Le temps russe contre l’OTAN
Par le Pr Naftali Weiss-Livori
Traduit de l'hébreu par Aschkel
Pour aschkel.info et lessakele
Découvrez les documents déclassifiés de l'Otan ICI
Je remercie le Pr N.Weiss-Livori pour cette analyse
En Russie le temps semble s’écouler avec lenteur, quand il ne recule pas comme vient de l’afficher la nouvelle doctrine militaire du pays approuvée par le président Medvedev ce vendredi 5 février.
Si cette doctrine, élaborée pour les 10 années à venir, prend certes en compte les nouveaux risques qui sont la lutte pour les ressources énergétiques, le terrorisme international, la prolifération nucléaire, elle identifie aussi l’OTAN comme principale menace.
En voici le chapitre 8 :
8. Les principales menaces extérieures de guerre :
a) la volonté de développement du potentiel militaire de l'Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN) et de ses fonctions globales mises en œuvre en violation du droit international, pour augmenter l'infrastructure militaire des pays membres de l'OTAN vers les frontières de la Russie, notamment par le développement du bloc ;
b) les tentatives de déstabiliser la situation dans ces différents Etats et régions en sapant la stabilité stratégique ;
c) le déploiement de contingents militaires des États étrangers sur les territoires voisins de la Russie et ses Etats alliés voisins, ainsi que dans les eaux adjacentes ;
d) l'élaboration et le déploiement de systèmes de missiles de défense stratégique qui sapent la stabilité mondiale et violent l'équilibre des forces dans le domaine nucléaire, ainsi que la militarisation de l'espace extra-atmosphérique, le déploiement de systèmes nucléaires non stratégiques, des armes de précision ;
e) les revendications territoriales envers la Russie et ses alliés, l'ingérence dans leurs affaires intérieures ;
f) la prolifération des armes de destruction massive, de missiles et des technologies, qui augmentent le nombre d'états possédant des armes nucléaires;
g) une violation par un Etat d'accords internationaux, et le non respect des traités internationaux déjà signés sur la limitation et la réduction des armements ;
h) l'utilisation de la force militaire dans les territoires des Etats voisins de la Russie en violation de la Charte des Nations Unies et d'autres normes du droit international ;
i) l'existence (émergence) des centres et l'escalade des conflits armés sur les territoires voisins de la Russie et ses Etats alliés ;
j) la propagation du terrorisme international ;
k) l'apparition de foyers de ethniques (sectaires), de tensions, d’activités des groupes radicaux armés internationaux dans les zones adjacentes aux frontières nationales Russie et les limites de ses alliés, ainsi que la présence de conflits territoriaux, la croissance du séparatisme et de la violence (religieuse) extrémiste dans certaines parties du monde.
L’OTAN placé comme principale menace, retour à la guerre froide donc, le temps russe régresse.
Notons qu’au même instant l’Alliance révise son concept stratégique qui sera approuvé lors de la rencontre de Lisbonne en décembre 2010. Ce concept prône un rapprochement avec la Russie et « coïncidence » de dates, du 9 au 12 février le groupe d’experts sur le nouveau Concept stratégique de l’Otan s’est rendu à Moscou pour discuter de ce rapprochement.
Extrait de l’allocution du 11 février de Madeleine Albright, directrice du groupe d’experts, à l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou :
… Parce que le Groupe d'experts est toujours dans le processus de collecte d'idées, nous sommes ici, à Moscou, à l'écoute (et non pour présenter des conclusions) et donc le point de vue je vais exprimer aujourd'hui est tout fait le mien….
… Dans son discours d'ici même en décembre, le Secrétaire général de l’OTAN Rasmussen a clairement indiqué que les divergences entre l'Alliance et le Kremlin n’ont pas lieu d’être et devraient être gérées de manière délibérée et systématique.
«L'OTAN n’attaquera jamais la Russie » a-t-il dit, « jamais. Et nous ne pensons pas que la Russie va attaquer l'OTAN. Nous avons cessé de nous préoccuper de cette question et la Russie devrait cesser de s’en préoccuper aussi ».
M. Rasmussen a poursuivi en disant que « Si nous pouvons bâtir une réelle confiance et la confiance dans les relations entre la Russie et l'OTAN, la Russie peut cesser de s'inquiéter sur une menace de l'Occident qui n'existe tout simplement pas. »
(M. Albright) « La vérité est que les membres de l'OTAN se sentent menacés par un grand nombre des mêmes forces sans foi ni loi qui menacent la Russie, y compris le terrorisme, l'extrémisme violent, la prolifération des armes nucléaires, le trafic de drogue et le crime.
C'est pourquoi l'Alliance invite la Russie à coopérer pour affronter et vaincre ces dangers - et c'est pourquoi je pense que nous devons regarder vers l'avenir non comme des rivaux, mais comme des partenaires ».
