Mise au pas l’armée (pas moins de 200 arrestations en 2 ans dont 50 officiers de haut rang en février dernier), esclandre public contre le président israélien à Davos (‘vous savez tuer les enfants!’), intervention (avec le Brésil) pour défendre le programme nucléaire iranien, exhortation explicite à ses compatriotes établis en Occident à rester fidèles à leurs racines via les prénoms et la double nationalité (y compris lors de visites officielles dans les pays concernés comme récemment en Allemagne et en France), nostalgie et exaltation de l’empire et du ‘glorieux passé’ ottoman (eg. impasse sur Sainte-Sophie dans l’exposition ‘De Byzance à Istanbul’ l’an dernier au Grand Palais à Paris, à l’occasion de l’Année de la Turquie), commémorations en grande pompe de la prise de Constantinople le 29 mai dernier …
A l’heure où, fort de son dernier coup de force contre le souffre-douleur universel (dont la génétique vient d’ailleurs de confirmer l’histoire multimillénaire sur le territoire qui lui est depuis 60 ans refusé), le Poutine d’Ankara apparait comme le nouveau champion des damnés de la terre …
Et contre ceux qui n’y verraient que l’effet des réticences européennes à sa candidature à l’UE …
Retour sur l’édifiant parcours du nouveau ‘Mehmet le Conquérant‘ et notamment sur la tactique préférée de ce maitre incontesté de la taqqiah islamique.
Qui, à l’instar de son dernier coup de maitre (un véritable acte de guerre contre son ex-allié israélien finement déguisé derrière une prétendue flottille humanitaire), a toujours su avancer masqué.
Ainsi, s’appuyant démagogiquement sur l’islam des campagnes et du peuple contre la laïcité de l’armée et de la bourgeoisie d’affaires des villes, il utilisera toutes les ficelles de la démocratie (imposition contre l’armée de l’élection au suffrage universel du président de la République) pour imposer progressivement une sorte de national-islamisme à la Nasser.
De même, derrière la façade d’une candidature européenne reprise de ses prédécesseurs et, sous l’étiquette de ‘démocrate-conservateur’, quelques gages consentis à l’Europe (ouvertures en direction des Kurdes, autorisation des langues minoritaires dans les médias, abolition de la peine de mort), il ne lâchera jamais rien sur 36 ans d’occupation de Chypre.
Comme enfin, sous couvert de la redécouverte d’un ‘passé glorieux’ et l’image d’un islam prétendument modéré (‘il n’y a pas d’islam modéré’, avait-il un jour déclaré), c’est, à la fondation même du régime, legénocide de ses minorités chrétiennes (tant arméniennes que grecques ou assyriennes) qu’il tente à présent de faire oublier …
Turquie: le réveil ottoman
Joseph Savès
Hérodote
4 juin 2010
La Turquie change. En quatre mois, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan (AKP, islamiste) a mis au pas l’armée, s’est rapproché de l’Iran et éloigné d’Israël et de l’Europe. La nostalgie de l’empire ottoman revient en force…
Les Européens croyaient avoir affaire à un État pauvre, désireux de se fondre dans l’Union européenne et de bénéficier de sa manne financière, comme en d’autres temps la Grèce, l’Espagne et le Portugal.
Ces dernières semaines, ils ont découvert un peuple «fier et sûr de lui», qui défie les Occidentaux en débattant avec le Brésil et l’Iran de l’avenir nucléaire de ce dernier (16 mai 2010) puis jette aux orties son amitié avec Israël et défie l’État hébreu en tentant de forcer le blocus de Gaza avec une flottille «humanitaire» (31 mai 2010).
Le 22 février 2010, l’a-t-on oublié ?, la justice turque a arrêté pas moins de cinquante officiers de haut rang. Ce coup de filet sans précédent a mis un point final à la guerre d’escarmouches que mène l’état-major laïciste contre le gouvernement islamiste du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan (56 ans), depuis l’arrivée au pouvoir de celui-ci, le 11 mars 2003.
Ces événements prennent tout leur sens dès lors qu’on les rattache à l’Histoire longue de la Turquie.
L’oeuvre d’Atatürk
La République turque a été fondée le 23 octobre 1923 sur les décombres de l’empire ottoman par le général Moustafa Kémal. Surnommé Kémal Atatürk («Père des Turcs») ou le Ghazi (le «Victorieux»), cet émule de Mussolini veut libérer son peuple de l’emprise de l’islam et bâtir un État-Nation sur le modèle occidental. Son principal soutien est l’armée, qui lui est reconnaissante de ses victoires sur les Grecs.
