LA NOUVELLE MISSION DE L’AGENCE JUIVE AMORCE LE CONCEPT DE « NATIONALITE JUIVE »
Par Bertrand RAMAS-MUHLBACH
pour : lessakele et aschkel.info
Lors de l’assemblée générale annuelle de l’Agence juive qui s’est tenue à Jérusalem entre le 20 et le 22 juin 2010, le Président Nathan Sharansky a émis le vœu que l’organisation devienne un lien puissant entre les communautés juives de diaspora et le peuple juif dans son ensemble. Le Comité exécutif de l’agence juive a donc accepté une nouvelle mission le 23 juin 2010, comprenant des actions formatrices d’identité, un nouveau plan stratégique et une vocation qui est : « d’inspirer les juifs de par le monde à se relier à leur peuple, leur héritage et leur terre et leur donner les moyens de construire un avenir juif prospère et de bâtir un Israël fort ».
Cette décision poursuit le processus engagé lors de la réunion du Conseil des gouverneurs (en février 2010), à l’occasion de laquelle Nathan Sharensky avait souligné la nécessité de s’adapter aux réalités du XXI° siècle par une redéfinition de la raison d’être de l’organisation : « l’agence juive doit avoir pour mission la construction du peuple juif au sein d’une famille étroitement unie par une identité juive commune. Elle est en passe de devenir une organisation avec une plate forme des personnes et des concepts œuvrant pour le renforcement de l’identité juive, la connexion entre les individus et les communautés, entre les communautés et Israël, et entre les israéliens et leur racines juives ». Le Président de l’Agence juive avait alors expliqué : « le défi du XX° siècle qui était la survie physique d’Israël face à l’antisémitisme génocidaire et la guerre, n’est plus celui du XXI° siècle où la grande majorité des juifs vit soit en Israël souverain et capable de se défendre, soit dans des démocraties individualistes occidentales. Le défi devient désormais de maintenir et de construire l’identité juive dans ces lieux ».
Dans cet esprit, l’Agence juive s’est-elle défini comme nouvelle mission d’apporter« des expériences émotionnelles, éducatives et permettre aux jeunes juifs d’agir sur leur identité », et ce, pour répondre aux problèmes que rencontre la communauté juive mondiale (listés par son Président) : l’éloignement des communautés juives vis à vis d’Israël, le déclin de la solidarité juive et celui du sentiment d’appartenance au Peuple juif ou encore l’affaiblissement des liens entre les israéliens et la communauté juive mondiale. En effet, 94 % des juifs vivent dans des pays libres et tolérants alors que la grande majorité des immigrants en Israël fuit l’oppression, la violence et l’extrême pauvreté, ce que Nathan Sharensky considère être des facteurs négatifs motivant l’aliya. D’autre part, et sur un plan matériel, l’agence juive traverse une période difficile de collecte de fonds dans la mesure où les donateurs juifs de l’étranger préfèrent financer les seuls projets sur le terrain qui les intéressent.
Manifestement, et sans véritablement, la nommer, l’Agence juive, est en train d’amorcer une reconnaissance du concept de « nationalité juive ». Par ailleurs, et en annonçant sa volonté de devenir une interface entre les juifs de diaspora et Israël, un ciment de l’unité des juifs de diaspora et des juifs israéliens, ou encore un catalyseur du réveil spirituel des juifs qui se sont éloignés de leur histoire, l’Agence se propose d’être acteur dans la perpétuation de ce sentiment d’appartenance, c'est-à-dire ce lien entre les membres du peuple juif dans sa globalité.
Ce concept de « nationalité juive » suggéré (en filigrane) par l’Agence juive répond en fait aux objectifs définis dans sa nouvelle mission en ce qu’elle traite (en la nommant) de la « conscience identitaire juive » des juifs de diaspora. Or, celle-ci est déjà effective et se traduit dans les faits par l’intérêt que les Juifs de diaspora portent à l’actualité quotidienne en Israël un peu comme s’il s’agissait de leur propre pays. Notons d’ailleurs que cette « conscience identitaire juive » est également perceptible pour les personnes non juives quelque soient leurs dispositions à l’égard des personnes juives : les uns interrogent régulièrement leurs amis juifs pour savoir s’ils sont ou non « israéliens » pendant que les autres qui nourrissent une haine à leur endroit, agressent les enfants qui portent des Kipas en raison « du tort qu’ils causent aux Palestiniens ».
Si donc une telle « nationalité juive » était véritablement instituée, les fonctions de l’Agence juive seraient considérables : tout d’abord, l’Agence juive pourrait traiter les demandes tendant à l’obtention de cette « nationalité juive » par les juifs en examinant les conditions requises (notamment en fonction des critères prévus par la Halacha pour ce qu’il en est de la qualité de juif). En effet, de nombreux juifs de diaspora n’envisagent pas immédiatement leur montée en Israël mais souhaitent figer le lien avec la terre de leurs ancêtres en bénéficiant de la nationalité israélienne. En outre, si le sentiment d’appartenance au peuple juif est déclinant pour certains, ce n’est pas le cas de tous. L’attachement à la nation juive, à l’histoire de leur peuple, ou encore à la terre que D. a promise aux descendants d’Abraham, dépasse pour bon nombre le cadre de leur filiation. Pour ces derniers, Israël est au cœur des pensées, des préoccupations, des vibrations, des prières...
Sur ce terrain, l’Agence juive pourrait alors se charger de l’organisation des élections des représentants de la diaspora au sein d’une assemblée en Israël dont le rôle serait uniquement consultatif mais qui recueillerait les informations, les suggestions ou les autres préoccupations des membres de la communauté juive mondiale.
Naturellement, c’est encore l’Agence juive qui pourrait gérer les devoirs attachés au bénéfice de cette « nationalité juive » comme la systématisation de l’enseignement de l’hébreu moderne au sein des différentes communautés, l’organisation de périodes passées en Israël soit dans l’armée, soit dans le cadre de services civils ou encore de services rendus aux plus nécessiteux, sauf à substituer cette obligation par le versement d’une Tzedaka spécifique pour l’Etat d’Israël.
Sur un plan spirituel, l’attribution de telles fonctions à l’Agence juive aurait immanquablement un effet sur les personnes juives égarées dans leur foi ou qui éprouvent une spiritualité étouffée qui ne demande qu’à s’épanouir. Ces derniers ne revendiquent certainement pas la « nationalité juive » mais l’instauration d’une telle nationalité réveillerait la petite flamme juive qui sommeille en eux.
Enfin, sur un plan national, Israël pourrait définitivement incarner cet Etat-nation qui regroupe en son sein l’ensemble des membres de la nation juive (s’ils le désirent) sans plus jamais redouter les propos et les actions des personnes qui, bien que dotées de la citoyenneté israélienne, appellent régulièrement à sa disparition.
Les missions nouvelles dont l’Agence juive s’est investie au regard de la « conscience identitaire juive », s’inscrivent, en fin de compte, dans l’évolution du concept de nationalité et de son détachement du territoire d’implantation : la mondialisation des échanges ne conditionne plus la nationalité à la résidence physique sur un territoire déterminé. Par ailleurs, les pays européens ont, en dépit de leur histoire propre, décidé de renoncer collectivement à leurs critères nationaux : monnaie, frontières, lois nationales pour substituer le concept de nationalité à celui d’appartenance européenne. Enfin, et à l’instar des Palestiniens, il est possible pour un peuple d’être reconnu comme nation avant même de disposer d’un espace territorial et de frontières spécifiques. Pourquoi donc ne pas décider d’instituer cette « nationalité juive », le principe de double allégeance ayant lui-même vocation à disparaître?