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26 décembre 2010 7 26 /12 /décembre /2010 02:40

 

Banniere Freres musulmans

 

La Grande-Bretagne et la "Fraternité Musulmane" : Collaboration pendant les années 40 et 50

theatrum-belli

La Deuxième Guerre mondiale a vu l’expansion continue de la Fraternité Musulmane qui s’est développée sous la coupe d’Hassan al-Banna dans un mouvement islamiste de masse. Elle était devenue la plus importante société islamique en Egypte et avaient regroupé des adhérents au Soudan, en Jordanie, Syrie, Palestine et Afrique du Nord. Ayant pour but de fonder un état islamique sous le slogan "Le Coran est notre Constitution", la Fraternité prêchait une observance stricte des principes de l’Islam et offrait une alternative religieuse à la fois aux mouvements nationalistes séculaires et aux partis communistes en Egypte et au Moyen-Orient – forces qui devenaient les deux opposants majeurs à l’autorité britannique et américaine dans la région. 

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La Grande-Bretagne voyait l’Egypte comme une base-pivot de sa position au Moyen-Orient, depuis qu’elle déclara un "protectorat" sur le pays à l’aune de la Première Guerre Mondiale. Les firmes britanniques dominaient l’investissement étranger et la vie commerciale du pays, tandis que la base militaire britannique dans la zone du Canal de Suez était devenue la plus importante du monde à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale. L’hégémonie britannique sur le pays était, cependant, défiée de manière croissante par un élan nationaliste galopant et par les forces religieuses de la Fraternité Musulmane, alors que l’ultime allié de Londres dans le pays était son dirigeant, le roi Farouk qui prit le trône en 1936.


La Fraternité avait appelé au djihad contre les Juifs dans le cadre de la révolte arabe en Palestine entre 1936 et 39 et y avait envoyé des volontaires à la suite de l’appel du mufti ; des officiers allemands lui avaient de même porté assistance en développant son bras militaire. L’organisation voyait les Britanniques en Egypte comme des oppresseurs impérialistes et faisait campagne contre l’occupation militaire britannique du pays, particulièrement après la rébellion en Palestine. Dans les premières années de la Deuxième Guerre mondiale, la stratégie britannique à l’encontre de la Fraternité en Egypte consistait principalement en des tentatives de suppression. Encore à l’époque, la Fraternité, qui était liée à la droite politique, jouissait de l’appui de la monarchie égyptienne pro-britannique qui avait entrepris de la financer en 1940. Le roi Farouk considérait les Frères comme d’utiles opposants au pouvoir du parti politique majoritaire du pays, le parti séculaire nationaliste Wafd, et au communisme. Un rapport du renseignement britannique notait que "le Palais avait commencé de considérer l’Ikhwan comme utile et leur avait assuré son égide". Pendant ce temps, de nombreux groupes islamiques en Egypte étaient parrainés par les autorités pour faire face aux rivaux ou pour mettre en valeur les intérêts des Britanniques, du palais ou d’autres groupes influents. 

Le premier contact direct connu entre les officiels britanniques et la Fraternité vint en 1941, à une époque où le renseignement britannique voyait la partisannerie de masse et les actes de sabotage de l’organisation contre les Britanniques comme "le danger le plus sérieux pour l’ordre public" en Egypte. Cette année-là, al-Banna avait été emprisonné par les autorités égyptiennes qui agirent sous la pression britannique, mais c’est à sa libération un peu plus tard cette même année que les Britanniques prirent contact avec la Fraternité. Selon certaines opinions, les officiels britanniques offrirent d’assister l’organisation, "d’acheter" son soutien. Les théories abondèrent quant à savoir si al-Banna avait accepté ou rejeté l’offre de soutien britannique, mais, en prenant en considération le calme relatif de la Fraternité pendant quelques temps après cette période, il est possible qu’elle acceptât l’aide britannique. 

Dès 1942, la Grande-Bretagne avait définitivement commencé à financer la Fraternité. Le 18 mai, les officiels de l’ambassade britannique tinrent une réunion avec le Premier Ministre égyptien Amin Osman Pacha, durant laquelle les relations avec la Fraternité Musulmane furent abordées et un certain nombre de points résolus. L’un fut que "les subsides du parti Wafd vers l’Ikhwani el Muslimin [Fraternité Musulmane]seraient discrètement payés par le gouvernement [égyptien] et qu’ils requerraient quelque assistance financière du même acabit par l’Ambassade [britannique]." De plus, le gouvernement égyptien "intégrerait les agents fiables à l’Ikhwani afin de garder un œil sur leurs activités et nous [l’ambassade britannique]tiendrait informés des éléments remontés par ces agents. Nous, pour notre part, partagerons avec le gouvernement les informations obtenues par des sources britanniques."

