Les juifs berbères en Kabylie - témoignage
un petit message de bienvenue de ma part pour saluer le retour de kabylmag sur le web
Aschkel
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>Superbe étude : LES JUIFS BERBERES
Est-ce que la communauté juive a été présente en Kabylie ? Est-ce que le souvenir a disparu des mémoires ?
La présence judéo-berbère a surtout été située dans confins Marocains ou bien dans le Sahara (Mzab, Gourara – cf. les travaux du chercheur Haïm Zafrani)…
Pourtant des survivances de cette présence en Kabylie sont encore là, au-travers de noms de villages, où des noms de familles.
Il y a quelques mois, je parcourais les étagères d’une grande bibliothèque parisienne, à la recherche du passé, à la recherche de tout et de rien.
Sûrement que ça vous est déjà arrivé, de vous laisser entraîner par la spirale de l’inattendu.
Je cherchais ce fameux passé, qui pourrait enfin mieux me faire comprendre ce présent chaotique, douloureux d’exilée et surtout ténébreux car en manque de clairvoyance historique.
En général dans ces lieux de silence, de mots et d’encre, sont consignés et conservés de nombreux textes, archives de toutes de sortes.
La mémoire des peuples.
De l’importance de se souvenir
D’ailleurs lors d’invasions, de révoltes destructrices des peuples, ce sont souvent les livres, les bibliothèques voir les musées, qui sont détruits en premiers.
La meilleur façon d’asservir le nouveau peuple fraîchement conquis, c’est de lui effacer tous ses repères passeïstes, sa culture, ses arts, ses sciences, ses modes de vie, son intellectualisme, en faisant flamboyer des autodafés à la démesure de l’égo du conquérant.
Un exemple flagrant : La destruction de la bibliothèque d’Alexandrie (ville où la communauté juive était très présente) en 642 après J.-C. par Omar ibn al Khattab, ami de Mahommet de la tribu des Banu Ad.
Vous allez me dire que c’est une vieille histoire, oui… mais pas tant que cela, car je suis intimement persuadée que les pertes de cette bibliothèque se font encore ressentir aujourd’hui.
Une bibliothèque qui flambe c’est le deuil des esprits.
Bon, je sais, ça fait un peu trop idéaliste ce type de phrase… Mais vous et moi, lorsqu’on nous parle d’une découverte historique, d’un fragment de pierre gravée avec un alphabet ancien, lié de façon lointaine (ou pas) à notre culture… et bien notre attention se démultiplie.
On veut savoir, car un inconscient veut recouvrir la vue.
On veut connaître et surtout on veux en parler autour de soi (à sa famille, amis). On veux recréer la connexion du passé au présent, qui a été rompue.
On veut pouvoir dire : “Je viens de là !”.
Voici ce que Ibn Khaldoun disait au sujet de la bibliothèque d’Alexandrie après sa destruction :
« Que sont devenues les sciences des Perses dont les écrits, à l’époque de la conquête, furent anéantis par ordre d’Omar ?
Où sont les sciences des Chaldéens, des Assyriens, des habitants de Babylone ? (…)
Où sont les sciences qui, plus anciennement, ont régné chez les Coptes ?
Il est une seule nation, celle des Grecs, dont nous possédons exclusivement les productions scientifiques, et cela grâce aux soins que prit El-Mamoun de faire traduire ces ouvrages. (…)
Les musulmans, lors de la conquête de la Perse, trouvèrent dans ce pays, une quantité innombrable de livres et de recueils scientifiques et [leur général] Saad ibn Abi Oueccas demanda par écrit au khalife Omar ibn al-Khattab s’il lui serait permis de les distribuer aux vrais croyants avec le reste du butin. Omar lui répondit en ces termes : “Jette-les à l’eau ; s’ils renferment ce qui peut guider vers la vérité, nous tenons de Dieu ce qui nous y guide encore mieux ; s’ils renferment des tromperies, nous en serons débarrassés, grâce à Dieu !”
En conséquence de cet ordre, on jeta les livres à l’eau et dans le feu, et dès lors les sciences des Perses disparurent.”
In Prolégomènes – 3e partie
Fadhma At Mansur raconte…
Tout ceci pour vous dire, que je ce jour d’août 2010, le hasard (si le hasard existe), fit que je feuilletais un petit texte écrit par le professeur Salem Chaker, dans une compilation de recherches d’universitaires.
Le livre était rangé dans le rayon Ethnographie d’Afrique Centrale (allez comprendre) : Traces juives pour une exploration systématique.
Salem Chaker s’était posé la question s’il y avait une trace de la confession juive en Kabylie ?
Après de nombreuses recherches par notices, mots-clés, etc. les résultats qu’il trouva furent forts maigres.
Pourtant, il se posa tout de suite une réflexion sur l’ethnonymie kabyle, où il cite des noms au hasard tels que : At-Mimum, At Yaequb, At Mendes, qui ne sont absolument pas des noms portés par les arabes.
Puis, il croisa les paroles de Fadhma Amrouche At Mansur, dans son autobiographie Histoire de ma vie (1967), où elle parle de la communauté juive d’Ighil-Ali.
Il reprend le fil d’un vieil enregistrement daté de 1960, à l’époque Fadhma avait 78 ans.
Que disait-elle ?
“Quand j’étais à Ighil-Ali, la grand-mère de mon mari m’avait raconté qu’au début, il y avait des juifs, beaucoup de juifs au village, à Ighil-Ali.
Et que ces juifs… maintenant encore, il y a un rocher qu’on appelle le Rocher des Jacob, encore maintenant ! Et ce rocher, toujours, toujours, il ramasse les nuages et tous les corbeaux s’y rejoignent. Les jours de pluie, on voit les corbeaux voler autour de Azru n At-Yaequb, le Rocher des Jacob. (…)
Le vendredi… ils préparaient leur repas du samedi, ils avaient de grands chaudrons qu’ils remplissaient de sauce et ils y coupaient un agneaux entier, pour le shabat du lendemain.
Et encore maintenant, dans le village d’Ighil-Ali, il y a le quartier juif, At-Musa, Les Moïse; et dans ce village, dans cette portion du village, il y a les Moïse et les Jacob; At Jeuda (=Yehuda) et les Moise (At Musa).
Et après des centaines d’années, le fond du peuple est toujours là.
Ces gens là, de père en fils, sont toujours restés des marchands, et pas des cultivateurs (…).
Et le village existe toujours, et les descendants de ces Joad sont encore là, et ces Moïse, At Musa…
Il y a des villages entiers qu’on appelle At-Jeuda, le village des Joad, des villages entiers; même dans mon quartier à moi, dans mon village, il y a des Joad, At-Jeuda…
C’est bien vieux tout ça, c’était au début, au début du monde…
A l’époque il n’y avait pas le Canal de Suez; on passait à pied par l’isthme; on passait de l’Asie en Afrique à pied… Ils sont venus à l’aveuglette… Ils sont venus à pied… “
Les événements qui sont rapportés ici remontent à l’enfance de la grand-mère du mari de Fadhma… On peut situer ces événement au tout début du XIXe siècle.
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Rozala
Bibliographie
-Présence juive au Magrehb – avec le texte Traces juives en Kabylie : pour une exploration systématique
de Salem Chaker professeur et chercheur à l’Inalco
-Histoire de ma vie de Fadhma At Mansur
-Oeuvres Complètes de Flavius Josephe