De Jacques BENILLOUCHE
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Livresque
Il était difficile à Tobie Nathan de quitter son poste de conseiller culturel à l’Ambassade de France à Tel-Aviv, durant cinq ans, sans y laisser une trace tangible de sa mission diplomatique. Il savait charmer son auditoire à chacune de ses interventions et, avec son dernier roman, il renoue les liens avec ceux qui le liront après avoir aimé l’écouter. Il a réalisé une performance à la fois d’historien et de romancier car« Qui a tué Arlozoroff » est avant tout un thriller, se déroulant à Tel-Aviv et mêlant l’Histoire et le suspense, dont les ramifications se retrouvent en Europe à l’heure où les juifs se battaient pour leur survie et Israël pour sa création.
Peu de jeunes israéliens connaissent l’histoire de Haïm Arlozoroff et la seule réponse consisterait pour eux à dire qu’il s’agit du nom d’une grande artère de Tel-Aviv ou celui d’une sortie du périphérique. Grand socialiste progressiste, gauchiste dans la terminologie moderne, sorte de ministre des affaires étrangères avant la création de l’Etat, il aurait pu être leader à la place de David Ben Gourion. Il avait créé, le premier, le concept de deux peuples sur une même terre dans une sorte de théorie d’Etat binational avant l’heure mais il a dû par la suite déchanter. Le Foyer National devait, selon lui, intégrer « la politique d’une compréhension mutuelle entre les deux peuples ». Il avait négocié des accords « de transfert » avec le gouvernement nazi consistant à permettre l’immigration organisée de Juifs allemands en Israël mais les révisionnistes de droite mirent tout leur poids pour faire capoter le projet.
L’auteur ne se borne pas à des considérations politiques puisqu’un roman ne se conçoit pas sans une histoire d’amour tumultueuse. Il nous conte alors, à sa manière truculente, la passion amoureuse de Magda Goebbels, devenue croqueuse d’hommes par déception amoureuse, éprise de ce juif russe Arlozoroff alors que, allemande et fille adoptive de juif, elle devait par la suite épouser le théoricien de la propagande nazie.
L’assassinat d’Arlozoroff nous conduira progressivement à un puzzle que le lecteur reconstituera au fil des pages car plusieurs officines avaient intérêt à éliminer cet intellectuel politique juif, trop en avance sur son temps. Plusieurs hypothèses sur le commanditaire du meurtre avaient été échafaudées mais le doute plane encore et le secret reste bien gardé dans les mémoires israéliennes.
Ce roman, d’une écriture fluide et recherchée, se lit d’une traite tant le lecteur est absorbé par une histoire qui oscille sans cesse entre réalité et fiction. L’auteur en profite pour faire œuvre d’historien car la création d’Israël a été peu contée par les auteurs français. Les amoureux de vraie littérature auront le double plaisir de s’informer sur une période dramatique juive tout en accompagnant leur détente au soleil, cet été, au bord de la plage de Tel-Aviv, où Tobie Nathan a planté son décor, non loin de l’Ambassade de France.
Grasset tient certainement un candidat sérieux à un prix prestigieux à moins que le roman ne fasse l’objet d’un film qui lui donnera son envol. D’ailleurs l’auteur laisse transpirer dans son récit l’ébauche d’un scénario dramatique où les scènes sont déjà découpées pour donner au film toute son intensité dramatique. La psychanalyse mène à tout, à la diplomatie certes, mais aussi à la littérature de qualité.