Les analystes unanimes : Wikileaks signe l’enterrement d’un quelconque lien entre processus de paix et crise iranienne.
Par Marc Brzustowski
Pour © 2010 lessakele et © 2010 aschkel.info
De Sever Plocker (Ynet) à Barry Rubin (IDC Herzlyia/ ICI) jusqu’à Herb Keinon (Jerusalem Post), en passant par Jennifer Rubin (Commentary) ou le New York Times, la vaste majorité des observateurs du Moyen-Orient accorde ses violons sur une note claire comme le crystal :
Les fameuses « révélations » de Wikileaks, ce dimanche 28 novembre, hormis que leur contenu informatif tient du secret de Polichinelle, mettent fin à l’ère de l’hypocrisie, au sujet d’un Orient, finalement, pas si « compliqué » que cela :
elles font voler en éclats la fiction qu’il puisse exister un lien quelconque entre les impératifs du « processus de paix » et la hantise arabe d’un Iran nucléaire. Surtout, la seule intonation qui « frappe » tient du concert des leaders arabes, qui se tordent les mains d’angoisse, face à l’absence de dissuasion américaine. S’ils ne peuvent le dire publiquement, ils ne se gênent absolument pas pour employer les comparaisons les plus crues afin de définir leur ennemi commun : le dictateur Ahmadinedjad. Contrairement à la doxa antisiono-palestiniste ayant cours en Europe, le « nazi », pour le monde arabe, n’est pas israélien, mais perse.
Ce hiatus entretenu marque pourtant le point de départ du fossé grandissant qui s’est, artificiellement, creusé entre la nouvelle Administration, défaite aux mid-terms, et le Gouvernement Netanyahou, dès l’arrivée aux affaires de Barack Hussein Obama :
Celui-ci n’a eu de cesse d’arguer que la création d’un « front uni » des régimes arabes modérés et des préoccupations occidentales et israéliennes contre l’Iran dépendait essentiellement de la formule adoptée pour s’entendre sur la question palestinienne.
A l’inverse, pour le Cabinet Netanyahou, il ne fait aucun doute que le Hezbollah et le Hamas conservent une force de nuisance déterminant l’avenir de toute discussion, tant que la menace iranienne ne sera pas neutralisée. Dès lors, la question du nucléaire occupait le sommet des priorités israéliennes et toute résolution sur un autre champ n’en serait que la conséquence.
Or, ce qui apparaît clairement, dans ces documents, c’est que les dirigeants des régimes sunnites n’ont absolument pas besoin de se faire prier pour embarquer au sein d’une coalition avec l’objectif de réduire l’impact du danger iranien. Au contraire, ce sont eux, au-delà des mises en gardes israéliennes adressées aux diplomates américains, qui exigent de l’Amérique qu’elle prenne le « taureau par les cornes ». Ce que se garde bien de faire Obama, flanqué de son Ministre attentiste de la Défense, Robert Gates, persuadé, depuis toujours, qu’il faut « négocier ». Ou qu'une frappe ne donnerait "que 3 ans de sursis" : allez demander à Abdallah ou aux opposants iraniens si ce n'est pas toujours "ça de pris"...
Ces publications citent l’envoyé du Roi saoudien Adbdallah, dès 2008 : il exhortait les Etats-Unis de frapper l’Iran, et rédigeait, noir sur blanc, sur un de ces messages télégraphiés : « il est absolument nécessaire de trancher la tête du serpent » !
Mohammed Ben Zayied, tête couronnée d’Abu Dhabi, presse Obama en 2009 de cesser « d’apaiser Ahmadinedjad », en le comparant à « Hitler », espérant, sans doute, que cette référence influerait sur la politique « munichoise », à son goût, de l’Administration.
Le Général-Major égyptien, Mohammed al-Assar, rappelle encore en 2010, que « l’Egypte perçoit l’Iran comme le danger principal dans la région ».
Pire, ces régimes redoutent à mots à peine couverts, une entente entre Washington et Téhéran, qui réduirait leur influence au rang de « vaches à lait » énergétiques et les soumettrait à la pression pro-iranienne de la rue et des « Frères musulmans », donc du Jihad global.
Rien n’y fait et le « discours du Caire » peaufiné par Obama reste gravé dans le marbre, comme l'oeuvre majeure du "Prix Nobel de la Paix", mention littérature appliquée aux affaires du Monde. Ce qui occupe le devant de la scène diplomatique, tout au long de ces deux années perdues, tient en une seule injonction magique : « il faut geler les implantations », « obstacle majeur au processus de paix ». Les crises se multiplient, on parle de nouvelles pressions ou d’offres généreuses compensatoires. Par contre, une ligne unique pour aborder l’Iran nucléaire : « négocier ».
De nouvelles sanctions permettent encore de laisser croire que le régime de Téhéran va s’effondrer de l’intérieur sans coup férir. Et, lorsqu’elles n’y suffiraient pas, on ressort du chapeau le gag « Stuxnet » à grand tirage médiatique, pour démontrer que la Cyberguerre est la solution sans frais à tous les problèmes « techniques » de l’humanité.
