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11 avril 2010 7 11 /04 /avril /2010 09:56



L'identité, force de la liberté

Par DAVID BRINN

Source : Jpost

 

Face au bureau du président de l'Agence Juive, Natan Sharansky, à l'entrée de la salle de conférence de l'organisation, trônent deux portraits : l'un est celui du père du sionisme moderne, Théodore Herzl ; l'autre représente le premier président d'Israël, Haïm Weizmann. Mais assis à son bureau ordonné, qu'il occupe depuis sa prise de fonctions en juin dernier en succédant à Zeev Bielski, Sharansky contemple un troisième portrait. Celui d'Andrei Sakharov, dissident et ardent défenseur des droits de l'Homme en URSS.

Natan Sharansky.

(Photo: Ariel Jerozolimski , JPost)

Trois figures, qui ont toutes joué un rôle majeur dans la formation du caractère de Sharansky. Ce sont elles qui ont conduit le jeune ingénieur informaticien à devenir l'emblème de la lutte pour la communauté juive soviétique et à vaincre les sombres pouvoirs des autorités soviétiques. Herzl et Weizmann pour la quête d'un Etat juif - ultime réalisation de l'identité juive - et Sakharov pour le combat de la liberté.

Et ce sont justement ces bases que Sharansky, aujourd'hui âgé de 62 ans, a emportées avec lui à l'Agence juive, dernière étape en date du périple de l'illustre immigrant, arrivé en Israël en 1986, alors entouré d'une aura héroïque. Il établira par la suite son propre parti politique, Israël Baaliya, et sera ministre sous trois gouvernements. Mais c'est sans conteste aujourd'hui, en tant que responsable de la relation entre Israël et le monde juif, que Sharansky se sent le plus à l'aise et le plus impliqué. "J'ai fait le choix de quitter le gouvernement et de venir ici", raconte l'ancien refuznik qui a accepté de se confier au Jerusalem Post à l'occasion des fêtes de Pessah.

"Je sens une grande continuité entre les sujets dans lesquels je me suis impliqué toute ma vie - l'identité juive et la convergence entre nos luttes propres et celles visant à faire du monde un endroit meilleur. Car d'ici, je peux influencer le cours de l'histoire juive." L'homme avait suscité la surprise le mois dernier lorsqu'il avait déclaré, à l'occasion d'une rencontre du Bureau des gouverneurs de l'Agence juive : "Notre but ne doit pas simplement consister à faire venir le plus de Juifs possible en Israël. Il faut qu'une forte identité juive précède l'aliya." Et fermement déterminé, Sharansky avait exposé la meilleure façon d'invoquer et de renforcer le sens de l'identité juive là où celle-ci se trouvait à l'état latent. Vaste entreprise. Mais Sharansky n'en est pas à son premier combat.

Face à cet homme trapu, doux, poli et élégamment vêtu, il est facile d'oublier qu'il a enduré les pires épreuves dans une prison soviétique, où il a été incarcéré pour haute trahison et espionnage durant huit longues années. Jusqu'à ce qu'une campagne internationale lancée par sa femme Avital parvienne à faire obtenir sa libération, en 1986. La nuit même, il arrivait en Israël.

Devant le tribunal soviétique en 1978, avant d'être emprisonné, Sharansky avait conclu son appel par ces mots : "Pendant plus de 2 000 ans, le peuple juif, mon peuple, a été dispersé. Mais où qu'ils aient été, les Juifs ont répété chaque année 'l'an prochain à Jérusalem'. A présent, loin de mon peuple, loin d'Avital, confronté à de nombreuses rudes années d'emprisonnement, je déclare à mon peuple et à Avital : 'l'an prochain à Jérusalem.'" Qui saurait mettre en perspective les notions de peuple et d'identité mieux que l'homme qui déclarait : "Cette année nous sommes esclaves, l'année prochaine nous serons des hommes libres", et qui a vu sa prophétie se réaliser ?

Jerusalem Post : Il y a une centaine d'années, il existait une communauté juive mondiale unifiée et reconnue. Pensez-vous qu'elle existe encore aujourd'hui ?

