Les périls d’un Sinaï remilitarisé
Par Caroline B.Glick
Adaptation française de Sentinelle 5771 ©
Selon les termes du traité de paix israélo-égyptien, il est interdit à l’Egypte de déployer des forces militaires dans le Sinaï.
L’armée égyptienne sera-t-elle autorisée à remilitariser le Sinaï ? Depuis que des terroristes palestiniens et égyptiens ont traversé la frontière à partir du Sinaï vers Israël le 18 août et assassiné huit Israéliens, cela a été une question centrale en discussion aux échelons les plus élevés du gouvernement et de Tsahal.
Selon les termes du traité de paix israélo-égyptien, il est interdit à l’Egypte de déployer des forces militaires dans le Sinaï. Israël doit approuver toute mobilisation militaire égyptienne dans la zone. Aujourd’hui, l’Egypte demande de déployer ses forces en permanence dans le Sinaï. Une telle décision requiert un amendement au traité.
Soutenus par l’administration Obama, les Egyptiens disent qu’ils ont besoin de déployer des forces dans le Sinaï pour freiner et vaincre les forces jihadistes progressant maintenant de façon rampante dans la péninsule. En plus de s’attaquer à Israël, ces jihadistes ont ouvertement mis au défi le contrôle gouvernemental égyptien sur le territoire.
Jusqu’à présent, le gouvernement israélien a donné des réponses contradictoires à la requête égyptienne. Le ministre de la défense Ehud Barak a déclaré au journal « The economist » la semaine dernière qu’il soutient le déploiement de forces égyptiennes. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a déclaré dimanche qu’il envisageait ce déploiement mais qu’Israël ne doit pas se précipiter pour amender le traité de paix avec l’Egypte.
Samedi, Barak a tempéré sa déclaration précédente, proclamant qu’aucune décision n’avait été prise sur le déploiement égyptien dans le Sinaï.
Les déclarations confuses du gouvernement sur le déploiement de troupes égyptiennes indiquent qu’au minimum, le gouvernement n’est pas sûr de la meilleure évolution de son action. Cette incertitude est due en grande partie à la confusion sur les intentions de l’Egypte.
Les chefs militaires égyptiens ont vraiment intérêt à empêcher des attaques jihadistes sur les installations égyptiennes et autres intérêts dans le Sinaï. Mais cet intérêt se traduit-il en un intérêt pour la défense des installations et des intérêts israéliens ? Si l’intérêt prévaut, alors le déploiement de forces égyptiennes peut être une option raisonnable. Si les chefs militaires égyptiens considèrent que ces intérêts sont mutuellement exclusifs, alors Israël n‘a pas intérêt à un tel déploiement.
La confusion d’Israël sur la direction stratégique et les intérêts de l’Egypte fait écho à sa confusion dissipée tout récemment sur la direction stratégique de la Turquie suite à l’ascension du Parti islamiste AKP au pouvoir en 2002. Sous la direction des USA, en dépit de la rhétorique hostile du Premier ministre turc Recyp Tayyip Erdogan concernant Israël, Israël a continué de croire que le pays et son gouvernement étaient intéressés à maintenir l’alliance stratégique avec Israël. Cette croyance a commencé de se dénouer quand Erdogan a adoubé le Hamas en janvier 2006 et a montré sa volonté de fermer les yeux sur l’utilisation par l’Iran du territoire turc pour transférer des armes au Hezbollah pendant la guerre en juillet et août 2006.
Pourtant, du fait du soutien des USA à Erdogan, Israël a continué de vendre des armes à la Turquie jusqu’à l’an dernier. Israël a seulement reconnu que la Turquie s’était transformée d’allié stratégique en ennemi stratégique après que Erdogan eût parrainé la flottille terroriste pour Gaza en mai 2010.
Comme ce fut le cas avec la Turquie sous Erdogan, la confusion d’Israël sur les intentions de l’Egypte n’a rien à voir avec le comportement des dirigeants militaires. Comme Erdogan, la junte égyptienne n’adresse pas des signaux mêlés à Israël.
L’ancien président égyptien Hosni Moubarak n’a jamais été un allié stratégique d’Israël de la manière dont la Turquie l’était avant Erdogan. Cependant, Moubarak croyait que maintenir une frontière calme avec Israël, combattre les ‘Frères Musulmans’ et garder le Hamas à distance servaient ses intérêts. Les successeurs de Moubarak de la junte ne perçoivent pas leurs intérêts de la même manière.
Au contraire, depuis qu’ils ont renversé Moubarak en février, les généraux qui dirigent l’Egypte ont fait connaître clairement que leur intérêt à cultiver des liens avec des ennemis d’Israël – depuis l’Iran jusqu’aux ‘Frères Musulmans’ – surpasse de loin leur intérêt à maintenir une relation de coopération avec Israël.
