C'est avec un immense plaisir que j'accueille mon amie Dora du Canada et ses chroniques
Aschkel
Le film « Diffamation » de Yoav Shamir
Par Dora Marrache, chroniqueuse
Radio-Shalom, Montréal- le 12 décembre 2010
Pour aschkel.info et lessakele.
Ecouter Dora
Vous pouvez voir ce film sur Youtube
http://www.youtube.com/watch?v=di92prHNr-8
ou encore le télécharger gratuitement à l’adresse http://www.freeonlinemoviesstreams.com/fr/stream-defamation-online.html
Je voudrais commencer par une réflexion de Camus qui est encore plus vraie aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1947, surtout si on remplace Français par Juif.
"On est toujours sûr de tomber, au hasard des journées, sur un Français, souvent intelligent par ailleurs, et qui vous dit que les Juifs exagèrent vraiment. …
Quant aux millions de Juifs qui ont été torturés et brûlés, l’interlocuteur n’approuve pas ces façons, loin de là. Simplement, il trouve que les Juifs exagèrent et qu’ils ont tort de se soutenir les uns les autres, même si cette solidarité leur a été enseignée par le camp de concentration."
La semaine dernière, les 1er et 2 décembre, Radio-Canada nous a gratifiés d’un film du cinéaste israélien, né à Tel-Aviv en 1970, Yoav Shamir. C’est un documentaire polémique intitulé "Defamation" ; en français,« Diffamation ». Shamir est considéré comme un des plus grands cinéastes, particulièrement au Québec où il a reçu en 2009 le prix « Camera au poing » dans le cadre de la 12ème édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Le jury était composé de Josée Legault, politologue et chroniqueuse à The Gazette et à VOIR, d’Erica Pomerance, fondatrice et coordonnatrice de Initiative Taling Dialo, et de John Walker, un des cinéastes documentaires les plus reconnus au Canada.
Yoav Shamir est aussi le réalisateur de Checkpoint, produit en 2003, documentaire qui a reçu de nombreuses distinctions et qui raconte la vie des Palestiniens contraints d’attendre pendant des heures avant de pouvoir franchir les points de contrôle de Tsahal. Ce film, me semble-t-il, Radio-Canada s’est fait un plaisir de nous le présenter il y a quelques mois.
Évidemment, Yoav Shamir est un cinéaste qui ne laisse personne indifférent. Il me rappelle un peu Michael Moore en ce sens que, comme lui, il a choisi la provocation, art dans lequel il excelle.
C’est le nouveau cinéma, celui qui s’inspire du réel . Dans la même veine, on pourrait citer également Rachel, de Simone Bitton, une Juive d’origine marocaine. (Étonnant que Radio-Canada ne nous l’ait pas projeté, ce n’est peut-être qu’une question de temps). Simone. Bitton y raconte l’histoire d’une pacifiste américaine tuée, il y a quelques années, dans la bande de Gaza par les soldats de Tsahal. Elle dit, en faisant de tels films, « vouloir montrer aux Palestiniens un autre visage que celui des soldats qui les assiègent et les humilient ». Elle est peut-être appréciée des Palestiniens, et je dirai de tous ceux qui soutiennent les Palestiniens et qui, par le fait même, haïssent Israël. En revanche, elle cause un tort terrible à Israël et contribue à le délégitimer .
Bien avant elle, dans les années 80, Assi Dayan, le fils de Moshe Dayan, avait produit un long métrage, La vie selon Affa, qui avait connu un succès international, sans doute parce qu’il y présentait les soldats de Tsahal comme des sauvages assoiffés de sang, aimant la guerre et la violence.
Ces films, comme ceux de Yoav Shamir, présentent une image on ne peut plus négative d’Israël. Le film Diffamation s’ouvre sur l’image de la grand-mère du réalisateur, une nonagénaire qui affirme que « les Juifs sont tous des escrocs usuriers », mais elle se présente comme la vraie Juive .Le ton est donc donné dès le début et nombreux sont ceux qui au bout de quinze minutes ont choisi de changer de chaîne.