Natan Sharansky : Je ne suis pas sûr qu'il y ait jamais eu de communauté juive unifiée. On peut peut-être avoir cette impression rétrospectivement. Il y a cent ans, Théodore Herzl découvrait l'idée d'une communauté juive, au moment même où il percevait la nécessité du sionisme et de sauver les Juifs. C'était un Juif assimilé, et il ne se sentait pas appartenir à une quelconque communauté.

Je pense que l'idée de communauté juive évoque différentes choses pour chaque Juif. A cette époque, en Russie, on a pu assister à de grandes luttes entre les Sionistes et les Bundistes (Juifs laïcs socialistes) : ils affichaient une différente interprétation de ce qu'est la communauté juive. Quant à la communauté juive américaine, elle pensait globalement n'avoir rien à voir avec ce qui se passait en Palestine. Dans mon dernier livre, Défendre l'identité : son rôle indispensable dans la protection de la démocratie, j'ai inclus un texte de la Plateforme de Pittsburgh (document central du 19e siècle sur l'histoire du mouvement de Réforme américain, adopté en 1885).

On peut constater la façon dont les principes constitutifs de l'identité juive étaient en train de changer : d'un côté les citoyens américains de confession juive qui ne souhaitaient pas embrasser les idéaux sionistes, de l'autre, les Juifs respectueux des principes de la démocratie américaine pour qui Israël est la base de leur identité. Avec l'exode d'Egypte, deux choses se sont passées : des hommes esclaves sont devenus libres, et ils se sont constitués en tant que peuple.

Le lien entre l'identité et la liberté - au centre de mon intérêt ces vingt dernières années - est exprimé de manière tellement profonde et significative avec la sortie d'Egypte. De tous temps, le fait de comprendre pourquoi certains quittaient ou rejoignaient la communauté juive s'est inscrit dans un débat sur la connexion entre identité et liberté. Les idéaux de justice et de liberté peuvent-ils se combiner avec des idées tribales, nationales et religieuses de la communauté juive ou doivent-ils être séparés ?

Je pense qu'à l'image de ce qui s'est passé au moment de l'Exode biblique, on retrouvait ces conflits dans l'Union soviétique des années 1970 : la connexion profonde entre le combat pour la liberté et celui pour l'identité. Et cela demeure vrai aujourd'hui.

J.P. : Enseigner l'identité juive ne dépend-il pas du pays auquel on s'adresse - que ce soit la Russie, les Etats-Unis, la France ou même Israël ?

N.S. : Si. Selon les pays, la façon dont les Juifs se rendent compte qu'ils sont juifs est différente. En Russie, l'assimilation était absolue et totalement forcée. Par conséquent, le retour aux racines passe par une connaissance basique du judaïsme. D'un autre côté, aux Etats-Unis, la meilleure manière d'alimenter l'identité juive passe par des programmes tels que Birthright, Masa ou Lapid (permettant à des lycéens et des étudiants d'université d'étudier en Israël), ou tout type d'expérience en Terre sainte. En France, il s'agit de renforcer le système d'éducation juive sioniste. Et ainsi de suite.

Mais, quelle que soit la communauté, renforcer l'identité juive est pratiquement impossible sans placer Israël au centre de la question. Sans doute, y a-t-il un grand besoin de renforcer l'identité juive en Israël. Il est intéressant de noter que des Israéliens impliqués dans Partenariat 2000 - programme de partenariat entre communautés juives de l'étranger et communautés israéliennes, mené par l'Agence juive - découvrent pour la première fois leur propre dimension juive, longtemps demeurée en sommeil. Ils ne la suspectaient même pas. Et cela inclut les directeurs de programmes eux-mêmes. Ils pensaient qu'être israélien était au-dessus du fait d'être juif. Pendant des milliers d'années, nous étions des Juifs ; à présent nous sommes israéliens. Nous avons construit l'Etat juif, l'avons défendu, nous parlons hébreu et nous vivons ici - difficile d'être plus juif. Mais nous avons découvert la signification de "communauté juive".

