Adapté par Aschkel
La question de la transmission de la Shoah pose le problème de savoir comment transmettre la mémoire d’une catastrophe inouïe en acceptant d’emblée qu’il nous est impossible d’en saisir les causes et le sens.
C’est précisément pour éluder le vertige ou la désespérance qu’inspire cette impossibilité qu’on a tenté maintes explications de la Shoah.
Jusqu’à invoquer le Nom et les desseins du divin, là où la seule attitude éthique est celle de la retenue et du silence.
On retrouve ici la condition de Loth quittant Sodome, quand Dieu lui
S’il est demandé à Loth de ne pas se retourner, c’est d’abord pour l’empêcher de vouloir interpréter les desseins divins.
Dieu confère à l’homme la conscience de sa responsabilité à l’égard des
Il doit se libérer de la tentation de se prendre pour Dieu. Il importe de poser cela comme un préalable.
C’est d’une solution finale dont, cette fois, il s’agissait,
Même en Égypte, dont le souvenir reste si fort et si présent dans notre
Toutes les broderies autour de ce thème impossible sont dérisoires au regard des témoignages bruts, à l’exemple de l’un des plus hauts d’entre eux, celui de Primo Lévi.
Une telle tentation n’est d’ailleurs pas seulement le propre d’une certaine forme d’orthodoxie religieuse.
Les sionistes laïcs, dont une partie était très antireligieuse avant la guerre, ont souvent considéré que ce qui avait sinon provoqué, du moins rendu possible la Shoah, était l’incapacité des Juifs à quitter l’Europe pour réaliser le
Ajoutant que si toutes les communautés juives d’Europe s’étaient unies pour
On trouve dans la philosophie juive la croyance qu’un bien peut naître d’un mal, démarche qui peut aller jusqu’à injecter de la finalité dans le mal et rendre ce dernier providentiel. La naissance de l’État d’Israël dans l’immédiat après-guerre a pu favoriser ce type d’approche, visant à donner sens, voire à justifier le mal absolu.
Comme si le miracle israélien pouvait donner sens à la malédiction nazie…
On a pu entendre aussi que la Shoah s’inscrivait dans le registre du châtiment divin envers son peuple pécheur. Nombreux sont ceux qui excluent radicalement, comme contraire au génie juif et à la tradition biblique, la pensée que la Shoah puisse être une punition divine. Néanmoins, on trouve dans presque tous les textes une quête éperdue de sens : il importe probablement pour ces penseurs qu’un tel degré de
Méfions-nous donc de ces dangereuses constructions théoriques qui, en dernier ressort, font des bourreaux du peuple juif les instruments de la colère divine et les constructeurs de l’État d’Israël. Mais alors, comment ne pas rester muet, perplexe, traumatisé.
Comment garder la foi du charbonnier, comment ne pas, en son for intérieur, mettre en cause Dieu ? Il ne s’est pas trouvé dix justes dans les camps de la mort ?
Deux versets de la Torah me reviennent périodiquement à l’esprit et je ne peux les citer sans un profond désarroi.
C’est d’abord le cri d’Abraham : « Quoi, le Juge de toute la terre ne pratiquerait pas la justice ? » (Genèse, XVIII, 25).
L’autre verset provient de Lévitique (XXII, 28) : « Boeuf ou agneau, vous n’égorgerez pas l’animal et son petit le même jour. »
C’est bien pourtant ce qui est arrivé, dans les conditions les plus horribles, à des milliers de créatures humaines, faites à l’image de Dieu.
Alors, j’ai recours à une troisième proclamation qui n’apporte guère de réconfort, mais renforce Son mystère insondable : « Car Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas Mes voies. » (Isaïe LV, 8).
Non, ce deuil infini ne pourra être apaisé ni par le temps, ni par le pardon, ni par la vengeance, ni par une revanche quelconque. Nous sommes ici face au mystère absolu du Mal absolu.
Lire la suite