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La nouvelle croisade « légale et pacifique » du synode des évêques pour le Moyen-Orient, ou le retour du refoulé de la déraison antijuive…
Par Claude-Salomon Lagrange
pour aschkel.info et lessakele
En lisant les récentes déclarations du synode des évêques pour le Moyen-Orient réuni au Vatican en présence du pape, j’hésite entre la colère et la pitié.
Laissons la colère de côté, elle est mauvaise conseillère.
Mais pitié, décidément, pour certains représentants de l’église catholique qui n’ont toujours pas tiré les enseignements de leurs égarements et de leurs outrances passés et récents à l’encontre des Juifs.
Que l’on se souvienne ne serait-ce que des Croisades, de l’Inquisition et de « l’Enseignement du mépris » qui contribua à faire le lit de la Shoah, et dont certains membres de la hiérarchie catholiques donnent l’impression de garder la nostalgie en continuant à alimenter leurs pulsions éradicationnistes.
Oubliés les termes de la Conférence de Seelisberg qui s’était tenue en Suisse en août 1947, réunissant juifs et chrétiens, pour tirer les leçons des conséquences effroyables de l’antisémitisme développé pendant des siècles par l’église dans ce que Jules Isaac avait nommé « l’enseignement du mépris » (Jules Isaac, « L’enseignement du mépris, l’antisémitisme a-t-il des racines chrétiennes ? », Grasset, 1962).
Pitié pour ces représentants de l’église catholique qui, décidément, n’ont rien compris aux causes de sa perte de crédibilité et d’audience en Europe et en Occident tout particulier.
Peut-être croient-ils, faussement sans doute, qu’en Orient comme ailleurs, il est possible d’apprivoiser l’islamisme en lui donnant des gages d’allégeance en s’alliant conjoncturellement avec ce qu’il recèle de plus obscurantiste et de rétrograde, et qui finira par phagocyter, à moyen terme, les chrétiens, comme cela se voit déjà dans tous les pays arabo musulmans où la composante chrétienne fond comme neige au soleil, se trouvant dans les faits dans la situation des juifs il a y a peu de temps encore, obligée de fuir, de se convertir ou de survivre soumise.
La persistance de cette attitude de déni de la légitimité du Peuple juif à revenir vivre sa vocation sur sa Terre n’est pas nouvelle, même si l’on pouvait espérer qu’elle fut enfin dépassée.
Elle s’était déjà exprimée, à l’époque de Pie X, par le cardinal Merry Del Val, secrétaire d’Etat au Vatican (journal de Th. Herzl, 1904, cité par Georges Weisz, « Théodore Herzl, Une nouvelle lecture », L’Harmattan, 2006) : « Tant que les Juifs nient la divinité du christ, nous ne pouvons certainement pas nous déclarer en votre faveur. Pour nous, ils sont (les Juifs) les témoins nécessaires du passage de D’ieu sur terre. Mais ils ont nié la divinité du christ. Comment pouvons-nous donc, sans abandonner nos principes les plus sacrés, accepter qu’ils redeviennent les propriétaires de la Terre Sainte ? (…) Pour moi, l’idéal, c’est un Juif qui se baptise par conviction … Afin que nous puissions nous déclarer en faveur du Peuple juif, comme vous désirez, il doit se convertir. »
Le pape Pie X exprimait une opposition catégorique au projet dit sioniste de retour des Juifs sur leur Terre ancestrale après en avoir été chassés, et surtout, à l’idée que Jérusalem puisse « tomber » dans les mains des Juifs en affirmant : « nous ne pouvons pas empêcher les Juifs de venir à Jérusalem, mais nous ne l’accepterons jamais. Les Juifs n’ont pas reconnu notre ‘’Seigneur’’, c’est pourquoi nous ne pouvons pas reconnaître le Peuple juif. »
Et au même moment, le ‘’père’’ Mortara, qui n’était autre que le petit Mortara, alias Edgardo Levy Mortara, jeune garçon enlevé à ses parents, Juifs italiens de Bologne en 1858 et converti de force au christianisme et placé à l’époque sous la protection de Pie IX pour être nommé prêtre, disait : « Ce serait le démenti flagrant infligé aux anciennes prophéties et aux affirmations eschatologiques de notre ‘’divin rédempteur’’ et que la simple concentration de Juifs en Palestine représente (pour les catholiques) un danger redoutable » contre lequel il s’insurgeait. Et il convenait, d’après lui, de s’opposer à ce projet à l’aide d’une ’’croisade légale et pacifique’’ (sic !). Nous savons ce qu’il en advint.
Nous voilà donc en présence d’une nouvelle ‘‘croisade légale et pacifique’’ de ce synode, remise au goût du jour et qui recèle de nouvelles potentialités de croisades violentes et d’incitations à la haine et à la guerre contre les Juifs. Nous en sommes toujours là, ou plutôt, certains éléments rétrogrades du clergé de l’église catholique, au vu de ces déclarations insensées, n’auraient-ils tiré aucune leçon de l’histoire !
Ces déclarations, en même temps qu’elles participent au mépris des Juifs, s’énoncent au mépris de la vérité et trahissent la parole de Jean XXIII (Message de Noël en 1960) dans son invitation faite à l’homme de « dire toujours la vérité à son prochain, et comme il est fort et terrible le commandement de ne jamais rien dire de faux contre son prochain … ».
Aussi, gardons-nous de tout amalgame. Ces déclarations haineuses et mensongères sont également une offense à tous les chrétiens engagés dans un dialogue sincère et fraternel avec les Juifs et Israël.