Durant ce temps - cela a largement été exposé, par ailleurs-, l’axe irano-syrien n’a fait qu’intégrer de nouveaux membres à son club. Damas multiplie les pieds de nez aux mains tendues de ses courtisans français et américains. Le Liban est plus qu’au bord du précipice et s’accroche à la rambarde du Tribunal spécial. La Turquie capitalise ses alliances islamistes à l’Est, couverte par le voile de candeur de l’OTAN. Abbas n’a aucune motivation à négocier que de s’accrocher aux cadeaux idéologiques de son mentor de la Maison Blanche… Et les régimes sunnites ont dû passer la main en Irak, sous les coups de semonce de l’axe adverse.
Les Arabes du Golfe, d’Irak, du Liban, du Yémen, se perçoivent, désormais, comme la Tchécoslovaquie de 1938, pour le Maître passif de Washington.
La politique étrangère de l’Administration découle d’une doctrine idéologique dont se nourrit, entre deux canapés au caviar, l’upper-class des affaires autour du clan Obama (George Soros, financier de J-Street et d’autres). Mais, elle reste sans « lien » et sans effet sur le monde cruel du Moyen-Orient. Le véritable drame à la Maison Blanche est qu’Hilary Clinton et son patron ne soient pas même parvenus à convaincre les grands leaders arabes du bien-fondé de leur Evangile, distribué à toutes les chancelleries. Deux ans plus tard, le tableau est identique à lui-même, en pire : des territoires ont bien été échangés et perdus, mais il s’agit de l’Irak et du Liban, qui subissent désormais la tutelle de visiteurs comme Ahmadinedjad-« Hitler » (pour reprendre l’image courante à Abu-Dhabi), Moqtada Sadr et autres envoyés spéciaux du grand Ayatollah Khamenei.
La question subsidiaire consiste à envisager si un tel « groupe de choc » de conseillers à Washington, comme ceux qui ont déployé leurs talents à « noyer le poisson dans l’eau », autour de leur candidat à sa propre succession, dispose de la moindre « solution de rechange » (un "plan B") pour réviser ses principes inopérants. Et la réponse, à cette heure, risque de laisser pantois. Mieux vaut ne pas y penser…
Les câbles de Wikileaks valident les positions israéliennes qui s’appuient sur la connaissance du terrain et des attentes, en privé, de leurs voisins. Ils délégitiment un peu plus les effets de manche, les discours inconsistants que tient l’occupant de la Maison Blanche, depuis ses débuts en tant que chef d’orchestre. Même les « révélations » sur l’accent mis par Méir Dagan, des services extérieurs de Jérusalem, sur l’aide aux contestataires, politiques ou armés du régime de Téhéran, apparaissent dans la logique du renversement souhaitable d’une dictature. L’accusation de complot est, quoi qu’il en soit, régulièrement reprise par les représentants de la mollachie et l’exposer ne change fondamentalement rien à la donne. Au moins, Israël se tient moralement et logistiquement, aux côtés de la rébellion iranienne. Obama, quant à lui, s’est contenté de suivre les évènements en évitant toute ingérence officielle dans les affaires internes de Téhéran. C’est, à la fois, habile, sur le plan diplomatique, et démobilisant sur le plan des valeurs qu’est encore capable de soutenir l’Occident. Le Département du Trésor a joint à sa liste noire des "groupes terroristes", les Kurdes du PJAK en Iran, dès l'arrivée au pouvoir d'Obama. Et, récemment, le Jundallah baloutche qui détient actuellement un otage nucléaire d'Ispahan (lCl ).
A l’heure où Julian Assange rendait publics ses « scoops », deux savants nucléaires iraniens, les Professeurs Shahriari et Abbassi étaient pris pour cibles par deux motos en plein cœur des quartiers réservés et sécurisés de Téhéran. Al-Arabyia, journal saoudien, tient de sources iraniennes, que le « coup » double parfaitement coordonné n’aurait pu être exécuté que par les Gardiens de la Révolution eux-mêmes, étant donnée la configuration de l’opération. On a déjà vu les services claniques concurrents rivaliser les armes à la main en plein Téhéran. Cela dit, l’heure n’est pas à l’épuisement des ressources humaines et savantes, mais à l’hyper-productivité, quitte à menacer d’exécution les récalcitrants éventuels et leur famille. Quoi de plus enfantin?
L’avènement de Tamir Pardo à la tête des services secrets israéliens, le jour-même de ces « révélations », est salué comme la consécration de « l’homme qu’il faut à la bonne place ». Il est issu du rang, spécialiste des écoutes et des plongées photographiques dans les failles des dispositifs adverses, ancien « technicien » du Sayeret Matkhal et, en cela, proche de l’armée et de la famille Netanyahou depuis Entebbe, doté d’un « ego normal » (allusion à son prédécesseur?). Il n’est pas dit qu’il puisse faire des « miracles », si aucune impulsion ni résonance concrète ne provient de l’Administration autiste de Washington. L’avenir de la lutte anti-terroriste et contre la prolifération nucléaire irano-coréo-syrienne -qui, elles, sont bien liées, n'en doutons pas!- dépend aussi de la façon dont Obama accusera réception de ces deux revers publics que constituent :
- le démenti populaire, lors des récentes élections de mi-mandat.
- l’érosion sévère de la chape de plomb diplomatique. Les postures les mieux gardées du regard de l’opinion publique engagent, cette fois, les conditions réelles de la paix et les nécessités liées directement aux conflits en cours.
Le Roi est nu. Il en paraît fort contrarié.