"Au lieu de participer à l'effort de guerre contre les nazis, en utilisant le paquebot Patria pour convoyer des troupes, les Britanniques ont choisi de faire usage du navire pour la déportation de 1 800 réfugiés juifs", raconte Dan Shefy, survivant de la tragédie. Soixante-neuf ans plus tard, à la cérémonie de commémoration organisée au camp de détention d'Atlit, Dan Shefy, âgé de 14 ans au moment des faits, se souvient. "Des gens bien intentionnés ont persuadé mes parents de fuir l'Autriche et d'échapper à Hitler", raconte celui qui allait quitter Vienne avec sa famille, au mois de décembre 1939. "Nous sommes arrivés à Bratislava, mais le fleuve du Danube était gelé. Nous avons dû patienter jusqu'au mois de septembre pour entreprendre la traversée vers Israël. Nous avons alors navigué vers Tulcea, en Roumanie, et de là nous avons fait escale au bord du Pacific." Les Britanniques interceptent cependant l'embarcation, ainsi que deux autres paquebots - l'Atlantic et le Milos - à l'entrée du port de Haïfa.
Les “enfants de Téhéran” : 800 Juifs d’origine polonaise qui ont survécu au nazisme, et assez chanceux pour recevoir des autorisations de résidence des Britanniques.
PHOTO: JPOST
"Plusieurs policiers anglais sont montés à bord", poursuit Shefy. "Puis, quelques jours plus tard, sans aucune explication, nous avons tous été transférés sur le Patria. Nous avons été informés par d'autres passagers que les Britanniques envisageaient de nous déporter en Mauritanie. Les conditions à bord du Patria n'étaient pas mauvaises", dit-il, "nous étions certes à l'étroit mais nous ne souffrions pas. Nous dormions sur des lits superposés."
Les brigades sionistes, fermement opposées à l'exil des réfugiés, organisent alors une opération de sauvetage. Des explosifs sont fixés sur le bateau. Selon les estimations du commando, l'explosion devait causer des dégâts matériels suffisants pour annuler le départ. Mais la puissance de détonation est mal calculée. Le matin du 25 novembre 1940, en moins d'un quart d'heure, le paquebot de plus de 15 000 tonnes sombre dans la baie de Haïfa, en entraînant la mort de 260 personnes et en blessant
172 autres.
"J'ai entendu la détonation et immédiatement le bateau a chaviré brutalement vers la droite", se rappelle Shefy. "J'ai essayé d'atteindre le pont supérieur, mais la foule, qui cherchait à fuir, barrait le chemin. Mon père, sur le pont au moment de l'explosion, a cherché en vain à se frayer un passage au milieu de la cohue. Finalement, j'ai réussi à me faufiler sur le ponceau en grimpant." La mère de Shefy, elle aussi, réussit à survivre au drame. Les forces de sauvetage juives, qui finissent par arriver, regroupent les survivants dans un entrepôt du port de Haïfa. "Au soir seulement, nous avons été informés des noms des victimes. La scène était déchirante", se souvient Shefy. Après les événements, les Britanniques emmènent les survivants vers le camp de détention pour immigrants illégaux d'Atlit, au sud de Haïfa. Plus tard, ils seront relâchés et autorisés à rester en Israël.
Personnifier l'Histoire
"Aujourd'hui, l'importance vouée aux témoignages et récits personnels des immigrés a pris de l'ampleur", explique Néomi Izhar, directrice de Bintivei Haapala, une base de données informatisée, ouverte au public à l'ancien camp d'Atlit. Initiée en 2001, la base de données regroupe plus de 19 000 témoignages d'immigrants illégaux - Maapilim - et de militants impliqués dans l'immigration des Juifs sous le mandat britannique. "En 1948, plus d'un cinquième des pionniers sont des Maapilim", précise Izhar.
"L'objectif de la base de données est de documenter, préserver et commémorer l'œuvre de la Haapala. C'est notre dernière chance de recueillir ces informations si précieuses."
