Le verre à moitié vide,
ou l'avenir d'Israel par des politiques éducatives
Par DAVID HOROVITZ
source : jpost
C'est l'histoire d'une entreprise israélienne d'avant-garde. Une de celle partie en guerre contre les fraudes à la carte bancaire. Un jour, elle éveille l'intérêt du grand manitou mondial des transactions en ligne : le célèbre PayPal.
Cette anecdote est inscrite dans le carnet de notes de l'éditorialiste du Jerusalem Post, Paul Singer. Coauteur du livre passionnant sur le monde de l'innovation israélienne, Start-up Nation : The Story of Israel's Economic Miracle (Nation start-up : l'histoire du miracle économique israélien) il aime conter à longueur de conférences les petites histoires les plus marquantes tirées de son livre. Et celle de PayPal en fait partie. Sceptique, le leader mondial est convaincu que son petit frère israélien ne peut pas le détrôner dans la chasse aux fraudes bancaires en ligne. L'entreprise s'est montrée encore plus dubitative lorsqu'elle a appris que le savoir israélien s'étendait à travers le pays. Les doutes se sont vite évanouis, PayPal n'avait plus qu'un objectif : acheter la compagnie gênante, même au prix d'un chèque faramineux. Et la facture est salée : plus de 100 millions de dollars.
Côté pile : une matière grise à travers le monde
L'anecdote est à l'image du livre : montrer Israël sous son meilleur jour. Elle nous aide, nous, citoyens de cet Etat contesté, à être fiers de notre terre et confiants en l'avenir. Sur le terrain économique, Israël connaît des succès à rendre jaloux ses concurrents mondiaux : la plus longue liste d'entreprises cotées au Nasdaq, après les Etats-Unis et la Chine, le plus grand nombre de brevets comparés au PIB de tous les pays du G7, trois fois plus de prix Nobel... Mais cela est-il suffisant pour résoudre les défis économiques, le chômage, la pauvreté et les inégalités criantes sur le terrain de l'éducation ?
Professeur d'économie à l'université de Tel-Aviv et directeur du centre indépendant TAUB spécialisé dans les sciences économiques et sociales, Dan Ben-David est né à Kfar Saba. Il a grandi aux Etats-Unis avant de revenir en Israël pour accomplir son service militaire et faire ses études universitaires. Et revenir outre-Atlantique pour mettre la touche finale à ses études et obtenir un doctorat. Il a mis tout son cœur et ses "tripes" dans le centre Taub, allant jusqu'à refuser un siège à la Knesset lors du retrait d'Ehoud Olmert. Lorsqu'on s'entretient avec lui, on remarque assez vite qu'il utilise allègrement le vocabulaire de la catastrophe : "Nous faisons face à de lourds dangers." "Nous sommes finis si nous ne réagissons pas." "Nous courrons droit vers notre perte." Néanmoins, on peut noter un élément optimiste : il est l'un des rares chercheurs universitaires à être convaincu que "nous n'avons pas encore passé le point de non-retour."
Prononcée par un spécialiste de l'économie, cette phrase a quelque chose de rassurant. Le professeur m'a livré une série de chiffres, des données qui m'ont paru si invraisemblables que j'ai, par honnêteté journalistique, cherché à les vérifier à nouveau, avec son auteur, par téléphone. Malheureusement, ils étaient justes. Ils font partie des dernières données publiées par le centre Taub dans son rapport "Etat de la nation : société, économie et politique".
L'inquiétude concerne d'abord la productivité. Israël caracolait en tête du G-7 dans les années 1970 mais a depuis été distancé.
Puis le professeur s'attaque à la chute relative du PIB national, cette référence cruciale pour déterminer le niveau de vie d'un pays : "Il est en hausse jusqu'en 1972. Israël rejoint les standards de vie américains et tente même de les dépasser dans les décennies 80 et 90." Aujourd'hui, la situation est morose : "Nous évoluons maintenant très doucement. Bien sûr, nous devons affronter guerres et inflation ainsi que l'afflux massif d'immigrants. Mais finalement, ces éléments cachent le vrai problème : quelles sont nos priorités ? Nous n'avons pas pris les bonnes. Nous avons créé une situation dans laquelle une large partie de la population israélienne n'a tout simplement pas les moyens de travailler dans une société moderne.