Il était pareillement convenu que "un effort serait fait pour créer un schisme dans le parti en exploitant les différends qui pourraient survenir entre al-Banna et Ahmed Sukkari", les deux dirigeants. Les Britanniques transmettraient aussi au gouvernement une liste des membres de la Fraternité qu’ils considéraient comme dangereux mais il n’y aurait aucun geste agressif envers l’organisation. Plus vraisemblablement, la stratégie décidée ci-dessus fut celle du "meurtre par bienveillance." Al-Banna sera autorisé à fonder un journal et à publier des articles qui "soutiennent les principes de la démocratie", ce qui sera un bon moyen "d’éradiquer l’Ikhwani" comme le dit l’un des intendants. 

La réunion discuta également du fait que la Fraternité mettait au point des "organisations de sabotage" et espionnait pour le compte des Nazis. Cela était décrit comme "une organisation religieuse et obscurantiste étroite", mais qui "pourrait fournir des troupes de choc à un moment de trouble", y compris des "escadrons suicide". Avec un nombre de thuriféraires estimé entre 100 et 200 milles, la Fraternité était "implicitement anti-européenne et anti britannique en particulier, au regard de notre situation exceptionnelle en Egypte" ; elle espérait toutefois une victoire de l’Axe, ce qui ferait selon elle "l’influence politique dominante en Egypte." 

En 1944, le Comité de renseignement politique de la Grande-Bretagne décrivait la Fraternité comme un danger potentiel, mais pourvu d’une direction faible : il sentait qu’al-Banna était la "seule personnalité qui sortait du lot", sans qui "cela pourrait aisément s’effondrer". Cette analyse plutôt dédaigneuse à l’encontre de la Fraternité devait être revue dans les années à venir, alors que les Britanniques échangeaient et collaboraient avec elle à la face de l’anticolonialisme croissant en Egypte. 

Ainsi, au terme de la Deuxième Guerre mondiale, la Grande-Bretagne avait déjà une expérience considérable dans la connivence avec les forces musulmanes pour atteindre certains objectifs, alors que les officiels réalisaient aussi que ces mêmes forces étaient généralement opposées à la politique impériale et aux objectifs stratégiques britanniques : ils étaient des collaborateurs temporaires, appropriés pour atteindre des buts bien spécifiques quand la Grande-Bretagne manquait d’alliés ou de suffisamment de pouvoir propre pour imposer ses priorités. La politique d’opportunisme britannique s’intensifiera dans le monde d’après-guerre, comme le besoin en collaborateurs s’accrut dans un environnement mondial beaucoup plus exigeant. 

Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la Fraternité était l’un des deux partis politiques populaires en Egypte, au même titre le parti nationaliste modéré Wafd, et le roi Farouk continua de trouver la Fraternité utile comme rempart aux idées économiques et sociales radicales. La Fraternité est connue pour avoir transmis des informations au gouvernement pour l’aider dans son tour d’horizon perpétuel des communistes avérés ou suspectés, en particulier dans les syndicats et les universités. Cela était cependant toujours une coexistence inconfortable au cœur de l’opposition grandissante à la présence britannique et un courant de violence qui secoua l’Egypte après 1945. 

La confrontation monta bientôt d’un cran entre la Fraternité, encline à expulser l’occupant étranger et finalement à chercher à établir un état islamique, et les Britanniques et le palais. Dans la zone du Canal de Suez, les attaques à la bombe contre les troupes britanniques étaient fréquentes, et les autorités revendiquaient régulièrement la découverte de caches d’armes de la Fraternité. Les Frères tentèrent plusieurs assassinats : entre 1945 et 1948, deux premiers ministres, un chef de la police et secrétaire d’état furent de leurs victimes. En décembre 1948, à la suite de la découverte présumée par les autorités de caches d’armes de la Fraternité et d’un complot ourdi pour renverser le régime, l’organisation fut dissoute, une décision que les Britanniques ont apparemment demandé au gouvernement égyptien de prendre afin de lutter contre leurs activités antibritanniques. Trois semaines plus tard, le Premier Ministre Mahmoud al-Nugrashi, qui avait donné l’ordre de dissolution, fut assassiné par un membre de "l’appareil secret" de la Fraternité Musulmane, son unité paramilitaire, et terroriste, qui mettait en œuvre des attaques à la bombe contre les Britanniques dans la zone du canal. 

