Israël exige l’ouverture des archives du Vatican
Dans l’échelle catholique des distinctions posthumes, il existe des étapes successives: dans un premier temps, la personne peut être déclarée « vénérable », puis elle peut être « béatifiée » et déclarée « bienheureuse », et dans un troisième et ultime stade, elle peut être « canonisée » et déclarée « sainte ». Ce processus très sérieux est élaboré par une « Congrégation pour les causes des saints », située au Vatican, mais c’est le Pape qui décide en dernier ressort.
Cette tradition n’a à priori rien à voir avec le Judaïsme si ce n’est que par le passé, les Papes ont béatifié ou canonisé des personnes controversées notamment dans leur attitude par rapport au Judaïsme, ce qui donnait à la décision pontificale une intention politique dans les délicates relations entre l’Eglise et le Peuple Juif. C’est ainsi que furent béatifiés ou canonisés des Juifs s’étant convertis au Christianisme, ou des ecclésiastiques ayant joué un rôle ambigu voire néfaste envers les Juifs.
Le Pape actuel, Benoît XVI montre une tendance assez nette à un retour à l’ancienne tradition de l’église catholique romaine, et il ne se singularise pas par un amour débordant pour les Juifs. Parmi les objectifs qu’il s’est fixé durant son magistère, il y a notamment la canonisation du Pape Pie XII, qui régna au Vatican pendant la Shoah, et qui fut très critiqué pour sa mollesse durant l’extermination des Juifs. Malgré l’opposition marquée par les milieux Juifs à cette démarche papale, Benoît XVI a proclamé ce samedi à la surprise générale, « vénérable » le pape Pie XII. Il a signé un décret proclamant les « vertus héroïques et morales » du pape défunt, ce qui lui ouvre la voie pour la poursuite de la procédure de béatification.
Un lourd contentieux existe entre le Vatican et les organisations juives, notamment du fait du refus constant de la part du Vatican d’ouvrir ses archives portant sur le rôle de l’Eglise durant la période de la Shoah. Beaucoup de choses contradictoires ont été dites et écrites à propos de l’attitude de Pie XII durant les années sombres. Certains mettent en avant qu’il a écrit un texte condamnant l’extermination d’innocents « en raison de leur race ou de leur religion », qu’il a tenté de manière discrète de sauver des Juifs ou de pousser la hiérarchie catholique vers une attitude « bienveillante », tandis que d’autres apportent de nombreux témoignages sur sa relative indifférence à l’extermination, et sur ses relations avec les dignitaires et le pouvoir nazis. En 1942, il ne s’est pas associé pas aux Alliés dans leur condamnation du massacre des Juifs, et quand des juifs italiens furent déportés à Auschwitz en 1943, le pape Pie XII n’est pas intervenu, car selon ses défenseurs « il a sous-estimé le péril que leur faisait encourir les nazis ». Après la fin de la guerre, il s’était prononcé pour l’octroi de la grâce aux criminels nazis, et s’était distingué par son attitude dogmatique et rigide concernant les demandes de restitution des nombreux enfants juifs remis à des familles chrétiennes durant la Shoah, et qui avaient été baptisés entre temps.
La communauté juive d’Italie a déjà réagi en se disant « critique » sur la décision. De Benoît XVI : « Nous ne pouvons en aucune manière nous mêler des décisions internes de l’Eglise, celles-ci concernant sa liberté d’expression religieuse », ont déclaré conjointement Riccardo Di Segni, grand rabbin de Rome, Renzo Gattegna, président de l’Union des communautés juives italiennes, et Riccardo Pacifici, président de la communauté juive de Rome.
« Si cette décision devait en revanche impliquer un jugement définitif et unilatéral sur l’oeuvre historique de Pie XII, nous répétons que notre évaluation reste critique », ont-ils ajouté. « La commission qui réunit des historiens du monde juif et du Vatican attend toujours d’accéder aux archives (du Vatican) de cette période. Nous n’oublions pas les déportations de Juifs d’Italie et en particulier le train qui a déporté 1.021 personnes le 16 octobre 1943, qui est parti de la station de Rome Tiburtina pour se rendre à Auschwitz dans le silence de Pie XII », ont ajouté les responsables.
M. Kramer, Secrétaire général du Conseil central des juifs d’Allemagne s’est dit « furieux » et « triste » de cette décision, estimant que Benoît XVI « réécrit l’Histoire ». « C’est un détournement clair des faits historiques concernant l’époque nazie. Et Benoît XVI réécrit l’Histoire sans avoir permis qu’il y ait une discussion scientifique sérieuse (sur l’attitude de Pie XII face au nazisme). C’est ce qui me rend furieux », a ajouté Kramer.
La position des instances du Judaïsme mondial est assez délicate, car elles se doivent de réagir à certaines décisions politiques du Vatican qui concernent la sensibilité juive, tout en évitant de donner le sentiment de s’immiscer dans les affaires internes de l’Eglise catholique.
De manière très subtile, le Pape Benoît XVI a tenu à annoncer cette nouvelle par surprise au même moment qu’il annonçait la future béatification du Pape Jean-Paul II qui fut bien plus ouvert envers le monde juif que ne le fut Pie XII. Le Vatican avait utilisé la même méthode en septembre 2000, pour « faire passer » la béatification de Pie IX, pape « anti-moderniste » du milieu du 19e siècle, avec celle de Jean XXIII, le pape du Concile Vatican II, considéré comme « moderniste ».
[Dimanche 20/12/2009 14:10]