En 1937, un an avant sa mort, Atatürk fait inscrire le principe de laïcité dans la Constitution. Ses successeurs peineront toutefois à réaliser son rêve et, notamment, mettre en application ce principe. Mécontents des dérives du régime, les généraux commettent trois coups d’État en 1960, 1971 et 1980.
Instable et fragile, avec une économie en dents de scie, une rébellion persistante dans les régions kurdes (25% de la population totale) et la montée des mouvements islamistes dans les campagnes, la Turquie kémaliste joue à fond la carte occidentale. Membre de l’OTAN et du Conseil de l’Europe, partenaire privilégiée d’Israël, elle voit sa candidature à l’Union européenne agréée au sommet d’Helsinki en décembre 1999.
Là-dessus, coup de théâtre. Le Parti de la Justice et du Développement (AKP), qualifié d’«islamiste modéré», arrive au pouvoir à la faveur des élections législatives du 3 novembre 2002. Les militaires y voient une menace pour la République laïque et nationaliste de Moustafa Kémal.
L’AKP, qui peut compter sur le soutien populaire, consolide les institutions démocratiques. Il fait des ouvertures en direction des Kurdes et autorise les langues minoritaires dans les médias. Il impose contre l’armée l’élection au suffrage universel du président de la République. Il donne aussi quelques gages à l’Europe en abolissant la peine de mort.
Fort de ces succès et d’une gestion globalement satisfaisante de l’économie, il met au pas l’armée. Pas moins de 200 arrestations en deux ans jusqu’au coup de force du 22 février 2010. Erdogan a dès lors les mains libres pour mener une diplomatie selon ses vœux : rapprochement avec l’Iran, rupture avec Israël, éloignement de l’Europe…
À bas Constantinople !
Un article du quotidien Le Monde (31 mai 2010) rapporte les commémorations de la prise de Constantinople par les Turcs, le 29 mai 1453. D’une ampleur exceptionnelle cette année, ces commémorations témoignent du retour en force d’un «néo-ottomanisme» qui exalte le passé ottoman.
Ce courant orientalisant éclaire d’un jour nouveau l’exposition «De Byzance à Istanbul», qui s’est tenue l’an dernier au Grand Palais, à Paris. Nous nous étions étonnés dans la lettre d’Herodote.net que la conservatrice turque de cette exposition ait souligné à gros trait la césure de 1453 et omis d’évoquer Sainte-Sophie, trait d’union majeur entre toutes les civilisations qui se sont succédé dans la ville. Cet «oubli» reflétait tout simplement le point de vue dominant dans la Turquie d’aujourd’hui, à savoir que celle-ci est fille de l’empire ottoman et en opposition avec l’Occident.
Dans le même temps, le Premier ministre turc exalte le «glorieux passé» de la Nation et invite ouvertement ses compatriotes établis dans les pays occidentaux à rester fidèles à leurs racines.
D’Atatürk à Erdogan
En cela Erdogan se pose en héritier d’Atatürk plus sûrement que ses officiers d’état-major.
Atatürk a créé la Turquie sur le modèle des prestigieux États-Nations européens d’avant 1914 pour lui éviter de sombrer dans le chaos moyen-oriental. Il n’a pas craint non plus de défier les vainqueurs de la Grande Guerre en déchirant le traité de Sèvres. Erdogan, quant à lui, encourage l’islamisation de son pays pour prévenir sa dissolution et la perte de sa singularité dans l’Europe anomique d’aujourd’hui. Tout islamiste qu’il soit, c’est, comme Atatürk, un nationaliste résolu, aux antipodes de l’internationalisme d’al-Qaida. Dans ses rapports avec Chypre, l’Iran et Israël, il ne craint pas de défier les Occidentaux lorsqu’il y va, de son point de vue, de l’intérêt national…
Arrivé au pouvoir alors que la Turquie était déjà en train de négocier son entrée dans l’Union européenne, Erdogan a laissé faire pour ne contrarier ni l’armée ni la bourgeoisie d’affaires d’Istanbul. Il n’a rien fait non plus pour hâter les choses et, aujourd’hui, a tout lieu de s’en féliciter !
Beaucoup de Turcs, il y a dix ans, fondaient leurs espoirs sur la générosité de l’Union européenne comme, avant eux, la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande. Submergés par l’argent «gratuit» de Bruxelles, ces pays sont aujourd’hui au bord de la faillite et sous tutelle de la Commission et du FMI. L’Union est elle-même à la dérive après avoir désarmé les États-Nations qui faisaient sa force.
Revenus de leurs illusions, les Turcs découvrent de nouveaux motifs de satisfaction dans les offensives diplomatiques de leur Premier ministre. Peu leur chaut qu’elles déplaisent aux Européens… Au terme d’un parcours sans faute, Recep Tayyip Erdogan est en piste pour devenir la personnalité de l’année 2010.