En janvier 1949, l’ambassade britannique au Caire rapportait que le roi Farouk "était sur le point d’écraser"la Fraternité, grâce à un récent coup de balai et l’arrestation de plus de 100 membres. Le mois suivant, le fondateur de la Fraternité, Hassan al-Banna, fut lui-même assassiné. Bien que le tueur ne fût jamais trouvé, on croyait largement que le meurtre avait été commandité par des membres de la police politique, et même toléré voire planifié par le palais. Un rapport du MI-6 était sans équivoque, en indiquant que : 

Le meurtre fut inspiré par le gouvernement avec l’approbation du Palais (…) On décida que Hassan al-Banna devrait être retiré du devant de la scène de cette façon du fait que, aussi longtemps qu’il serait en liberté, il risquait de mettre le gouvernement dans l’embarras, alors que son arrestation aurait très certainement mené à de nouveaux troubles avec ses adeptes, qui l’auraient sans aucun doute transformé en martyr de leur cause. 

Les alibis étaient alors déjà tissés. Trois jours après le meurtre, l’ambassadeur britannique, sir Ronald Campbell, rencontra le roi Farouk et rapporta que "Je dis que je pensais que le meurtre avait été commis par les compagnons extrémistes de Hassan al-Banna par peur ou suspicion qu’il renonçât". Le roi Farouk, pour sa part, concocta de même un conte sur la responsabilité incombant aux saadistes (un groupe séparatiste issu du parti Wafd, nommé d’après l’ancien dirigeant du parti et premier ministre, Saad Zaghoul). Le diplomate expérimenté de la Grande-Bretagne en Egypte avait clairement une connivence avec les meurtriers d’al-Banna pour couvrir l’affaire. 

En octobre 1951, la Fraternité élut comme son nouveau dirigeant l’ancien juge, Hassan al-Hobeidi, une figure qui n’était pas associée publiquement avec le terrorisme, qui fit connaître son opposition à la violence de 1945-49. Hobeidi était pourtant incapable d’affirmer son contrôle sur les factions parfois concurrentes de l’organisation. La Fraternité renouvela son appel au djihad contre les Britanniques, encourageant les attaques sur les Britanniques et leur propriété, organisa des manifestations contre l’occupation et tenta de pousser le gouvernement égyptien à l’état de guerre contre la Grande-Bretagne. Un rapport de l’ambassade britannique du Caire publié fin 1951 établissait que la Fraternité "dispose de longue date d’une organisation terroriste qui n’a jamais été brisée par une action policière", malgré les récentes arrestations. Cependant, le rapport minimisa les intentions des Frères à l’encontre des Britanniques, indiquant qu’ils "envisageaient d’envoyer des terroristes dans la zone du Canal" mais "qu’ils n’avaient guère l’intention d’engager leur organisation en tant que telle dans une action contre les forces de Sa Majesté". Un autre rapport notait que, malgré la responsabilité de la Fraternité dans certaines attaques contres les Britanniques, cela était probablement dû à "l’indiscipline", et il "semble que cela entre en conflit avec la politique des dirigeants". 

Au même moment, en décembre 1951, les dossiers montrent que les officiels britanniques essayaient d’arranger une rencontre directe avec Hobeidi. Plusieurs réunions furent tenues avec un de ses conseillers, un certain Farkhani Bey, dont on ne sait pas grand-chose, bien qu’il ne fût pas en apparence lui-même membre de la Fraternité. Les dossiers britanniques déclassifiés indiquaient que les dirigeants de la Fraternité étaient tout à fait prêts à rencontrer les Britanniques en privé, ce malgré leurs appels publics aux attaques contre eux. A cette époque, selon le bureau des Affaires Etrangères, le gouvernement égyptien offrait à Hobeidi de "substantiels pots-de-vin" pour empêcher la Fraternité de poursuivre les violences contre le régime. 