La Russie appartient au groupe des 22 pays partenaires de l’Otan siégeant au Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA), elle a participé en tant qu’invitée à de nombreuses manœuvres aéronavales de l’Alliance, que craint-elle donc ?
Des frictions aux frontières baltes, le développement de systèmes de défense antimissile en Roumanie et en Moldavie, voire un assaut japonais vers îles Kouriles (au moment où l’OTAN développe un partenariat dans le Pacifique avec le Japon, l’Australie, la Corée du Sud et la Nouvelle Zélande) ?
Ceci est sans fondement et ridicule.
La Russie subit trois menaces ; celle de l’islam, celle, concurrentielle, de la Chine puis, enfin, la menace démographique intérieure.
La menace de l’islam : elle est parfaitement identifiée dans le versant nord du Caucase et son piémont. Dans les années futures lesquelles des sept républiques locales (Adyghésie, Karatchaevo-Tcherkessie, Kabardino-Balkarie, Ossétie du Nord-Alania, Ingouchie, Tchétchénie et Daghestan) tenteront de glisser définitivement vers le monde moyen-oriental ? La montée religieuse et la démographie galopante des peuples musulmans par rapport aux russophones sont les leviers de ce glissement. Combien de guerres devra mener la Russie pour laquelle perdre une once d’empire est sacrilège ?
La menace de l’islam est moins portée en avant dans les républiques d’Asie centrales, mais tout aussi redoutable à terme pour la Russie. Si l’islam n’est pas par nature fondamentaliste dans cette région, son renouveau sur la scène mondiale et le soutien russe porté à des pouvoirs locaux corrompus font que, dans un avenir proche des mouvements violents tenteront de libérer le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan de l’espace d’influence de Moscou. Combien de guerres là aussi ?
La menace concurrentielle chinoise : la concurrence est triple ; démographique, économique et énergétique.
Démographique : la Sibérie orientale se vide de ses Russes qui émigrent en masse vers la Russie occidentale plus clémente et plus développée, cette population est remplacée par des ouvriers chinois, en d’autres termes, cette Sibérie se sinifie et, au regard des richesses de son sous-sol, il n’est pas certain qu’à terme, la Sibérie du Sud-est ne soit pas revendiquée par la Chine.
Economique : alors que la Chine est devenue le premier exportateur mondial en 2009, l’économie russe ne décolle pas. Si la Russie n’avait ni gaz ni pétrole elle serait encore au XIXème siècle économique, la tradition collectiviste, la non gestion de la qualité, la bureaucratie écrasante, le taux de corruption la contraignent et l’empêchent d’être à un niveau économique correspondant à sa place et sa superficie (elle n’a encore jamais atteint le top ten des pays exportateurs malgré le secteur de l’énergie et celui de l’armement). Les voies maritimes du Pacifique se sont ouvertes depuis la Chine et non la Russie, sur ce point la guerre est déjà perdue pour les russes.
Energétique : dans l’avenir vers quel pays sera expédié le pétrole kazakh, le gaz ouzbek ou turkmène. Bien que très présente au Kazakhstan, la Russie n’évitera pas le projet de pipe-line en direction de la Chine d’être mis en œuvre, des pré-conventions assurent déjà la future exportation du gaz ouzbek et turkmène vers le Chine (et l’Inde). De plus, la Chine développe depuis des années une stratégie dite du « collier de perles », ouvrant des comptoirs et des bases en chaîne sur la côte de l’Océan indien (Pakistan, Birmanie …) afin de solidifier son approvisionnement énergétique depuis le sud de l’Asie centrale (Iran- Caspienne) jusqu’à la péninsule arabique.
La menace démographique intérieure : la menace de l’effondrement démographique russe est si intense que la doctrine militaire ferait bien d’y réfléchir un instant, en effet, depuis vingt ans la population vieillit et décline dangereusement (taux de natalité : 8, 4 pour mille, taux de mortalité : 14, 7 pour mille). Ce taux de mortalité s’accroit du fait d’un alcoolisme galopant, un homme sur trois et une femme sur sept sont dépendants à l’alcool … un homme sur deux peut espérer vivre jusqu’à 60 ans pour un rapport de neuf sur dix en Occident.
Le problème est que le temps russe s’est stoppé en 1990 et que la globalité des nouvelles menaces lui échappe. La Russie se rangera-t-elle du côté de l’Alliance pour le traitement du risque prédominent actuel, le nucléaire militaire iranien ? Ou versera-t-elle du côté chinois qui, pour des raisons de stratégie énergétique, conservera le statu quo ?
Nous serons à cet instant s’il demeure quelque lucidité aux services secrets russes car ne soyons pas dans l’erreur, le problème russe est bien celui de ses services secrets, quand, en Occident, les services œuvrent pour le pays, en Russie, c’est tout le pays qui œuvre pour les services.
Là se situe l’incomblable écart de doctrine.