Depuis la permission à des bateaux de guerre iraniens de traverser le Canal de Suez pour la première fois depuis 30 ans, à l’ouverture de la frontière avec Gaza dirigé par le Hamas, en passant par sa réaction ouvertement hostile et comploteuse à l’attaque terroriste du 18 août depuis le Sinaï contre Israël, il reste peu de doute sur la trajectoire des relations de l’Egypte avec Israël.
Mais comme ce fut le cas avec la Turquie – et encore une fois, largement à cause de la pression américaine – les dirigeants d’Israël acceptent prudemment que le paysage stratégique de notre relation avec l’Egypte ait changé radicalement et que les règles appliquées sous Moubarak ne s’appliquent plus.
Après qu’Israël se soit retiré de Gaza en Août 2005, des terroristes de Gaza et du Sinaï ont démoli la frontière. Gaza a été immédiatement inondé d’armements sophistiqués. Le Premier ministre d’alors Ariel Sharon a passé un accord avec Moubarak pour déployer des forces égyptiennes dans le Sinaï, reconstruire la frontière et contrôler le point de passage de Rafah. Bien qu’il y ait eu des problèmes sur l’accord, du fait des intérêts partagés entre Moubarak et Israël, la décision n’était pas injustifiée.
Aujourd’hui ce n’est pas le cas. La junte veut déployer de façon permanente des forces dans le Sinaï et par conséquent elle pousse à amender le traité. La requête des généraux survient sur le fonds d’appels populistes de tout le spectre politique de l’Egypte exigeant l’annulation du traité de paix.
Si Israël accepte de renégocier le traité, il abaissera le coût politique d’une abrogation égyptienne ultérieure de l’accord. Il en est ainsi parce qu’Israël sera perçu comme reconnaissant de lui-même que le traité ne répond pas à ses propres besoins.
Au-delà de cela, il y a la nature de l’armée égyptienne elle-même, qui a été révélée pendant et à la suite de l’attaque du 18 août. Au minimum, les terroristes égyptiens et palestiniens qui ont attaqué Israël ce jour-là l’ont fait sans interposition des forces égyptiennes déployées le long de la frontière.
Le fait qu’ils aient tiré vers Israël depuis des positions militaires égyptiennes indique que les forces militaires sur le terrain n’ont pas seulement fermé les yeux sur ce qui arrivait. Plutôt, il est raisonnable de penser qu’elles ont prêté main forte aux agents terroristes.
De plus, la réponse hostile de l’armée égyptienne aux opérations défensives israéliennes pour mettre fin à l’attaque terroriste indique qu’au minimum, les plus hauts échelons de l’armée ne disposent d’aucune sympathie à l’égard du droit d’Israël de défendre ses citoyens.
Aussi bien le comportement des forces sur le terrain et celui de leurs commandants au Caire indiquent que si l’armée égyptienne est autorisée à déployer ses forces dans le Sinaï, ces forces ne serviront aucun objectif utile à Israël.
L’animosité démontrée de l’armée par rapport à Israël, l’incertitude de l’avenir politique de l’Egypte, l’ascension des ‘Frères Musulmans’, et la haine d’Israël partagée par toutes les factions politiques égyptiennes démontrent toutes qu’Israël ne pourra que regretter de permettre à l’armée égyptienne de se mobiliser dans le Sinaï. Non seulement les soldats égyptiens n’empêcheront pas des attaques terroristes contre Israël, mais leur présence le long de la frontière augmentera la perspective d’une guerre avec l’Egypte.
L’inaction actuelle de l’Egypte contre des agents terroristes anti-Israël dans le Sinaï a déjà amené Tsahal à augmenter le niveau de ses forces le long de la frontière. Si l’Egypte est autorisée à masser ses forces dans le Sinaï, alors Tsahal sera obligé de répondre en augmentant fortement la dimension de ses forces mobilisées le long de la frontière. Et la proximité des deux armées sera facilement exploitée par les forces populistes égyptiennes pour fomenter une guerre.
Dans son entretien avec le journal ‘The Economist’, Barak a déclaré bizarrement : « Parfois, vous devez subordonner vos considérations stratégiques à des besoins tactiques ». Il est difficile de penser au moindre exemple dans l’histoire humaine où les intérêts d’une nation étaient préservés en gagnant une bataille et en perdant une guerre. Et les risques avec l’Egypte sont trop élevés pour que les dirigeants d’Israël s’engagent dans un mode de pensée aussi confus et imbécile.
Les dangers émanant de l’Egypte post-Moubarak sont énormes et ne peuvent que croître. Israël ne peut permettre que son désir d’évènements différents obscurcisse son jugement. Il doit accepter la situation telle qu’elle est et agir en conséquence.
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