Selon les estimations officielles, plus de 130 000 Juifs ont immigré illégalement par le biais de 140 embarcations surchargées, qui transportaient les rescapés européens vers Israël. En 1930, les Britanniques publient le Livre blanc. Des quotas stricts d'immigration sont fixés, c'est le début de la clandestinité. L'immigration illégale, nommée également "Aliya Bet" ou encore "Haapala", commence alors et se déroule en deux étapes. De 1934 à 1942, les efforts se concentrent pour secourir les Juifs européens de la persécution nazie, puis de 1945 à 1948, l'objectif est de ramener en Israël les survivants de la Shoah. L'entreprise est fastidieuse et s'étend le long des rivages et des frontières intérieures du pays. "Les Maapilim débarquent le long de la côte, de Gaza à Rosh Hanikra. Les camps de détention quant à eux sont situés à Sarafand (Tsrifin), Atlit, Shemen et à Mizra."
Atlit est fondé en 1938, initialement utilisé comme quartier militaire. Au fil des années, le camp subit de nombreuses transformations. De 1938, jusqu'à la création de l'Etat d'Israël en 1948, c'est là que les Anglais internent les immigrants clandestins. 40 000 Juifs franchiront alors les portes du camp. En 1948, Atlit devient un camp de réfugiés - Maabara - pendant les principales vagues d'immigration massive. Durant la guerre du Sinaï en 1956 et la guerre des Six-Jours en 1967, il abrite les prisonniers de guerre des armées arabes. En 1970, Atlit est finalement démantelé, pour être reconstruit en 1987 par la Société de préservation des sites israéliens. L'endroit est alors déclaré patrimoine national par le président de l'Etat Haïm Herzog.
"Parmi les visiteurs, vous trouvez des étudiants, des soldats, des jeunes venus de l'étranger ou encore des retraités. La majorité d'entre eux se sent personnellement liée aux témoignages qui sont ici retracés dans notre base de données", explique Izhar. Selon elle, les témoignages sensibilisent les jeunes à cette époque de l'Histoire. "Récemment, un jeune homme nous a relaté le récit personnel de son père, qui aurait débarqué en Israël illégalement avec son frère, entre septembre et octobre 1945", raconte Izhar. "Mais, sur cette période, nous n'avons pas réussi à localiser l'arrivée de bateaux clandestins. C'est en étendant nos recherches sur le mois de novembre que nous avons effectivement découvert dans nos registres le débarquement de deux enfants accompagnés de leur grand-mère." Elle continue : "Après 60 ans, les faits ne sont plus remis en question et sont connus de tous. Nous sommes désireux de transmettre le climat qui régnait à l'époque, le récit social et le parcours individuel de ceux qui avaient choisi de regagner Israël illégalement", ajoute Izhar.
Numérisation des données et objets d'époque
Actuellement, la base de données est uniquement consultable depuis Atlit. Elle n'est pas disponible sur Internet. Izhar et son équipe ont accès également à d'autres registres d'archives : ceux de Yad Vashem, du musée Lohamei Hagetaot, de Beit Jabotinsky, du musée de la Haapala à Haïfa et d'autres. "Toutes ces institutions sont consacrées à l'univers juif à ses derniers instants, avant sa destruction", précise Izhar. "La commémoration est essentielle, mais au-delà, nous cherchons à transmettre un message éducatif en nous focalisant sur les actions menées par les hommes, en mettant l'accent sur la survie, la renaissance d'un peuple après l'enfer de l'Holocauste."
Pour numériser les informations de la base de données, une fiche a été créée pour chaque réfugié. Y figurent ses détails personnels : la description de sa préparation à l'immigration, les détails sur son embarcation, son camp de détention, l'évolution de son état-civil tout au long de son incarcération (mariage, naissance) mais aussi après la création de l'Etat d'Israël. Documents, photographies, coupures de presse, objets intéressants sont les bienvenus.
Abritée dans un baraquement, la base de données est une étape primordiale du circuit qui inclut également la visite d'une baraque d'origine. Ces anciens habitats des immigrants servent aujourd'hui de salles d'exposition d'objets d'époque. Les visiteurs découvrent par la suite le large baraquement où les Juifs étaient aspergés de DDT (premier insecticide moderne) et désinfectés dans les douches. Une expérience traumatisante pour les survivants de la Shoah. De même que les miradors construits autour du camp. On peut apercevoir également la longue promenade, lieu de rencontre pour ces hommes et femmes, séparés dans des sections différentes durant leur incarcération.
Un film est régulièrement projeté, abordant l'offensive menée par le commandant du Palmah, Nahoum Sarig, et son adjoint Itzhak Rabin au mois d'octobre 1945. L'opération, qui aboutit à la libération de 208 Maapilim, prouve la résistance du Yishouv, dans sa lutte acharnée pour le droit à l'immigration, notamment après le désastre de la Shoah. "Prochainement, nous souhaitons transformer un des navires en centre de visite", dévoile Zehavit Rotenberg, directrice du site. "Au-delà des navires et du site, nous souhaitons avant tout préserver les récits qu'ils dévoilent. Nous espérons agrandir notre collection de testaments et d'objets de l'époque."
