Merci SERGUEI
Nouveau rebondissement dans le feuilleton-fleuve entourant la livraison des missiles russes S-300 à l'Iran: le contrat tient toujours. Une pique de Moscou qui n'a toujours pas digéré le coup de filet contre des espions russes aux Etats-Unis.
"Le contrat n'a pas été annulé", a laconiquement souligné Sergueï Tchemezov, PDG du conglomérat public Rostekhnologuiï, qui chapeaute notamment le monopole russe des exportations d'armements.
Une déclaration d'apparence anodine qui tombe comme un cheveu sur la soupe, alors que Moscou semblait avoir choisi le camp des adversaires de Téhéran.
Cette volte-face russe surprend à plus d'un titre. Approuvées par la Russie, les sanctions de l'ONU adoptées début juin empêchent définitivement la réalisation du contrat signé en 2005 par Moscou et Téhéran sur la vente de cinq systèmes sol-air S-300. Auparavant déjà, le contrat n'avait jamais été honoré en raison de la pression de Washington, qui redoute que ces missiles capables d'abattre un avion volant à 27 km d'altitude ne mettent l'Iran à l'abri d'éventuelles frappes. Téhéran avait maintes fois protesté contre les faux-fuyants russes sur ce dossier.
A la grande joie des Américains, la Russie était récemment allée encore plus loin en reconnaissant en des termes très directs la menace sécuritaire que représente Téhéran. "L'Iran est proche d'avoir le potentiel qui, en principe, peut être utilisé pour créer l'arme nucléaire", a déclaré le président Medvedev lors d'une réunion avec les ambassadeurs russes.
L'ombre des "illégaux"
Le principal frein au ralliement de Moscou à la croisade internationale contre l'Iran était jusqu'à présent d'ordre commercial. Soufflant le chaud et le froid, les Russes disaient redouter l'apparition d'une bombe nucléaire iranienne mais continuaient dans le même temps à construire la centrale nucléaire de Bouchehr et souhaitaient participer à la mise en valeur de gisements d'hydrocarbures dans ce pays.
Toutefois, un événement politique d'une grande résonance est venu se greffer sur la problématique iranienne. Fin juin, Washington faisait voler en éclat la lune de miel entre les deux pays en annonçant l'arrestation de dix espions russes (les "illégaux") immédiatement après la visite aux Etats-Unis d'un Dmitri Medvedev tout sourire. Un morceau de hamburger de trop, qui est resté en travers de la gorge des Russes.
Le scandale a eu l'effet d'une douche froide, et repoussé aux calendes grecques les projets conjoints dans le domaine de l'innovation, si chers à Medvedev. Mais surtout, l'affaire a été ressentie comme une défaite russe. Afin de rapatrier les "illégaux", des espions de bas étage, Moscou a été contraint d'extrader vers les Etats-Unis quatre agents secrets expérimentés, russes de surcroît. Un échange humiliant qui est loin de satisfaire les appétits de revanche côté russe.
Lire l'analyse > PREMIERES LEÇONS DE L’AFFAIRE DES « ILLEGAUX » RUSSES AUX ETATS-UNIS
Le spectre des S-300 ne refait jamais surface par hasard: des rumeurs selon lesquelles la Russie aurait entamé la fourniture de "composantes pour les systèmes de missiles S-300" avaient été relayées en décembre 2008. Soit quelques mois après le conflit russo-géorgien, au comble de la tension dans les rapports est-ouest.
C'est donc Medvedev qui aura le dernier mot dans cette affaire: "la décision devait être prise par le président lui-même", a précisé Tchemezov. Reste à savoir si le chef du Kremlin sera assez rancunier pour jouer l'atout des S-300.
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Iran : La Russie brise l'embargo
Le ministre russe de l’Energie Sergueï Chmatko et le ministre iranien du Pétrole Massoud Mirkazemi se sont rencontrés mercredi à Moscou, et ont signé un certain nombre de contrats d’importance stratégique majeure, l’un d’eux portant sur la livraison à l’Iran de carburants et de produits dérivés du pétrole.
