LA LOI BISHARA ET L’APTITUDE A LA DEPUTATION
Par Maître Bertrand Ramas-Muhlbach
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Le 13 décembre 2010, la Knesset a adopté en première lecture la « Loi Bishara » qui permettra de supprimer les droits à pension de retraite de l’ex député arabe de la Knesset Azmi Bishara (en particulier), et ceux des députés qui ne collaboreraient pas à une enquête policière et ne déféreraient pas aux convocations, en cas de commission d’un délit passible d’une peine d’emprisonnement supérieure à 5 ans (plus généralement). La mesure est, sans conteste, équitable en ce qu’elle a vocation à s’appliquer à un ex député en fuite, qui s’est rendu sans autorisation (voire au mépris d’une interdiction) en pays ennemis (Liban et Syrie), qui y a porté une assistance moyennant contrepartie financière, a entretenu des contacts avec le Hezbollah et appelé à la résistance contre Israël. Cette privation du droit à la retraite est par ailleurs morale : aucune pension ne saurait être versée à un député qui a manqué de loyauté à l’égard du pays au sein duquel il s’est vu confier un mandat électif. Enfin, la loi était nécessaire compte tenu de l’impossibilité pour la Cour Suprême israélienne d’ordonner cette suppression (décision rendue le 1er septembre 2008 à la suite d’une demande présentée par le responsable du Likoud Danny Danon et qui visait également à retirer la nationalité israélienne d’Azmi Bishara).
Pour autant, si la « Loi Bishara » devrait conduire à une plus grande responsabilité des députés de la Knesset dans leur relation avec l’Etat (qui les rémunère), elle soulève un problème de fond plus important, en l’occurrence l’aptitude pour certaines personnes à exercer la fonction de député au sein de la Knesset. En effet, la Loi fondamentale sur la Knesset du 12 février 1958 subordonne la qualité de député au respect de certaines conditions. Tout d’abord, l’article 15 (loi 1958) prévoit une prestation de serment d’allégeance du député à l’égard de l’Etat d’Israël dont la portée est renforcée par l’article 16 : le bénéfice des prérogatives de la fonction ne profite au député qu’à compter de cette prestation du serment. Par ailleurs, et pour s’assurer de la parfaite sincérité et loyauté des députés, l’article 16 A de la Loi interdit de déclarer allégeance à Israël en cas de bénéfice d’une autre citoyenneté.
Or, s’agissant de cette double citoyenneté, force est d’admettre qu’elle est tout à fait incompatible pour les députés en Israël, qui se considèrent également palestiniens, tel Azmi Bishara. Aussi, et pour ce dernier, les actes de haute trahison ne sont en réalité qu’une illustration extrême de la violation du serment d’allégeance prêté à l’Etat juif, violation également récurrente chez la plupart des députés arabes de la Knesset qui se considèrent palestiniens.
C’est le cas tout d’abord d’Ahmed Tibi dont le parcours politique ne laisse planer aucun doute sur ses dispositions d’esprit à l’égard d’Israël. Le chef du parti Ta’al (le mouvement arabe pour le renouveau), a débuté en 1984 comme conseiller spécial de Yasser Arafat qu’il est allé rejoindre à Tunis, où le chef de l’Organisation de libération de la Palestine était exilé. Il a exercé cette fonction durant quinze années avant de démissionner en 1999, et de se présenter à la députation en Israël. Or, depuis son entrée à la Knesset, il n’a jamais caché : «Je suis palestinien, arabe et citoyen de l’État d’Israël. Ma priorité est la défense des intérêts de cette minorité dont je suis issu ». Ainsi par exemple, le 31 Octobre 2007, il a annoncé qu’en dépit de la loi rendant inéligible un Israélien qui se rendrait en pays ennemi, il répondrait positivement à une telle invitation. Le 30 juin 2008, il a soutenu que cette loi était « anticonstitutionnelle et tomberait devant la Cour suprême en ce qu’elle contredit le principe d'égalité ». Ahmed Tibi a présenté le 18 mai 2009 un projet de loi pour abroger la loi fondamentale sur Jérusalem et partitionner la