Itzhak Pressburger et l'Exodus
Récemment, une femme, dont les parents avaient voyagé sur l'Exodus, a légué au site d'Atlit des aiguilles à tricoter : elles avaient été confectionnées par son père, à bord du navire, à l'aide de fils barbelés posés par les Britanniques autour du pont du navire, à Haïfa, pour empêcher les passagers de fuir. En 1947, la tragédie de l'Exodus devient le symbole de la cruauté de la politique d'immigration britannique. Le paquebot quitte le port de Sète, près de Marseille, le 11 juillet 1947, pour la Palestine. A son bord : 4 500 immigrants, dont 600 enfants. Dès son arrivée aux côtes de Haïfa, il est poursuivi par un croiseur britannique qui finit par l'aborder. S'ensuit un combat acharné pour empêcher les Anglais de prendre possession du navire.
Itzhak Pressburger, qui se trouvait en Hongrie durant la Seconde Guerre mondiale, est âgé de 13 ans à l'époque. Après deux ans et demi passés en Allemagne au terme de la guerre, il embarque au bord de l'Exodus avec ses deux sœurs. "Nous étions en mer depuis une semaine lorsque nous sommes arrivés à Haïfa. J'étais tout au fond, avec les autres enfants. C'était comme une cage. Nous savions que les hommes combattaient les Britanniques en haut, sur le ponceau", se souvient Pressburger. "Lorsque je suis remonté avec les autres Hongrois, nous pouvions apercevoir Haïfa, au loin." Mais rapidement, les passagers les informent que le bateau est dérouté pour l'île de Chypre. Débarqué de l'Exodus, Pressburger est transféré à bord de l'Ocean Vigour, un des trois bateaux affrétés par les Anglais pour leur déportation. "Mais nous avons réalisé qu'au lieu de voguer vers le nord-ouest, nous pointions droit vers la France", raconte-t-il. A leur arrivée à Port-de-Bouc le
2 août, les exilés restent un mois et demi dans le bateau, en pleine canicule.
Ils refusent de sortir, malgré la pénurie en nourriture, la promiscuité et les conditions sanitaires catastrophiques. Le gouvernement français refuse de coopérer avec les Britanniques, et ne force pas les passagers à descendre. Les membres du Comité spécial des Nations unies pour la Palestine (UNSCOP), et de nombreux journalistes présents à Haïfa lors de l'émeute tragique, ont du mal à croire aux images qui se dévoilent à leurs yeux à bord de l'Exodus. Les couvertures des journaux ce même jour révèlent au monde la détermination du peuple juif et la nécessité urgente de lui octroyer une patrie d'origine. L'opinion publique se retourne contre la politique menée par les Britanniques.
Songeant aux conditions difficiles de leur voyage, Pressburger ajoute : "Nous avons traversé des périodes si difficiles pendant la guerre, la peur au ventre tous les matins, sans savoir si le lendemain nous serions encore en vie.
A côté de cela, l'expérience de l'Exodus m'a parue, étant enfant, davantage comme une aventure." Mais l'histoire de Pressburger ne s'arrête pas là. De tous les lieux possibles et inimaginables pour envoyer des Juifs, les Britanniques choisissent Hambourg en Allemagne, pour dérouter l'Exodus. "Nous avons été transportés dans un train, avec des barreaux aux fenêtres. Nous pouvions entendre les rires des Allemands tout le long du trajet. Cela a été une épreuve traumatisante." Il se souvient de l'allégresse qui les a transportés le 29 novembre 1947, en écoutant en direct le vote de l'ONU en faveur de la partition de la Palestine. "Nous étions tous réunis, à l'écoute autour de deux transistors. Un cri de joie est monté du camp ce jour-là." Pressburger finira par regagner l'Etat d'Israël. Il sera présent parmi la foule, réunie ce mois de mai 1948 boulevard Rothschild à Tel-Aviv, pour assister à la déclaration de l'Indépendance. "C'est la première fois que j'ai aperçu des soldats juifs en uniformes et armés. C'est alors pour moi comme si le Messie était arrivé !"