Diffamation se veut un film sur l’antisémitisme aujourd’hui, soixante-cinq ans après l’Holocauste. Yoav Shamir raconte que l’idée de ce film lui est venue quand, après la présentation de Checkpoint, il a été comparé à Mel Gibson. Lui antisémite ? Comment pourrait-il l’être alors qu’il vit en Israël. À partir de ce moment-là, il a réfléchi à l’antisémitisme, il s’est dit que nous le voyons partout, qu’il nous suit comme notre ombre. « Comme je n'ai jamais été confronté personnellement à l'antisémitisme, écrit-il, sauf la seule et unique fois où j'avais été comparé à Mel Gibson, j'ai décidé d'approfondir ce sujet. »
Pour réaliser ce documentaire, Shamir a accompagné des leaders juifs américains à travers le monde, à la recherche des manifestations de la haine du juif. Il a suivi également un groupe d’élèves en pèlerinage à Auschwitz.
Le film pose des questions, en apparence tout à fait pertinentes, et le réalisateur , qui veut faire œuvre impartiale, tend en réalité à nous imposer son point de vue. Certains affirment qu’il ne prend aucun parti, qu’il nous fait entendre différents points de vue et que nous sommes libres de nous forger une opinion.
Faux ! La preuve, c’est que tous les antisionistes – antijuifs, peu importe la terminologie- ont salué ce film, ont rendu hommage à son réalisateur.
Pas un site palestinien qui ne parle de lui, pas une organisation pro-palestinienne qui ne le cite, on pourrait lui appliquer ce que disait en 2005 Rachi Boudjedra en parlant du cinéma israélien dans une chronique intitulée Le cinéma israélien : un cinéma antisioniste et progressiste : « l'art israélien, lui, est dominé par des valeurs anti-sionistes, voire anti-colonialistes, défend la paix et la tolérance et possède un certain complexe de culpabilité vis-à-vis du peuple palestinien. Fondamentalement, les artistes israéliens sont progressistes et humanistes. »
La première question que pose le film est la suivante : Doit-on continuer à parler de la Shoah ?
Pour Shamir, auteur du documentaire, il faut en finir avec la Shoah pour pouvoir avancer, il faudrait donc en quelque sorte cesser d’en parler aux jeunes. La Shoah nous rendrait prisonniers de notre passé et nous empêcherait d’aller de l’avant. Qui plus est, toujours selon le cinéaste, elle expliquerait le racisme des Israéliens.
Pour appuyer sa thèse, il nous présente un groupe d’élèves israéliens partis en compagnie de leur éducateur pour un pèlerinage à Auschwitz.
Au début de leur voyage, ces jeunes n’éprouvent aucune émotion. Ils se sentent incapables de comprendre avec le cœur la tragédie que leur peuple a vécue, et ils s’en veulent. Mais face aux objets, aux chaussures d’enfants, etc. ils réalisent alors que derrière chaque mort il y a une identité, une famille, et ils éclatent en larmes.
Selon Shamir, c’est parce qu’ils ont été endoctrinés. Il affirme que des éducateurs procèdent à un véritable lavage de cerveaux chez les jeunes pour leur distiller savamment la peur des non –Juifs, pour leur faire voir le monde comme dangereux.
Nous avons envie de lui répondre que pour faire passer un message, en l’occurrence, le génocide du peuple juif, il faut faire ressentir les choses. Comment expliquer à ces jeunes l’inexplicable s’ils ne ressentent rien ? Certes, les éducateurs que suit le réalisateur vont peut-être trop loin en leur présentant les non -Juifs comme des ennemis du peuple juif. Mais je ne crois pas que tous les élèves israéliens qui se rendent à Auschwitz en reviennent paranoïaques, pas plus que ne deviennent parano les jeunes Canadiens ou Français au retour de leur voyage dans les camps de la mort. Le cas présenté dans le reportage ne permet pas de généraliser.
En fait, Yoav Shamir soutient l’idée que l’état d’Israël exploite la Shoah à des fins politiques, qu’elle lui permet de présenter Israël comme une victime et , partant, de mettre un frein à toute opposition ou à toute critique de sa politique, entendons par là sa politique de colonisation. Ainsi la Shoah justifierait l’occupation et empêcherait les pays de condamner de façon claire les agissements d’Israël.
Rappelons qu’il n’est pas le seul à soutenir cette thèse : des intellectuels de la gauche post - sioniste, Adi Ofir, pour ne citer que lui, défendent la même idée, une idée que partagent aussi, soit dit en passant, les négationnistes .
