, ou internationale communiste, de l’autre l’internationale socialiste maintenue, et au centre, -penchant vers les thèses bolcheviques, mais répugnant à l’extrême centralisation sous le contrôle des émissaires de Moscou contrôlant et sélectionnant l’appareil des partis communistes-, l’internationale dite internationale deux et demi dont Poalé Tzion était membre.
***3- Emmanuel Ringelblum appartenait au courant du Poalé Tzion de gauche (« smol »).
Il fut l’âme de l’équipe « d’Oneg chabbat », qui tint la chronique de la mise à mort des centaines de milliers de Juifs enfermés dans le ghetto de Varsovie de 1940 à 1943. Il sera fusillé, avec son fils et ses quelques compagnons survivants du soulèvement du ghetto de Varsovie cachés chez un militant socialiste polonais, après l’extermination des Juifs de Varsovie.
Il écrivit beaucoup. C’était aussi un véritable historien, un chercheur passionné et passionnant. Il écrivit aussi au sujet des relations socialistes qui s’établiraient entre Arabes et Juifs en Palestine indépendante après la guerre. Il est donc étonnant qu’un homme comme Zeev Sternhell, qui se veut socialiste classique et toujours sioniste, ne se présente pas au lecteur français en se réclamant simplement d’un homme de la conviction socialiste classique et de la trempe de Ringelblum, mais d’une prétendue école socialiste française qui aurait été commune à Guesde et à Jaurès, alors que ces deux hommes étaient opposés entre eux sur les principales questions de tactique et de stratégie du mouvement ouvrier socialiste de leur époque.
PS depuis, notre historien est monté en grade.
Avec Eli Barnavi, il est devenu un des piliers du munichois appel « JCALL », une initiative politique rendant Israël exclusif responsable de ce que ses interlocuteurs ne veuillent pas le reconnaître, quoi qu’il fasse en matière de concession.
Les toutes récentes déclarations du leader spirituel des Frères musulmans, Al Qaradhawi,- haranguant deux millions d’Egyptiens place Tahrir, pour les convaincre de submerger Israël afin d’en finir avec scandale permanent- une terre conquise par l’Islam cessant d’être terre d’islam pour être terre d’islam, de christianisme, d’athéisme, de bahaïsme, et... scandale des scandales, terre de judaïsme non réduit au statut de la dhimmia comme les Coptes d’Egypte- montrent, à qui n’est pas aveugle et sourd volontaire, qu’un accord israélo-palestinien n’est pas une affaire de concession israélienne. Elles montrent, que la nature des concessions, c’est de choisir : la valise ou le cercueil ! Nos brillants universitaires ont à cet égard déjà choisi. Les points de chute qu’ils se sont trouvés, ici et là, en Europe et aux USA ne sont pas trop inconfortables.
Dans mon article je distinguais Guesde et Jaurès sur la question de l’indépendance du syndicalisme vis-à-vis des « écoles socialistes ». La toute récente décision du Bureau confédéral de la CGT, pour financer le « Marmara » français et pour faire de l’antisionisme un point de programme de cette central syndicale, montre que la différence entre Jaurès et Guesde était bien une différence capitale, une divergence majeure et que : soit Sternhell ne connaît rien aux syndicats et au syndicalisme en France, soit qu’il ne connaît rien des « écoles socialistes classiques » en France, soit le quotidien de référence du soir l’a fait parler et a inventé un entretien qui n’a pas eu lieu.