Régler pacifiquement le conflit israélo-palestinien. Itzhak Rabin considérait cette éventualité avec le plus grand sérieux mais c'est à contrecœur et par le biais du processus d'Oslo, qu'il a tenté d'y parvenir. La raison : il savait déjà, à l'époque, que les fondamentalistes musulmans risquaient de gagner progressivement le cœur et l'esprit des Palestiniens de Judée-Samarie et de Gaza. Et surtout que leur domination marquerait la fin certaine du règlement de la situation. Cette thèse a été formulée par Rabin lui-même, le mercredi 1er novembre 1995, soit trois jours avant son assassinat, lors d'un discours tenu à son ami Yehouda Avner, dans son bureau de Jérusalem.
Itzhak Rabin : “Il n’existe pas de solution à un conflit théologique.”
PHOTO: JPOST
Un témoin privilégié de l'Histoire
Avner a travaillé notamment avec les Premiers ministres Levi Eshkol, Golda Meir, Menachem Begin, et brièvement avec Shimon Peres. Il a en outre collaboré avec Rabin lors de son premier mandat de chef du gouvernement, dans les années 1970 et précédemment, quand Rabin était ambassadeur à Washington. En diplomate chevronné, âgé aujourd'hui de 81 ans, il révèle, dans un nouveau livre, les informations qu'il a recueillies tout au long de sa carrière politique.
A la fin de l'année 1995, ses fonctions au poste d'ambassadeur en Australie prennent fin. Il est alors été invité à rejoindre l'équipe de Rabin. "Je l'ai rencontré dans son bureau de Jérusalem, le mercredi 1er novembre", se remémore Avner dans son livre, The Prime Ministers (Les Premiers ministres). "Ma première question était : 'Pourquoi avoir serré la main de Yasser Arafat ?'" Rabin, d'après Avner, a examiné la question et donné une explication détaillée, publiée pour la première fois. Le diplomate s'est donné pour ambition d'offrir un aperçu unique de la pensée de Rabin, de ses motivations et de ses objectifs. Il souligne à quel point l'ancien chef de gouvernement, immédiatement avant son assassinat, avait conscience de la menace croissante représentée par l'Iran. Du danger que constituait la République islamique pour la stabilité de la région et pour les perspectives de compromis viables avec les Palestiniens.
Percer la pensée unique de Rabin
Une grande partie de l'ouvrage d'Avner est un récit tissé par des décennies passées aux côtés d'une succession de Premiers ministres, aux moments les plus fatidiques de l'Histoire d'Israël. Les conversations dont il fait état sont retranscrites à partir de notes de l'époque et permettent une vision nouvelle des événements qui ont marqué le jeune Etat hébreu. Rappel.
"En un", Rabin construit sa réponse et s'explique, "Israël est entouré de deux cercles concentriques. Le cercle intérieur est constitué de nos voisins immédiats - l'Egypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban et, par extension, l'Arabie Saoudite. Le cercle extérieur comprend leurs voisins - Afghanistan, Iran, Irak, Soudan, Somalie, Yémen et Libye. La quasi-totalité d'entre eux sont des Etats voyous, et certains vont rapidement devenir des puissances nucléaires."
"En deux", le Premier ministre d'alors ajouter que le fondamentalisme islamique iranien représente d'ores et déjà "une menace pour le cercle intérieur dans son ensemble, pas uniquement à l'égard d'Israël". Le courant qui cherche à déstabiliser les Emirats du Golfe, a déjà causé des ravages et des milliers de morts.
20 000 en Syrie, 100 000 en Algérie, 22 000 en Egypte, 8 000 en Jordanie. En Afrique les massacres se poursuivent : 14 000 morts sont estimés au Soudan et en Somalie ; 12 000 tués au Yémen, et désormais, explique-t-il, il tente de gagner de l'influence en Judée-Samarie et dans la bande de Gaza.
"L'Iran est le banquier de la région", soulignait Rabin. L'Etat verse des millions en Judée-Samarie et à Gaza, sous forme d'aide sociale, pour la santé et l'éducation. Son but alors : gagner le cœur de la population et la nourrir en fanatisme religieux. "Ainsi", poursuit-il, "une convergence d'intérêts a surgi entre Israël et ses voisins du premier cercle. Ces derniers se sont rendus à l'évidence qu'ils avaient moins à craindre de l'Etat hébreu que de leurs voisins musulmans du second cercle. A terme, leurs intérêts stratégiques sont les mêmes que les nôtres : atténuer les conséquences déstabilisantes du cercle extérieur, radicalisé et prochainement en possession de l'âme nucléaire."
Une guerre de religion
Rabin, ensuite, en est venu à la réflexion qui l'a conduit à la décision de poursuivre le processus d'Oslo. Le conflit israélo-arabe, dit-il, "a toujours été considéré comme une question politique : un conflit entre Arabes et Israéliens. Les fondamentalistes, quant à eux, font de leur mieux pour le transformer en un conflit religieux - Musulmans contre Juifs, islam contre judaïsme. Car si un conflit politique peut être résolu par la négociation et les compromis, il n'existe pas de solutions à un conflit théologique. Il n'est dans ce cas question que de djihad, guerre de religions. Leur Dieu contre notre Dieu. Aucune issue n'est alors possible, et nous irons de guerre en guerre, d'impasse en impasse."
En substance, c'est ainsi que le Premier ministre a résumé la situation à son conseiller de longue date. "C'est pourquoi j'ai accepté, à Oslo, de serrer la main de Yasser Arafat à contrecœur. Lui et l'OLP représentaient les derniers vestiges du nationalisme palestinien laïc. Nous n'avons personne d'autre avec qui traiter. C'est l'OLP ou rien." Rabin avait demandé à son aide de camp, Eitan Haber, d'organiser une deuxième réunion le dimanche qui suivait, le 5 novembre. Malheureusement, elle n'a jamais eu lieu : la veille au soir, l'homme de paix était assassiné à Tel-Aviv.
Yehouda Avner présentera son livre The Prime Ministers samedi 13 mars à 20h30 à la Grande Synagogue de Jérusalem, 56, rue King George. Evénement ouvert au public. En anglais.
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