capitale conformément aux frontières de 1967. En avril 2009, il a salué les propos du président palestinien Mahmoud Abbas, qui déclarait « ne jamais vouloir reconnaître Israël comme État juif ». Quatre mois plus tard, lors du congrès du Fatah à Bethléem, il comparait les juifs des implantations à « des cellules cancéreuses dont il faut se débarrasser ». Il s’est même présenté comme coauteur de l’enlèvement du soldat franco israélien le 24 mai 2010, lors d’un lapsus dans une déclaration faite à Aroutz 1 sur les restrictions des droits accordés aux prisonniers membres du Hamas en Israël : « De la même manière que vous voulez faire pression sur les prisonniers du Hamas emprisonnés en Israël, « nous » allons faire pression sur Guilad Shalit »…
Cette violation du serment d’allégeance se retrouve également chez d’autres membres de la liste arabe unie (Ra'am-Ta'al) comme Massoud Ghanaim, député à la Knesset et membre de la branche sud du Mouvement islamique. Dans une interview de l'hebdomadaire Kol Al-Arab publiée en Israël le 16 mai 2010 il a appelé à l'établissement d'un grand califat islamique incluant Israël. De même, il a précisé que tous les moyens étaient bons pour défendre Jérusalem et la mosquée Al-Aqsa. Il a exprimé son soutien à l'axe Iran-Syrie-Hezbollah et appelé à reconnaître la légitimité du gouvernement du Hamas à Gaza. Plus précisément, ce député considère le Hezbollah comme un « modèle de parti politique qui confère une place spéciale au discours religieux tout en l'intégrant au discours politique général »…
S’agissant du parti arabe Balad, le député arabe Saïd Nafha (qui remplace Azmi Bishara à la Knesset) s’est rendu au mois de septembre 2007 en Syrie où il a rencontré l’adjoint d’Ahmed Jibril, chef du mouvement terroriste du Front de libération de la Palestine. Dans un autre registre, on peut citer le cas de la députée Hanin Zoabi qui se trouvait à bord du convoi pour Gaza, arrêtée par les autorités israéliennes alors qu’elle était sur le ferry turc puis relâchée en raison de son immunité parlementaire. Elle a défendu sa participation à la flottille comme étant « un impératif politique, humain et moral de s’opposer à ce blocus qui emprisonne 1,5 millions de personnes». Elle a alors diffamé Israël en s’adressant aux députés de la coalition gouvernementale qui l’ont qualifiée «d’ennemi d’Israël» en posant la question de savoir « qui était l’assassin ? ».
L’intégralité des torts n’est toutefois pas à mettre à l’actif des députés arabes de la Knesset. L’Etat hébreu a également sa part de responsabilité dans leurs dérives verbales et leurs violations répétées du serment d’allégeance. En effet, et très étrangement, l’Etat d’Israël se refuse d’appliquer scrupuleusement la Loi fondamentale de 1958. Or, si l’Etat d’Israël ne respecte pas sa Loi fondamentale, c’est qu’il ne se respecte pas lui-même. En d’autres termes, il ne peut exiger de ses ennemis plus de respect qu’il n’en a pour lui même.
Théoriquement, les écarts de langage devraient dans un premier temps, être modérément sanctionnés par des suspensions de fonction pendant quelques temps, puis plus longuement en cas de récidive. De même, il conviendrait d’encadrer les violations du serment d’allégeance et notamment l’affirmation, par un député, de sa citoyenneté palestinienne, par la demande immédiate de levée de son immunité parlementaire, sa poursuite devant les juridictions répressives, la demande de sa déchéance puis de son inéligibilité. L’Etat d’Israël doit en effet respecter le choix des députés arabes qui se considèrent comme citoyens palestiniens en Israël, et ne plus leur permettre d’être députés israéliens de la Knesset, dans la mesure où cet organe n’a pas vocation à accueillir des personnes qui représentent les intérêts palestiniens, localement et à l’étranger. Bien évidemment, et pour ce qu’il en est des pensions de retraite des députés déchus, elles pourront opportunément abonder un fond destiné à indemniser les victimes du terrorisme palestinien.