Les formules insérées dans les contrats signés ne laissent aucune place au doute: « la Russie et l’Iran ont l’intention d’intensifier leur coopération, tant dans le domaine de l’approvisionnement, les échanges et la commercialisation du gaz naturel, des carburants et des produits pétrochimiques ».
Plus que cela, Moscou a également aidé Téhéran à contourner l’embargo imposé par Washington sur les institutions bancaires et les compagnies d’assurances qui doivent accompagner les transactions commerciales. Les deux ministres ont notamment prévu la création d’une banque commune aux deux pays, et qui sera chargée de financer les transactions prévues par les contrats signés.
En cela, Moscou brise non seulement de manière ouverte et totale l’embargo décidé par les Etats-Unis sur les produits pétroliers à destination de l’Iran – et qui avaient déjà commencé à porter ses fruits sur l’économie iranienne – mais défie également Washington, pour voir si les Américains se risqueront à prendre des mesures contre les institutions bancaires ou les sociétés russes qui seront impliquées dans ces transactions commerciales. En effet, dans le texte signé par Barack Obama le 2 juillet dernier, il est clairement stipulé « que les Etats-Unis ne coopéreraient plus avec des sociétés ou des banques étrangères qui effectueront des transactions commerciales avec l’Iran dans le domaine pétrolier ». A la suite de cela, la plupart des grandes compagnies d’assurances et pétrolières (BP) ainsi que les grandes banques européennes avaient annoncé « qu’elles se mettaient au diapason de la décision américaine ».
Selon des observateurs de la vie politique russe, c’est le Premier ministre Vladimir Poutine qui se trouve derrière ce virage stratégique russe et qui a téléguidé en coulisses toute l’action du ministre russe de l’Energie, car c’est Poutine qui a la haute main sur la politique énergétique russe.
Le Président Obama se trouve désormais face à un dilemme: s’il tient parole, il risque de provoquer une crise dans les relations avec la Russie, ce qu’il ne souhaite pas. Mais s’il cède, il diffusera au monde entier le message que « l’embargo peut être rompu par qui le souhaite », ce qui fera la joie des nombreuses compagnies pétrolières appartenant à des pays limitrophes de l’Iran, en Asie ou dans la Caucase, et qui se feront un plaisir de commercer avec Téhéran.
Mais le sauvetage de l’Iran ne vient pas que depuis Moscou. Dans les marchés pétroliers, des rumeurs de plus en plus précises indiquent que la Chine et la Turquie sont également sur les rangs pour venir au secours du régime des Mollahs. Selon des images satellites, de longs convois de camions-citernes se pressent aux frontières du Kurdistan avec l’Iran, au nord de l’Irak pour entrer en Iran et livrer du carburant, malgré la présence au Kurdistan de nombreuses troupes américano-irakiennes. Alors si les Etats-Unis n’arrivent pas à faire respecter l’embargo dans des zones où ils sont maîtres, que dire du reste du monde?!!
La diplomatie hypocrite russe se révèle ici dans toute sa splendeur, car de tels gestes politiques et économiques ne s’improvisent pas et semblent préparés de longue date, alors que de l’autre côté, le Président Dmitri Medvedev déclarait encore lundi « que l’Iran était très proche de la possession de l’arme atomique ».
Ces derniers développements de la politique russe, s’ils entrent dans les faits, montreraient aussi, hélas, l’échec du Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou, qui depuis son entrée en fonction tente de convaincre la communauté internationale d’intensifier les sanctions contre l’Iran.
L’embargo américain semblait être la première mesure prise depuis des années, et qui semblait « faire mal » au régime iranien, et voilà que Moscou vient sauver Téhéran et tourner Obama en ridicule.
par Shraga Blum
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