On peut comprendre que la « résurrection » d’Israël vienne contredire la prétention de l’Eglise à être, comme l’islam d’ailleurs à sa manière, le « Verus Israël », le « véritable Israël ».
Le sionisme, qui est la traduction pratique du judaïsme, est un idéal infini contre lequel ses ennemis et les prétendants à une « théologie de la substitution » ne pourront rien.
Il faudra qu’ils s’y fassent et s’adaptent à cette réalité intangible, même si cela doit leur prendre encore du temps.
Car nous constatons encore et toujours que l’antijudaïsme religieux s’emploie toujours, sous des masques différents, à substituer à l’histoire et à la vocation du Peuple juif une interprétation fallacieuse en forme de malédiction qui vise à confisquer l’identité juive pour la soumettre aux automatismes haineux et meurtriers du nouveau discours théologico-politique.
Plus de soixante ans après la Shoah, c’est cet antijudaïsme avec son opiniâtre rémanence, dans ses transformations et ses nouveaux masques, qui fait retour comme un refoulé.
Pour énoncer les choses abruptement : la Shoah, et ce qui y conduisit, l’église catholique a-t-elle pris conscience du rôle qu’elle a joué dans sa genèse, ou bien sommes-nous voués du fait de son déni, à de nouvelles tentatives de génération en génération, sous des formes changeantes et plus ou moins prédictibles, d’agressions contre le Peuple juif ?
Entre l’église du silence et l’église de l’équivoque, n’existerait-il pas un espace pour pas une église définitivement fraternelle et juste ?
Ou est-ce que les repentances ne serviraient à certains qu’à remettre « les compteurs à zéro » pour de nouvelles croisades ?
Les arguments-alibi employés lors de ce synode ne trompent que leurs auteurs.
Comment les prendre au sérieux lorsqu’ils allèguent qu’« Israël ne peut pas s’appuyer sur le terme de ‘‘Terre promise‘’ figurant dans la Bible pour justifier le retour des juifs en Israël et l’expatriation des Palestiniens » ; qu’« on ne peut pas se baser sur le thème de la Terre promise pour justifier le retour des juifs en Israël et l’expatriation des Palestiniens » ; qu’« il n’est pas permis de recourir à des positions bibliques et théologiques pour en faire un instrument pour justifier les injustices » ; que « pour nous, chrétiens, on ne peut plus parler de Terre promise au peuple juif, terme qui figure dans l’Ancien testament, car cette « promesse » a été abolie par la présence du Christ » ; et qu’« il n’y a plus de peuple préféré, de peuple choisi, tous les hommes et toutes les femmes de tous les pays sont devenus le peuple choisi », etc.
Il ne manque plus que la réitération de l’accusation sous-tendue dans ces propos de « Peuple déicide », quand on sait qu’au temps de Jésus, en Palestine, les crucificateurs étaient les Romains et les crucifiés étaient les Juifs !
Mais que n’a-t-elle rien dit l’église catholique tout le temps où les Juifs étaient « expatriés » de leur Terre jusqu’en 1948 ?
Mais qu’a donc fait l’église catholique des siècles durant si ce n’est que de recourir à des positions à prétention théologique pour en faire un instrument pour justifier les pires injustices contre les Juifs ?
En refusant aux Juifs « de recourir à des positions bibliques et théologiques », quel sens et quelle légitimité peut encore avoir le fait que l’église catholique recourt elle-même à des positions bibliques et théologiques pour justifier son existence et son projet ?
Bref, en quelques déclarations irraisonnées, ces évêques expriment une « haine de soi chrétienne » dans le rejet de leurs origines, des racines, du tronc et de la sève desquels ils sont issus et ont rendu ainsi caduques leurs propres textes et tous ceux à partir desquels – la Torah – ils se sont inspirés, faisant ainsi du christianisme une philosophie disloquée et confuse venue de nulle part et conduisant on ne sait où !
Ne soyons pas naïfs. Nous savons que malgré toutes les déclarations et les bonnes intentions affichées du Vatican depuis la Shoah, l’église catholique ne peut pas, en son fond, renoncer à cette idée enracinée depuis des siècles dans sa foi – « l’église est le Verus Israël » – sans renoncer à ses fondements et ainsi scier la branche qui la tient.
Mais il est évident que dialoguer risque de (re)devenir très délicat avec une religion – le catholicisme – qui persisterait dans sa logique de substitution consistant à s’acharner par tous les moyens à chercher à déposséder Israël de son identité et de ses attributs.
Il n’est pas question ici de développer un discours sur les fondements théologiques de la doctrine chrétienne, mais affirmons toutefois que le Peuple d’Israël, demeure envers et contre tout le dépositaire de l’Alliance et des Promesses. Quoi que disent et prétendent les détracteurs du Peuple juif, la Terre d’Israël demeure sa Terre, et Jérusalem a toujours été, est et restera « La » capitale d’Israël.
Et tant pis pour ceux qui n’envisagent de voir, selon les termes de Châteaubriand, « les maîtres légitimes de la Terre d’Israël uniquement sous l’aspect d’esclaves ou comme des étrangers dans leur propre pays » (« Itinéraire de Paris à Jérusalem », Garnier-Flammarion).
« Aussi, notre Père qui êtes aux cieux, pardonnez à ces hommes aux prises avec leurs démons, ils ne savent pas ce qu’ils font ni ce qu’ils disent.
Leurs offenses répétées à l’égard des Juifs est le langage de la déraison antijuive que nous reconnaissons bien pour en avoir tant et tant souffert.
Au jour du jugement, il leur sera demandé compte de leurs fautes. »
Par Claude Salomon Lagrange de l'équipe europe-israel
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