Ainsi, malgré nos fabuleux résultats en terme d'innovations, Israël prend dangereusement le chemin de la pauvreté", explique Ben-David. Les derniers chiffres de la Banque d'Israël viennent renforcer les conclusions alarmistes du professeur. C'est le phénomène du "travailleur pauvre". Même les foyers dont l'un des membres travaille éprouvent des difficultés à joindre les deux bouts. Et même celui qui "gagne bien sa croûte" parvient à peine à maintenir les siens hors du marasme financier. Ben-David craint deux choses dans l'avenir : qu'Israël ne parvienne plus à attirer les immigrants occidentaux et que ses jeunes cerveaux préfèrent des contrées plus douces. Et comme si ces tristes prévisions ne suffisaient pas, il présente des chiffres fiables qui prouvent que la fuite des cerveaux est déjà en marche.
Exemple : pour 100 diplômés britanniques, 2,1 ont rejoint les Etats-Unis ; 2,9 pour la France et 4,2 pour l'Italie. Et pour Israël ? Le chiffre grimpe jusqu'à 24,9. Mais, contrairement à beaucoup d'autres économistes, Ben-David n'a pas envie d'argumenter sur les bienfaits d'un Etat-providence par rapport à un Etat libéral et sur la question de savoir comment parvenir à un certain équilibre : "Tous ces débats ne sont qu'une perte de temps. En réalité la protection sociale peut aussi présenter des opportunités pour le capitalisme. Donnez aux gens les outils pour travailler dans une économie moderne. Et si vous le faites intelligemment, vous pourrez créer de la croissance."
Côté face : un pays qui travaillera de moins en moins ?
Israël se bat contre la pauvreté depuis plus de 30 ans. En 1979, 26 % des familles israéliennes vivaient en dessous du seuil de pauvreté avant de recevoir des aides du gouvernement. En 2008, Israël avait passé le cap des 30 % (32,3 %). Une augmentation inquiétante comparée aux autres pays de l'OCDE. Même constat concernant l'emploi. Le professeur s'est concentré sur les hommes âgés entre 35 et 54 ans, "ceux qui n'ont aucune excuse pour ne pas travailler". Il montre que ce chiffre avoisine les 12 % dans les pays de l'OCDE. En Israël, il atteint 18,9 %. Comme nous le savons tous, les plus touchés sont les Arabes et les ultra-orthodoxes : 27 % des Arabes israéliens et 65,1 % des ultra-orthodoxes ne travaillent pas.
Cette donnée fait froid dans le dos. Car si on se fie aux chiffres de la démographie, on peut imaginer ce que le pays risque de devenir : une nation qui travaille de moins en moins. En 1960, 15 % des élèves étaient arabes ou ultra-orthodoxes. En 2008, ils représentent 48 %. Et l'évolution ne va pas s'arrêter là : en 2040, selon les prévisions, "78 % des élèves du primaire seront ultra-orthodoxes ou arabes. Si nous n'intégrons pas ces secteurs au marché du travail, nous sommes perdus", explique le professeur.
Mais alors que faire pour éviter le naufrage ? Pour Ben-David, il faut adopter des réformes éducatives radicales. Car une donnée incite à l'optimiste : le taux d'activité pour les Israéliens diplômés. Au terme de leur cursus universitaire, 70 % des femmes arabes israéliennes trouvent un emploi. Le chiffre atteint 90 % pour les hommes arabes et pour les Juifs non orthodoxes. En d'autres termes : l'emploi suit la courbe de l'éducation. Faites des études et vous trouverez un travail.
Mais selon Ben-David, le système s'essouffle.
Parmi ses propositions : mettre un terme à l'afflux de travailleurs étrangers non qualifiés, appliquer à la lettre les lois sur le salaire minimum, améliorer les transports pour faciliter les trajets vers les grandes villes et former en continu les travailleurs à l'économie moderne.
Le plus urgent : les réformes dans le domaine de l'éducation. Adopter un niveau d'exigences plus élevé, des journées d'école plus longues et des efforts accrus dans les quartiers les plus pauvres. Et le professeur Ben-David de conclure : Israël est "une anomalie occidentale" : "Nous avons tout pour être au top. Nous avons les gens pour y parvenir. Mais nous ne pouvons nous offrir le luxe de l'échec : nous avons un Etat à nous tous les 2 000 ans."
Heureusement, selon le professeur, Israël peut compter sur sa descendance. Les femmes des pays de l'OCDE ont en moyenne 1,7 enfant. Celles de l'Etat hébreu en ont trois. "C'est notre espoir. L'Occident ne fait pas assez d'enfants. Nous, oui. Si nous leur donnons la meilleure éducation, nous pourrons prendre l'avantage." Si...
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