Développer des cours pour les écoles israéliennes dans la diaspora juive fait partie des défis et du nouveau plan stratégique de l'Agence juive. C'est une très grande priorité, pour laquelle nous bénéficions actuellement d'excellents partenaires au sein du ministère de l'Education comme le ministre Gideon Saar et le directeur-général Shimshon Shoshani. Nous envisageons également les prochaines étapes, dans la lignée des programmes Masa et Birthright, pour rassembler des groupes d'Israéliens et de Juifs de la diaspora. Leur expérience renforcera leur identité commune.

J.P. : Quelles priorités de l'Agence juive sont actuellement en train de changer ? Il y a eu des modifications majeures dans l'équipe, avec l'intégration de personnes que vous avez soutenues en son sein. Où va l'Agence aujourd'hui ?

N.S. : Nous sommes en train de préparer la tenue de rencontres stratégiques pour discuter des priorités de l'Agence juive, qui réuniront les 120 membres du Bureau des gouverneurs. A l'assemblée de juin prochain, des propositions seront mises sur la table et, espérons-le, approuvées. En octobre, à notre prochaine rencontre, le budget sera validé. Ainsi, en 2011, nous travaillerons avec de nouvelles priorités.

Bien sûr, nous sommes dévoués à l'aliya, de la même façon que nous sommes dévoués à l'éducation et à la démocratie. Ce qu'on pourrait qualifier d'"aliya choisie" dépend entièrement du renforcement de l'identité juive.

C'est un défi pour les Juifs de la diaspora qui sont confrontés à l'assimilation, et pour les Israéliens pris dans la lutte pour la légitimité de l'existence d'un Etat juif. La clé de tout cela est de développer, étendre, renforcer et défendre ce sentiment d'appartenance à la famille juive. C'est le centre autour duquel toutes nos discussions gravitent, ce qui signifie, en termes pratiques : comment transformer ces idées générales et ces bonnes intentions en programmes concrets et en budgets.

Je rejette l'idée d'une Agence juive qui s'éloigne de l'aliya. L'aliya est l'expression la plus riche du renforcement de l'identité juive. L'idée de rassembler les exilés est toujours présente. Mais elle évolue : il ne s'agit plus de s'évader de pays ennemis ou de sauver des milliers de Juifs, mais d'une aliya choisie.

Il y a quelques jours, j'étais en train de parler à un groupe d'Américains, tous religieux, qui avaient fait leur aliya l'an dernier. Ils m'ont demandé comment il était possible que moi, qui me suis tant battu pour faire mon aliya, je dérive de la lutte pour l'aliya vers la lutte pour le renforcement de l'identité juive. Je leur ai répondu : "Vous savez que Hakadosh Barouch Hou a donné l'ordre 'Lekh lekha'. Vous croyez que des Juifs qui ne veulent pas entendre la voix de Dieu écouteront un shaliah (émissaire) de l'Agence juive leur disant de faire leur aliya ?"

Il est impossible de forcer nos émissaires à concurrencer Dieu et à essayer de crier plus fort que lui pour faire passer le message. Vous ne pouvez pas parler plus fort que le Créateur.

Ce que nous avons à faire est donc d'aider les gens à entendre la voix de Dieu. Comment ? En renforçant leur sentiment de connexion, de fierté et de tradition juives et leur lien avec Israël. C'est notre fonction. Notre fonction n'est pas de leur imposer ce que Dieu lui-même ne peut leur imposer, mais de leur faire entendre Sa voix.

J.P. : Que pouvez-vous dire des Juifs en détresse dans le monde ?

N.S. : Chaque Juif amené depuis le Yémen l'est grâce à une grande collaboration avec la communauté juive mondiale. Je ne veux pas fermer de portes en mentionnant d'autres pays. Nous devons être sur nos gardes. Nous examinons les situations et essayons d'aider tout Juif qui pourrait se retrouver en danger. Nous faisons beaucoup d'efforts pour être sûrs de ne pas arriver trop tard.