Puis, en juillet 1952, un groupe de jeunes officiers nationalistes de l’armée missionnés pour renverser la monarchie égyptienne et ses conseillers britanniques prit le pouvoir par un coup d’Etat et se proclama Conseil de Commande de la Révolution (CCR), avec pour président le général Mohammed Naguib et pour vice-président le colonel Gamal Abdel Nasser. Les soi-disant "Officiers Libres" destituèrent Farouk le probritannique et se débarrassèrent de la vieille garde, en promettant une politique étrangère indépendante et des changements internes généralisés, notamment une réforme agraire. Un conflit entre Naguib et Nasser mena progressivement à la déchéance de Naguib fin 1954 et à l’accession de Nasser au plein pouvoir. La Fraternité Musulmane, heureuse de voir le retour du régime pro-occidental du roi, soutint initialement le coup d’Etat, et avait en fait des liens directs avec les Officiers Libres. L’un d’entre eux, Anwar Sadat, décrivait plus tard son rôle comme celui de l’intermédiaire avant le coup d’Etat entre les Officiers Libres et Hassan al-Banna. "Il était clairement l’un des Officiers Libres sur lesquels comptaient les Frères pour aider leur dessein politique", écrivait plus tard l’ambassadeur de Grande-Bretagne au Caire, sir Richard Beaumont, après que Sadat a succédé à Nasser comme président en 1970. La Fraternité assista les dirigeants révolutionnaires grâce à un important soutien intérieur, et de bonnes relations furent maintenues le reste de l’année 1952 et au long des quelques années qui suivirent. 

Au début de l’année 1953, les officiels britanniques se réunirent directement avec Hobeidi, de manière ostensible pour sonder sa position quant aux prochaines négociations entre la Grande-Bretagne et le nouveau gouvernement égyptien au sujet de l’évacuation des forces armées britanniques d’Egypte ; l’accord pour 20 années signé en 1936 viendrait à expirer sous peu. Comme certains dossiers britanniques demeurent censurés, on ne sait pas précisément ce qui a transpiré à ces réunions, mais Richard Mitchell, l’analyste occidental majeur de la Fraternité Musulmane égyptienne, a documenté ce que les différents partis, les Britanniques, le gouvernement égyptien et la Fraternité, disait subséquemment à leur propos. Mitchell conclut l’entrée de la Fraternité dans ces négociations fut à la demande des Britanniques et présentait des difficultés pour les négociateurs du gouvernement égyptien, en fournissant "un avantage au côté britannique".  Les Britanniques, en fouillant les points de vue des Frères musulmans, reconnaissaient effectivement leur voix dans les affaires de la nation, et Hobeidi, en acceptant les discussions, perpétuait cette notion et ainsi affaiblissait la mainmise du gouvernement. Le régime de Nasser condamna ces rencontres entre les Britanniques et la Fraternité en tant que "négociations secrètes (…) dans le dos de la révolution", et accusa publiquement les officiels britanniques de connivence avec les Frères. Ils désignèrent également Hobeidi responsable pour avoir accepté certaines conditions pour l’évacuation britannique d’Egypte, ce qui liait les mains des négociateurs du gouvernement. 

Selon le peu d’informations disponibles, la stratégie britannique consiste en un traditionnel "diviser pour régner", visant à gagner du "levier" sur le nouveau régime dans la poursuite de leurs intérêts propres. L’entretien par les Britanniques de la Fraternité ne pourrait qu’accentuer les tensions entre le régime et la Fraternité et renforcer la position de cette dernière. Des mémos internes britanniques indiquent que les officiels britanniques entretinrent Nasser au sujet de quelques uns de leurs rencontres avec Hobeidi et d’autres membres de la Fraternité, l’assurant naturellement que Londres n’agissait pas en sous-main. Cependant, le seul fait qu’elles avaient lieu instilla le doute dans l’esprit de Nasser quant à la fiabilité de la Fraternité. A cette époque, les officiels britanniques croyaient que la Fraternité et ses groupes paramilitaires étaient "à la disposition des autorités militaires" et que la Fraternité voulait faire payer au régime un genre de tribut pour ce soutien qu’elle apportait, comme en introduisant une "constitution islamique". 

Les dossiers contiennent de même une note d’une rencontre entre les officiels britanniques et de la Fraternité le 7 février 1953, dans laquelle un individu du nom d’Abou Rugayak déclara au conseiller oriental de l’ambassade britannique, Trefor Evans, que "si l’Egypte cherchait un ami à travers le monde, elle n’en trouverait pas d’autre que la Grande-Bretagne". L’ambassade britannique au Caire interpréta ce propos comme démontrant "l’existence d’un groupe au sein des dirigeants de la Fraternité qui était prêt à coopérer avec la Grande-Bretagne, même si c’était exclus avec l’Occident (ils se méfiaient de l’influence américaine)". Une note manuscrite sur cette partie du mémo de l’ambassade dit : "La déduction (…) semble justifié et est surprenante". Le mémo indique également que la volonté de coopérer "provient probablement de l’influence croissante de la classe moyenne dans la Fraternité, au regard de la direction éminemment populaire du mouvement à la période d’Hassan al-Banna".

