"Je ne sais pas quelle partie de cette terre vous a été promise. Mais je vous promets de vous envoyer six pieds sous terre." Entre deux explosions de décors et quelques ralentis iconiques, la punchline façon Michael Bay du Proche-Orient donne déjà le ton du film, The Valley of the Wolves – Palestine.
Elle est scandée par le héros Polat Alemdar, un équivalent turc de James Bond qui officie depuis 2003 dans la série télévisée très populaire, The Valley of the Wolves, et ses déclinaisons au cinéma.
Dans ses dernières aventures, le héros local s’offre une virée punitive en Israël, pour venger les victimes de l’attaque (bien réelle) d’une flottille humanitaire à destination de Gaza le 31 mai dernier. Quelques semaines avant sa sortie officielle, cette relecture subversive de l’actualité récente crée déjà la polémique, et pourrait, selon des observateurs, troubler encore un peu plus les relations diplomatiques entre la Turquie et Israël.
Des explosions au service d’une cause
Prévue dans les cinémas pour le 28 janvier, The Valley of the Wolves – Palestine débute par la reconstitution de l’attaque de la flottille humanitaire (Mavi Marmara), qui avait coûté la vie à 9 militants turcs pro-palestiniens.
L’abordage par l’armée israélienne, diffusé en boucle sur tous les canaux d’information du monde, avait suscité l’indignation de la communauté internationale et gelé les relations entre Ankara et Jérusalem.
C’est ici qu’intervient le héros du film, Polat Alemdar (incarné par Necati Sasmaz), dépêché en Israël pour retrouver les commanditaires de l’attaque et venger ses victimes.
Car le dernier volet de la franchise The Valley of the Wolves est bien un film d’action, un blockbuster monstre (plus de 10 millions de dollars de budget, le plus important de l’histoire du cinéma turc) qui joue sur les vieux codes hollywoodiens : héros sacrificiel, ennemis caricaturés (voir le militaire borgne) et nationalisme affirmé.
Les mêmes éléments qui ont fait le succès des précédents films The Valley of the Wolves (Irak, 2006, Gladio, 2008), mais dont la transposition en Palestine répond à d’autres enjeux, selon ses auteurs :
"Nous souhaitons interpeller les consciences, a déclaré au New York Times l’un des trois scénaristes du film, Bahadir Ozdener. Tout ce que nous voulons c’est la liberté pour le peuple palestinien innocent et tourmenté, qui vit dans des conditions inhumaines dans la plus grande prison du monde.
"Un danger pour la communauté juive"
Si la note d’intention, recueillie en septembre dernier sur le tournage, peut difficilement être contestée, les premières images du trailer diffusées en continu dans les salles de cinéma turques et à la télévision ont rapidement suscité la controverse.
Elles montrent des militaires du Tsahal tirer à vue dans les rues de Cisjordanie sur des Palestiniens désarmés, de dos et le visage masqué, ou des femmes innocentes enfermées dans des geôles crasseuses…
Pas vraiment de quoi redorer l’image d’Israël en Turquie, selon le quotidien Haaretz, qui rappelle que la série The Valley of the Wolves a été "sévèrement critiquée pour son contenu nationaliste et sa glorification de la violence."
Suite à la diffusion de l’épisode The Valley of the Wolves-Ambush, dans lequel des agents du Mossad kidnappaient des enfants turcs, le vice-ministre des Affaires étrangères israélien, Danny Ayalon, avait ainsi réclamé une intervention directe du gouvernement turc contre la série.
"J’ai dit à l’ambassadeur turc que c’est une situation intolérable qui met en danger la communauté juive, les émissaires d’Israël et les touristes venant en Turquie" avait écrit le vice-ministre sur son twitter à la fin de la rencontre.
Une machine à fric
Mais face à l’engouement public suscité par la série et les films dérivés (The Valley of the Wolves-Irak a engrangé 28 millions de dollars au Box-office), le gouvernement turc était resté muet.
La sortie de The Valley of the Wolves – Palestine sera donc suivie de près en Israël, où l’on s’inquiète de l’impact culturel de la franchise en Turquie et dans le reste du monde arabe, même si ses auteurs ont tenté de rassurer sur leurs intentions :
"Les gens qui connaissent Israël savent très bien faire la distinction entre judaïsme et sionisme, a indiqué le scénariste Bahadir Ozdener. Le débat sur l’antisémitisme est juste un bouton d’urgence pour la politique sioniste d’Israël. Cela n’a jamais existé ou n’existera sur ces terres."
Selon le quotidien turc Hürriyet Daily News, The Valley of the Wolves – Palestine participe pourtant bien d’une nouvelle tendance commerciale du cinéma turc, qui exploite les pires travers de la société : nationalisme, justice personnelle, ultra-violence, anti-américanisme et antisémitisme larvé.
Ce James Bond là n’est sûrement pas au service de la paix.
Romain Blondeau