Les "enfants de Téhéran"
En 1946, Atlit est surchargé, les Maapilim sont alors envoyés vers l'île de Chypre. C'est là que Moshé Malkiel de Jérusalem épousera Chana. Rescapé d'Auschwitz et d'autres camps, Malkiel, alors âgé de 17 ans, embarque au bord du Knesset Israël en automne 1946. "Nous avons traversé des ports, dissimulés, où nous nous approvisonnions en eau potable et en nourriture", raconte Malkiel. "En approchant Haïfa, les Britanniques nous ont aperçus. Après les camps de concentration, cela n'avait rien d'effrayant. Nous les avons combattus à l'aide de boîtes que nous leur jetions dessus. Mais finalement, ils nous ont déportés pour l'île de Chypre à bord de quatre bateaux. Là-bas, j'ai pu trouver des écoles, et plus tard, je suis devenu secrétaire à la cour de justice." Avec les encouragements de ses parents, Chana épouse Moshé. Comme elle parlait l'anglais, elle a pu servir d'interprète entre les représentants juifs et les officiers anglais.Les réfugiés juifs affluent aussi de la Syrie, du Liban, d'Egypte, de Jordanie ou d'Iran. Ce qu'illustre particulièrement le récit des "enfants de Téhéran". Il s'agit de 800 Juifs d'origine polonaise qui ont réussi à réchapper du nazisme en fuyant vers l'Union soviétique en 1942. De là, ils seront évacués pour Téhéran, en Iran. A la suite de négociations entre l'Agence juive et l'administration anglaise, des certificats d'immigration pour Israël sont accordés aux enfants. Ces derniers traversent l'Inde puis sont recueillis par un navire de guerre britannique qui les transporte au port de Fued au canal de Suez. Les enfants sont transférés par camion à Kantara et rejoignent enfin Atlit par le train, le 18 février 1943.
Les "enfants de Téhéran" sont les premiers survivants à regagner Israël après l'irruption de la Seconde Guerre mondiale. Ils resteront à Atlit deux semaines, pour récupérer de leur péripétie et subir un examen médical. Ils seront enfin placés dans des familles d'adoption.
L'île de Chypre
Quelques mois plus tard, un paquebot supplémentaire atteint les rives de l'île de Chypre, le Rafiah. En novembre 1946, il compte à son bord 800 survivants de la Shoah d'origine roumaine. Pris au milieu d'une tempête, le navire se réfugie près de la côte rocheuse de l'île de Suresnes, aux abords de la Grèce. Pendant ses manœuvres en pleine mer, le bâtiment se heurte aux rochers et sombre rapidement.
La majorité des passagers survivent au drame, mais parmi les victimes, les corps de 8 enfants sont repêchés. Les Britanniques envoient un bateau de sauvetage, HSM Chevron, habituellement utilisé pour pourchasser les nouveaux immigrants. Les survivants sont secourus et évacués vers Chypre. "Nous nous sommes sentis trahis lors des événements. Nous étions supposés rejoindre les rivages d'Israël", explique Rafi Tadmor, qui vit aujourd'hui au kibboutz Dalia. A l'époque âgé de 12 ans, il fait partie d'un groupe d'enfants, membres du mouvement de jeunesse Aliyat Hanoar, désireux d'immigrer en Israël. "Nous nous sommes opposés au débarquement. Mais les Britanniques ont usé de bombes lacrymogènes afin de nous faire descendre", poursuit Tadmor.
"Puis, alors que j'étais depuis deux mois sur l'île de Chypre, les nouvelles autour de la détresse des passagers à bord du navire ont fait scandale dans le monde entier, ainsi qu'en Angleterre. Les Anglais sont accusés de vouloir terminer ce qu'Hitler avait entrepris. A ce moment là, ils nous permettront alors de rejoindre l'Etat d'Israël." Tadmor donne aujourd'hui des conférences à Atlit, aux visiteurs venus de l'étranger, et enseigne dans les écoles le sujet de l'immigration clandestine.
Le site du camp de détention d'Atlit ouvre ses portes de 09h00 à 17h00 tous les jours de la semaine. Les vendredis et jours de fêtes, de 09h00 à 13h00. Téléphone : 04-9841980.
Les visites guidées doivent être réservées d'avance.
Pour obtenir des informations sur la base de données de Bintivei Haapala : 04-954-2218.
Pour obtenir un questionnaire par e-mail, contact : shimurn@netvision.net.il