En octobre 1954, époque à laquelle la Fraternité cherchait à promouvoir une résurgence populaire, son "appareil secret" tenta d’assassiner Nasser alors qu’il prononçait un discours à Alexandrie. Subséquemment, des centaines de membres de la Fraternité furent arrêtés et beaucoup torturés, tandis que ceux qui s’échappèrent partirent en exil à l’étranger. En décembre, six Frères furent pendus. L’organisation fut éradiquée dans les faits. Parmi ceux arrêtés, et horriblement torturés, était Saïd Qutb, un membre du Comité de direction de la Fraternité, qui fut condamné à 25 ans de travaux forcés, et qui deviendrait dans les années 60 un des grands théoriciens de l’Islam radical en écrivant depuis les geôles de Nasser. 

Après la tentative d’assassinat avortée contre Nasser, le Premier ministre Winston Churchill lui adressa un message personnel qui disait : "Je vous félicite d’avoir échappé à l’attaque lâche visant à vous ôter la vie à Alexandrie hier soir".  Bientôt, pourtant, les Britanniques conspiraient avec les mêmes gens pour atteindre un but identique. 

En trois années du nouveau régime, les réformes intérieures de Nasser incluaient un remembrement généralisé au bénéfice des pauvres ruraux, et des manœuvres pour entériner une forme de gouvernement constitutionnel pour remplacer la règle arbitraire. En juillet 1955, l’ambassadeur britannique au Caire sortant, sir Ralph Stevenson, remarquait que le régime "était aussi bon que n’importe quel gouvernement égyptien précédent depuis 1922 et, à son crédit, même meilleur, puisqu’il essayait de faire quelque chose pour le peuple d’Egypte plutôt que d’en parler tout bonnement". Stevenson rétorqua à Harold MacMillan, secrétaire aux Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement d’Antony Eden, qu’ "ils [les dirigeants égyptiens] méritent, de mon point de vue, toute l’aide que la Grande-Bretagne peut leur fournir de manière appropriée". Neuf mois après que ce mémo fut rédigé, les Britanniques destituèrent Nasser. 

Les Britanniques et les Américains étaient maintenant impliqués dans une kyrielle de fomentations de coups d’Etat contre la Syrie et l’Arabie Saoudite, ainsi que l’Egypte, dans le cadre d’une réorganisation bien plus étendue du Moyen-Orient pour contrer le "virus du nationalisme arabe". Selon un mémo des Affaires étrangères confidentiel, le président américain Eisenhower dépeignait aux Britanniques la nécessité d’un plan machiavélique pour produire une situation qui serait favorables à nos intérêts au Moyen-Orient "ce qui diviserait les Arabes et annihilerait les objectifs de nos ennemis".  

En mars 1956, le roi Hussein de Jordanie destitua le général britannique John Bagot Glubb de son poste de commandant de la légion arabe, un geste qu’Eden et quelques officiels britanniques attribuèrent à l’influence de Nasser. C’est alors que le gouvernement britannique conclut que cela ne fonctionnait plus avec Nasser et que des plans pour renverser le régime commencèrent sérieusement à être ourdis par les Britanniques et les Américains ; Eden dit à son nouveau secrétaire aux Affaires étrangères, Anthony Nutting, qu’il voulait que Nasser soit "assassiné". Ce fut avnt que ce dernier ne décidât de nationaliser le Canal de Suez en juillet 1956, un acte qui provoquerait inévitablement "la perte progressive de tous nos intérêts et atouts au Moyen-Orient", expliquait Eden dans ses mémoires, craignant le possible effet domino de l’action égyptienne. "Si nous laissons Nasser s’en tirer avec le coup du Canal de Suez, la conséquence en sera la fin programmée (…) de la monarchie en Arabie Saoudite", expliquait le sous-secrétaire permanent au bureau des Affaires étrangères, Ivone Kirkpatrick, craignant que les forces nationalistes là-bas soient inspirées par la défiance couronnée de succès de Nasser envers l’Occident en Egypte. 

