Les vrais champions de la rue arabe sont Perse et Turc...ou l'art de miser sur le bon cheval !
DIRIGEANTS INFLUENTS | Kadhafi n’est plus un leader pour le monde arabe. Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, et le chef du gouvernement turc, Recep Erdogan, ont pris la place, faute de vrai leader arabe.
tdg.

OLIVIER BOT | 27.02.2010 | 00:00
Qui sont les leaders d’opinion du monde arabe aujourd’hui? Le Libyen Muammar Kadhafi a beau en rajouter en multipliant les attaques contre la Suisse, il ne regagnera pas la popularité qui fut la sienne, discrédité par ses rodomontades désordonnées et ses casseroles. Quelles sont aujourd’hui les voix de chefs d’Etat entendues au-delà des frontières de leur pays? £«On voit mal qui sont les successeurs d’un très populaire Nasser, ou même de Sadate ou d’Arafat», soupire l’islamologue genevois Zidane Mériboute, auteur d’Islamisme, soufisme, évangélisme, qui vient de sortir chez Labor et Fides.
Le paradoxe est en effet qu’aujourd’hui, la rue arabe s’est choisie pour champions un Perse et un Turc, «issus de deux terres d’islam historiquement concurrentes du monde arabe», ajoute-t-il. L’Iranien Ahmadinejad et le Turc Erdogan ont en effet la faveur de la presse et de la rue.
L’anti-Israélien iranien
Le portrait du président Ahmadinejad n’est plus seulement brandi au Liban ou à Gaza, où le Hezbollah et le Hamas relaient l’influence de la République islamique. Il l’est aussi en pays sunnite, «malgré leur opposition acerbe au chiisme», remarque Zidane Meriboute. Pourquoi? C’est par son verbe outrageusement anti-israélien que le président iranien a acquis cette popularité.
En janvier 2009, c’est au nom des Arabes (alors que les Iraniens ne le sont pas) qu’il écrivait au roi d’Arabie saoudite pour lui demander de «rompre le silence sur le meurtre de ses enfants» à Gaza et à la Ligue arabe pour exiger qu’elle «remplisse son devoir» face à l’Etat hébreu. Qualifiant Israël d’Etat raciste dans l’enceinte de l’ONU à Genève en avril, Ahmadinejad – dont les sorties sont souvent plus franchement antisémites – avait fait un tabac auprès des délégations arabes. Il obtient d’ailleurs sa meilleure côte de popularité, selon l’institut de sondages Pew, dans les territoires palestiniens (45%) alors que la méfiance à l’égard de l’Iran domine encore largement dans les pays arabes.
«Notre mémoire récente nous rappelle que les Iraniens n’ont pas participé à la guerre de Gaza, sur instruction des plus hautes autorités de l’Iran», relevait dans un éditorial Tarek el-Hamid, rédacteur en chef du quotidien panarabe Asharq al-Awsat, diffusé dans douze villes du Machrek et du Maghreb.
Le leader du Hezbollah libanais, le chiite Hassan Nasrallah, proche de l’Iran, parvient à s’attirer un peu plus de confiance dans les pays arabes sunnites, et d’abord dans les territoires palestiniens ou en Jordanie (65% et 56% selon l’institut Pew). Mais il n’est pas chef d’Etat.
Le médiateur turc
Plus récemment, le Turc Recep Erdogan, le chef du gouvernement d’Ankara, a acquis une vraie popularité. Elle a grandi encore quand il a vivement interpellé le président israélien, Shimon Perez, à Davos, en janvier, à propos de «la prison à ciel ouvert de Gaza», avant de claquer la porte parce qu’on ne le laissait pas parler. Cette réaction du premier ministre issu du parti islamiste AKP a fait le tour du monde arabe. D’autant que la Turquie est le premier pays musulman à avoir reconnu l’Etat d’Israël, dès 1949, et qu’il est un allié des Américains et d’Israël, pays avec lequel les relations se sont cependant tendues depuis l’arrivée des islamistes au pouvoir, en 2002. Dans cette compétition d’influence dans le monde arabe, Erdogan, plus mesuré qu’Ahmadinejad, a marqué des points. Il joue les médiateurs entre l’Iran et les pays arabes, entre Israël et la Syrie, entre le Fatah et le Hamas en Palestine.
En janvier, il recevait même le prix de «service rendu à l’islam» décerné par le Fonds Fayçal, une sorte de Nobel arabe décerné depuis 1979, confirmant son «statut de leader du monde musulman». Sa politique, volontiers qualifiée de «néo-ottomane», commencerait-elle à payer?
➜ Le sondage «Global Project Attitudes» de l’institut d’opinion américain Pew a été réalisée dans six pays musulmans, en mai et juin 2009, sur des échantillons représentatifs de 1000 personnes par pays, lors d’entretiens en face à face.
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