Ils prétendent que c’est pour dédommager les Juifs que l’ONU a permis la création de l’état d’Israël. “Les pays du monde ont décidé de réparer deux mille ans d’injustice. […] Le rêve d’un peuple persécuté, qui a connu la souffrance et a subi un Holocauste, est sur le point de se réaliser”, pouvait-on lire, le 30 novembre 1947, dans un éditorial de Ha’aretz. Or, comme l’avait rappelé Georges Bensoussan lors d’une conférence, cette idée reçue selon laquelle l’État d’Israël serait né pour sauver les rescapés de la Shoah présente un grave danger : la délégitimisation de l’État d’Israël.
Certains abondent dans la même ligne de pensée et pensent qu’il faudrait presque cesser de parler de la Shoah. Dans son livre intitulé Vaincre Hitler, Avraham Burg pense que le moment est venu pour Israël de prendre ses distances avec l'Holocauste : "Pour gérer son passé et ses souvenirs, le peuple juif doit appliquer une stratégie qui consiste à passer du traumatisme à la confiance, à l'espoir d'un monde meilleur. Et cela prendra du temps".
Un point de vue que nous ne partageons pas, car la Shoah n’est pas un massacre semblable aux centaines, voire aux milliers de massacres, qui ont jalonné l’histoire de l’humanité. La Shoah est un événement unique, un génocide destiné à anéantir totalement le peuple juif, avec sa culture et ses valeurs, pour que disparaisse à jamais toute trace de son existence sur cette terre.
La Shoah fait partie de notre histoire, et nous devons nous en souvenir. D’ailleurs si chaque peuple se définit grâce à sa mémoire, c’est encore plus vrai pour le peuple juif qui obéit au commandement: "Souviens-toi ce que t’a fait Amalec…Tu effaceras la mémoire d'Amalec de dessous les cieux. Ne l’oublie point". (Deutéronome, 25, 17).
Souviens-toi est répété à plusieurs reprises dans la Torah, c’est donc dire que c’est un impératif. Comme le disait le Grand Rabbin de France :"Seul le souvenir vigilant et actif permet de détruire à la racine les influences maléfiques d'Amalec. Le souvenir des horreurs du passé nous inspire dans le combat contre les horreurs d'aujourd'hui.
À l'inverse, qui veut oublier le mal se condamne à le revivre".
La deuxième question pourrait se formuler ainsi : L’antisémitisme existe-t-il encore aujourd’hui ?
Pour le cinéaste, la peur de l’antisémitisme nous rend paranoïaques et racistes. Pour lui, l’Holocauste et l’antisémitisme ne sont rien d’autre qu’une une industrie qui rapporte de gros capitaux.
Dans le cadre de sa recherche, il suit un groupe de leaders juifs américains appartenant à l’ADL (la Ligue anti-diffamation) dont le rôle consiste à établir des statistiques sur les actes antisémites à travers le monde et à lutter contre toute forme d’antisémitisme. Yoav Shamir considère qu’ils n’ont qu’un objectif : se faire de l’argent en combattant le soi-disant antisémitisme. Poursuivant toujours sa réflexion sur l’antisémitisme, il donne la parole à Norman Finkelstein, historien radié de l’université de Chicago et auteur d’un livre qui a soulevé les passions L’Industrie de l’Holocauste. Celui-ci affirme que l’antisémitisme, tout comme l’Holocauste, est un outil dont se sert Israël à des fins politiques. Pour lui, l’antisémitisme n’existe pas. Il admet qu’il y ait des anti-Arabes, des anti-Noirs, mais des anti-Juifs, nenni, point du tout. Selon lui, le lobby juif est puissant et jouit d’un soutien sans bornes de la part de Washington et il en arrive à la conclusion que l’antisémitisme d’aujourd’hui est une invention des Sionistes pour décourager ceux qui seraient tentés de porter un jugement critique sur les agissements d’Israël vis-à-vis des Palestiniens.
