Le programme de missiles iranien a des ambitions nucléaires cachées " Par Bruno TERTRAIS
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L'Iran a secrètement testé des missiles à capacité nucléaire
• Les silos pourraient donner à l'Iran une capacité de " seconde frappe " et ouvrir la voie à l'installation de missiles à portée plus longue
• L'Iran a maîtrisé la séparation des étages, permettant des portées supérieures à 2000 km
• Un programme destiné à rendre l'Iran capable de couvrir toute l'Europe dans quelques années
• Le programme spatial de l'Iran permet d'expérimenter davantage la technologie des missiles
• Le programme des missiles bénéficie de l'aide de la Corée du Nord, de la Russie et de la Chine
• L'Iran est devenu un exportateur de missiles
Cette semaine, l'Iran a inauguré une nouvelle série de jeux de guerre, au cours desquels il a fait des essais de tir de plusieurs types de missiles et a révélé des silos de missiles balistiques souterrains. Parallèlement à ce qui est soupçonné être son programme d'armes nucléaires, l'Iran développe des missiles balistiques à portées de plus en plus importantes, qui pourraient potentiellement être utilisés pour délivrer des ogives nucléaires. Certains missiles iraniens sont déjà capables d'attaquer des régions d'Europe. Dans ce rapport spécial de Realite-EU, Bruno Tetrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), clarifie davantage le programme balistique ambitieux de la République islamique :
L'Iran possède l'un des programme de missiles les plus actifs et les plus diversifiés au monde, sous le contrôle des Gardiens de la révolution. On peut dire que ce programme a trois objectifs.
Le premier est constitué des capacités militaire et dissuasive. Téhéran possède déjà un arsenal important et diversifié de missiles opérationnels de petite et moyenne portée de 20 différents types environ, qui sont régulièrement utilisés dans le cadre d'exercices et de manœuvres très médiatisés. Ils incluent en particulier le Shahab-3, à combustible liquide avec une portée d'au moins 1000 à 1200km, et le Sejil-2 à combustible solide avec une portée d'au moins 2000 à 2200km.
Il y a quelques jours, Téhéran a révélé un complexe souterrain dans lequel les missiles étaient disposés en silos. Ceci pourrait donner à l'Iran une forme de capacité de " seconde frappe ", et/ou lui permettre poser les bases de l’installation des missiles plus lourds et à plus longue portée. La plupart des missiles iraniens ne sont pas très précis et seraient probablement utilisés en premier lieu dans les salves telles que les armes terroristes, plutôt que pour la destruction d'un objectif ponctuel. Ils remplacent de facto une force armée quasi inexistante.
L'ambition de Téhéran de posséder des missiles capables de transporter une ogive nucléaire se cacher derrière cet objectif visible du programme iranien. Téhéran a travaillé pendant plusieurs années à l’adaptation d’une ogive de type nucléaire à tels missiles, tel que le montrent des essais initiés en 2004 sur le modèle d'un véhicule de rentrée à trois cônes ou " biberon " (que l'on peut voir sur des séquences de la télévision iranienne) et des preuves obtenues plus tard par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique.
Il y a controverse et incertitude sur le fait que l'Iran puisse déjà posséder un missile à capacité nucléaire à plus longue portée appelé BM-25 en provenance de la Corée du Nord (lui-même basé sur le missile Soviétique SS-N-6). D'après ce qui est publiquement connu sur ses capacités, l'Iran ne semble pas avoir encore l'habilité de transporter une ogive nucléaire brute - par exemple basée sur l'ancien modèle chinois qui pourrait avoir été fourni par le réseau Khan, et qui pèse près d'une tonne – à des portées supérieures à 1000km ; il a, toutefois, déjà la capacité de lancer une charge utile plus légère à une distance d'au moins 2000km.
Enfin, tout comme son homologue nucléaire, le programme de missiles iranien inclut un composant " pacifique " : une capacité de lancement spatial, en particulier la roquette Safir-2, qui est probablement destinée à présenter le pays comme une puissance émergeant de niveau mondial, tout en faisant d'autres essais avec la technologie de missiles. Téhéran semble maintenant posséder une capacité de lancement de satellite réelle et affirme avoir envoyé deux satellites dans l'espace en 2009 et 2011, bien qu'il soit capable, à ce stade, de n'envoyer en orbite que des objets petits et légers.
Quelle est la direction prise par le programme ? Ces dernières années, l'Iran a appris à maîtriser deux technologies clés. L'une étant la séparation des étages, qui permet des portées supérieures à 2000 kilomètres. L'autre étant la propulsion solide, qui permet des missiles plus fiables avec des capacités plus opérationnelles.
L'Iran est maintenant une " puissance balistique " mature. Mais le programme de Téhéran implique beaucoup d'essais. L'Iran essaie des formules et des modèles probablement dans la tentative d'impressionner le monde avec la diversité de son arsenal et sa recherche. Lorsqu'un nouveau missile, ou la variante d'un missile, a été testé avec succès, il ne va pas immédiatement ou automatiquement en production.
La priorité des missiles iraniens est manifestement régionale. Par son propre aveu, Téhéran souhaite pouvoir cibler les bases américaines au Proche-Orient, en particulier dans le Golfe, ainsi que dans le territoire israélien. Rien n'indique à ce jour que Téhéran travaille sur un missile balistique à portée intercontinentale, et l'Iran affirme qu'il n'a pas l'intention de fabriquer des missiles d'une portée supérieure à 2000km.
Cependant, il n'y a aucune raison de prendre au pied de la lettre les déclarations de Téhéran et la logique du programme le conduit vers la capacité de couvrir tout le Proche-Orient et toute l'Europe dans quelques années. Contrairement au programme nucléaire, le programme des missiles avance assez lentement, progressivement – mais de façon stable et déterminée.
Il est important de noter que bien que les dirigeants iraniens revendiquent un effort tout à fait national, les missiles iraniens ont bénéficié et continuent à bénéficier d'une aide étrangère. La Corée du Nord a été un fournisseur clé de la technologie des systèmes à liquides. Les sociétés et les ingénieurs russes ont également été impliqués. La Chine a vendu à l'Iran des missiles balistiques au propergol solide à courte portée ainsi que la technologie des missiles de croisière.
Tout comme la Corée du Nord, l'Iran est devenu un exportateur de missiles, y compris, évidemment, plusieurs types de roquettes au Hezbollah au Liban, avec des rumeurs tenaces sur un système type Scud ayant été fourni au groupe. Les raisons ne manquent donc pas pour surveiller et contenir le programme de missiles iranien qui est explicitement ciblé par les sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU.
Dr. Bruno Tertrais
Dr. Bruno Tertrais est chercheur à la FONDATION POUR LA RECHERCHE STRATEGIQUE (FRS). Il fut par le passé assistant particulier du directeur des affaires stratégiques au ministère français de la Défense. Dr. Tertrais est diplômé de l'Université Paris-X avec une maîtrise en droit public, un DEA en politique comparée et un doctorat en sciences politiques. Ses domaines de spécialisation incluent la prolifération nucléaire, la dissuasion nucléaire, la stratégie militaire, le terrorisme, la stratégie des Etats-Unis et les relations transatlantiques. Dr. Tertrais a publié plusieurs livres et recherches y compris : " Le prochain débat nucléaire de l'OTAN " (2008) ; " La dissuasion nucléaire en 2030 " (2007) ; et " Les garanties de sécurité et la dissuasion prolongée dans la région du Golfe : une perspective européenne " (2009).
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