C'est peut-être pour les Juifs iraniens que la situation pourrait actuellement être la plus difficile. Si j'en étais un, je réfléchirais sérieusement sur le pourquoi de ma présence persistante dans le pays. Je ne veux pas mentionner d'autres nations car cela rend l'aide plus complexe. Une partie essentielle du travail de l'Agence est similaire à celui de l'armée : être prêt, même si il n'y a pas de guerre. Nous devons nous tenir prêts à sauver des Juifs, même si eux-mêmes n'y pensent pas encore. Il y a des dépenses pour sauver mais aussi des dépenses pour être prêts à sauver. Et tous ces efforts se déroulent loin des yeux du public.

J.P. : Quel genre de message voudriez-vous donner aux lecteurs du Post pour Pessah ?

N.S. : Nous sommes en train d'augmenter notre rôle sur les campus et les universités américaines de façon spectaculaire. Des gens pourront se demander pourquoi dépenser autant d'énergie et d'argent pour cela. J'ai découvert, il y a de nombreuses années, que les campus sont le principal lieu de gestation du peuple juif. Et la boucle est donc bouclée.

Le défi pour les Juifs durant des milliers d'années était de faire le lien entre, d'une part, leur désir de liberté, les idées universelles de justice et de l'autre leur appartenance à la communauté juive et la loyauté à leur "tribu". En général, quand les Juifs sont convaincus qu'il y a un choix à faire, ils privilégient les chemins de l'universalité.

Quand j'étais porte-parole du groupe de surveillance Moscou-Helsinki en URSS, avec Sakharov, certains disaient qu'on ne pouvait pas faire les deux à la fois, qu'il faut impérativement choisir. J'ai senti avec force que je ne voulais pas choisir. Je ne peux pas. Car toute ma force dans mon combat pour la liberté vient de mon identité juive. Sans cela, se battre contre ce genre d'idéaux n'a aucun sens.

Aujourd'hui, dans la bataille qui a lieu sur les campus, nos ennemis tentent de convaincre les étudiants juifs en leur disant que pour faire partie du monde de la justice et de la liberté, il faut se désolidariser d'Israël et se départir de son identité juive. Ces attaques, ces discriminations et ces calomnies résultent du fait que beaucoup de jeunes Juifs ne veulent rien avoir à faire avec leur identité juive.

Notre histoire, celle qui remonte à 2 000 ans, celle de la communauté juive soviétique ou celle d'aujourd'hui, est pleine de situations de ce type. C'est quelque chose que nous devons faire savoir à chaque jeune Juif. Si tu veux faire partie du monde de la justice, de la liberté et du tikkoun olam (réparation du monde), ton identité est source de force dans le combat que tu mènes - ton identité, basée sur notre histoire, nos traditions propres et bien entendu notre connexion avec Israël.

J.P. : Y a-t-il quelque chose dans le Seder de Pessah qui vous a permis de tenir bon pendant vos années en prison ?

N.S. : Je me souviens du premier Seder de ma vie, j'avais 25 ans. J'étais à Moscou avec Avital, quelque mois avant qu'elle ne devienne ma femme. Nous étions un grand groupe d'étudiants apprenant l'hébreu, et nous avions été emmenés là par trois professeurs. Aucun des professeurs ne pouvait lire la Haggada en entier, donc chacun en lisait un tiers. Nous avions appris quelques chansons, comme "Dayenou". Je me souviens que cette phrase du Seder, "cette année nous sommes esclaves mais l'an prochain nous serons des hommes libres" nous avait beaucoup émus. Quelques années plus tard, je me trouvais dans un cachot le soir de Pessah, et j'étais seul. J'ai décidé qu'avec mon pain, mon sel et mon eau chaude, j'allais faire mon propre Seder. Rien d'autre que cela.

J'ai essayé de réciter la Haggada, mais je ne pouvais pas me souvenir de grand-chose. Mais cette phrase "cette année nous sommes esclaves, mais l'an prochain nous serons des hommes libres" me suffisait. Et je me suis rappelé du passage : "A chaque génération, chaque individu doit se comporter comme s'il était lui-même sorti d'Egypte." C'était tellement facile de sentir que c'était vrai, que je faisais partie de cette génération qui garde le flambeau de la liberté. C'était facile de se sentir faire partie d'une grande lutte historique ? Cela m'a donné beaucoup de force.



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