Ces réflexions se passent, me semble-t-il, de tout commentaire. Mais dans quel monde vit-il ? Certes, les actes antisémites tels que nous les connaissons ont beaucoup diminué parce que l’antisémitisme a pris un nouveau visage et porte une nouvelle appellation : l’antisionisme. Mais comme nous ne pouvons dissocier Israël du judaïsme, l’antisionisme se double nécessairement de l’antisémitisme. Comment ne pas prendre au sérieux toute manifestation d’antisémitisme quand on sait que c’est pour ne pas avoir pris au sérieux les menaces d’Hitler que 6 millions de Juifs sont morts dans les camps de concentration ?
Et l’Iran ? Sans doute Norman Finkelstein nous dira-t-il qu’il ne constitue pas une menace pour Israël. Puisse-t-il dire vrai ! Et les propos tenus par un évêque lors du dernier synode du Vatican ? Et si le terrorisme n’était qu’une diabolique machination de certains pays pour attiser l’islamophobie ?
Voyons maintenant la troisième question que soulève le documentaire : A-t-on le droit de critiquer Israël ?
Comment peut-il poser une telle question puisque ses documentaires constituent une réponse ? Question de rhétorique évidemment. La réponse va de soi : bien sûr ! Qui oserait prétendre le contraire. Après tout, Israël est un état comme les autres : on critique la politique de Sarkozy, on critique la Grèce et le Portugal pour n’avoir pas su éviter la crise économique, alors pourquoi ne critiquerait-on pas Israël ? Ne nous a-t-on pas toujours seriner que la critique est constructive ?
Mais Yoav Shamir prétend que les gens n’osent pas critiquer Israël car ils craignent de provoquer une renaissance de l’antisémitisme. Or, pour Shamir, Israël n’est nullement menacé et nous Juifs, que ce soit en Europe ou ailleurs, nous n’avons pas à craindre quoi que ce soit, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Au fond, pas besoin des non - Juifs pour attaquer Israël : il existe des Juifs qui s’en chargent volontiers, qui les confortent dans leur position et qui partagent leur point de vue sur Israël, principalement sur leur vision d’un état dominateur et colonisateur. Ainsi, alors que partout ailleurs on explique les inégalités sociales par la mondialisation, en Israël, les intellectuels de gauche considèrent que c’est le sionisme, et seulement le sionisme, qui est à l’origine de ces inégalités.
En fait, on a l’impression que les Juifs de gauche, qu’ils vivent en Israël ou ailleurs dans le monde, travaillent avec les adversaires d’Israël à délégitimer « leur » pays.
Ainsi, en France, le Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme, le BNVCA, a porté plainte contre des Français qui ont participé à une campagne de boycott de produits israéliens. Parmi eux figure le nom de Stéphane Hessel, résistant rescapé de Buchenwald et co-rédacteur de la Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948. Un autre anti-Juif, Edgar Morin, philosophe de renommée internationale, avait jugé que la politique israélienne est une politique raciste.
Je voudrais savoir quels sont les pays qui accepteraient d’être l’objet d’attaques de la part des pays voisins et qui traiteraient les citoyens de ces pays vivant sur leur territoire comme des citoyens à part entière. La France ? Je la crois mal placée pour donner des leçons. Les autres pays européens ? Difficile de le croire en ces temps d’islamophobie.
Et si on posait à Yoav Shamir la question que pose David Ouellette dans son blog :
« Certes, écrit-il, on peut critiquer Israël. Et on ne s'en prive guère. Mais peut-on critiquer la Palestine? »
En conclusion, disons que les anti-Juifs les plus acharnés, ceux qui délégitiment Israël et qui de surcroît légitiment l’antisémitisme, se retrouvent hélas parmi les nôtres et Israël doit composer avec eux. Avec ce documentaire de Yoav Shamir, Radio-Canada me questionne sur le bien - fondé de la plainte que nous avons déposée à la suite de l’émission de Simon Durivage. Mais comme notre chaîne publique est animée par un souci d’équité, je suis certaine qu’après nous avoir présenté le point de vue de Yoav Shamir sur Israël, elle nous proposera très bientôt un point de vue divergent.
Heureusement, ces Juifs anti – Juifs sont une minorité, mais leur voix se fait entendre partout et on ne peut qu’espérer qu’ils ne feront pas un grand nombre d’adeptes, car c’est de notre soutien dont Israël a besoin, principalement en ces temps difficiles où elle est isolée. Il nous faut unir nos forces pour lutter contre les délégitimateurs d’Israël et les combattre où qu’ils soient dans le monde.
Dora