Beaucoup de dossiers britanniques sur la "crise de Suez" demeurent censurés mais quelques informations transparurent au fil des ans sur les différentes tentatives britanniques pour renverser ou assassiner Nasser. Au moins un de ces plans engageait une connivence avec la Fraternité Musulmane. Stephen Dorril note que l’ancien agent de l’exécutif des opérations spéciales et député conservateur, Neil "Billy" McLean, le secrétaire du groupe Suez des députés, Julian Amery, et le chef de l’antenne du MI-6 à Genève, Norman Darbyshire, prirent tous contact avec la Fraternité en Suisse à cette période dans le cadre de leurs liaisons clandestines avec l’opposition à Nasser. De plus amples détails au sujet de ces rencontres de Genève ne sont jamais ressortis mais il se peut bien qu’ils aient concocté une tentative d’assassinat ou l’édification d’un gouvernement en exil pour remplacer Nasser après la guerre de Suez. En septembre 1956, Ivone Kirkpatrick était en contact avec les officiels saoudiens à Genève qui l’entretinrent de "la considérable opposition sous-jacente à Nasser là-bas" ; en fait, sa crainte était que la mainmise de Nasser sur le Canal de Suez "mît fin à la résistance égyptienne", ce qui signifierait celle de la Fraternité Musulmane également. 

Certainement, les officiels britanniques contrôlaient les activités anti-régime de la Fraternité, et la reconnaissait capable d’opposer un défi sérieux à Nasser. Il est pareillement prouvé que les Britanniques avaient des contacts avec l’organisation en 1955, lorsque des Frères rendirent visite au roi Farouk, maintenant en exil en Italie, pour étudier une coopération contre Nasser. Le régime du roi Hussein en Jordanie fournit des passeports diplomatiques aux dirigeants de la Fraternité pour faciliter leurs déplacements pour s’organiser contre Nasser, alors que l’Arabie Saoudite les finança. La CIA approuva également le financement de la Fraternité Musulmane par l’Arabie Saoudite pour soutenir l’action contre Nasser, selon l’ancien officier de la CIA, Robert Baer. 

En août 1956, les autorités égyptiennes découvrirent un cercle d’espions britannique dans le pays et arrêtèrent quatre Anglais, y compris James Swinburn, le chargé d’affaires de l’Agence de presse arabe, la couverture du MI-6 au Caire. Deux diplomates britanniques impliqués dans des actions de renseignement furent aussi expulsés. Ils furent, comme Dorril l’indique, en contact avec des "éléments estudiantins à inclination religieuse" avec l’idée "d’encourager des émeutes fondamentalistes qui auraient légitimé une intervention militaire pour protéger les vies européennes". 

En octobre, la Grande-Bretagne, dans le cadre d’une alliance secrète avec la France et Israël, lança l’invasion de l’Egypte pour renverser Nasser mais fut largement stoppée par le refus des Etats-Unis de soutenir l’intervention. L’invasion fut entreprise alors que les Britanniques savaient que la Fraternité Musulmane pourrait en devenir les premiers bénéficiaires et former un gouvernement après Nasser ; des mémos indiquent que les officiels britanniques pensaient que ce scénario était "possible" ou "envisageable".Alors, dans l’écho de leur évaluation du potentiel de Kashani en tan que dirigeant en Iran, les officiels britanniques craignirent qu’une mainmise de la Fraternité Musulmane produisît "une forme encore plus extrême de gouvernement" en Egypte. Encore un fois, cela ne les empêcha guère  d’utiliser ces forces. 

Quelques mois après la victoire de Nasser sur les Britanniques, début 1957, Trefor Evans, l’officiel qui mena les contacts britanniques avec la Fraternité quatre ans plus tôt, rédigeait des mémos recommandant que "la disparition du régime de Nasser (…) devrait être notre objectif principal". D’autres officiels notaient que la Fraternité restait active aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Egypte, tout particulièrement en Jordanie, d’où une "campagne de propagande vigoureuse" était montée. Ces memoranda suggèrent que la Grande-Bretagne continuerait d’utiliser ces forces dans un futur proche, ce qu’ils firent effectivement.

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Mark CURTIS

Journaliste, auteur de Liaisons secrètes : La Collusion de la Grande Bretagne avec l’islam radical 

Traduit de l'anglais par Robert Engelmann pour THEATRUM BELLI

 Cliquer ICI pour accéder à l'original

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