Ramadan 2011-(1432) : début ou fin du bal masqué au « Printemps arabe » ?
par Marc Brzustowski
Pour © 2011 lessakele et © 2011 aschkel.info
En ce dernier week-end qui précède le Ramadan, les comptes ne sont pas soldés, loin s’en faut, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Tout laisse présager qu’on se battra longtemps encore à la sortie des mosquées. La période religieuse promet même d’intensifier l’omniprésence des confréries comme les Frères Musulmans, Salafistes au Caire et les bandes armées d’Al Qaeda, en démonstration de force à El Arish.
A peine sortis de cette période, nous entrerons dans la phase de « déclaration unilatérale d’un Etat palestinien » à l’ONU, couplée avec les chœurs de l’armée rouge-brune-verte à Durban III (Genève). Le show consacrera d’abord Mahmoud Abbas, mais il est peu probable qu’il fasse taire les dissensions qui se font jour, dans un silence « religieux » entièrement dédié à sa cause. Son offensive médiatique équivaut à un sommet... de l'iceberg.
On est surpris par la liste de ces règlements de compte, comme dans un inventaire à la Prévert, jugeons du peu :
- Elimination du chef d’Etat-Major des rebelles libyens, Abdel Fatah Younès, rival, vraisemblablement assassiné par ses colistiers rebelles, sous les ordres directs de Mustafa Abdul Jalil, chef du Conseil National de Transition. La cause serait qu’on se dispute sur la façon de « négocier » avec le Tyran, même si on prétend encore le combattre, avec le renfort de l’OTAN… On pense, généralement, que ce qui se passe en Libye s’éloigne d’Israël et que ces évènements n’ont pas d’incidence directe. Les rapports sur la contrebande vers Gaza pensent différemment : l’armement et les hommes envoyés ou revendus par les rebelles servent directement ou indirectement à l’infrastructure du Hamas, avec les équipements dernier cri fournis par les services britanniques et français ; ou rejoignent le « Jaïsh al Islam », branche locale d’Al Qaeda.
- Coup de force d’Al Qaeda à El Arish, qui prend la ville en otage durant plusieurs heures, sans réaction d’aucune force d’interposition nationale ou internationale. Coupure du gazoduc vers Israël pour la 5ème fois, celle-ci à coup de lance-missile et obus de mortiers.
- Fin des exercices de la première phase d’entraînement de la nouvelle Brigade Al Qods du Hamas, sous l’égide de ses instructeurs Pasdaran à Gaza.
- Plus au Sud, vers le Caire, les Islamistes annoncent la couleur de leur « révolution » et prennent, de la même façon, en otage, le mouvement « unitaire ». Celui-ci avorte aussitôt, avec les derniers groupuscules laïcs disséminés au milieu des drapeaux verts. Sans faire de rapport de cause à effet entre les trois précédents incidents et les foules amassées Place Tahrir, force est de constater que la contre-révolution à l’Iranienne est bien enclenchée sur plusieurs fronts, en attente de fenêtres d’opportunités pour une meilleure concordance.
- Pendant ce temps, l’Iran multiplie les bombardements et assauts contre le Kurdistan iranien voisin. Bachar al Assad lance ses divisions de chars contre les villes rebelles de Deir Ez Zor (à majorité kurde) et de Hama (à majorité sunnite) où un premier bilan de la mi-journée à Hama, fait état d’au moins 62 tués. Le massacre doit se poursuivre aux premiers jours du Ramadan et, la faim aidant, peut-être que l’Alaouite [qui ne fait pas le Printemps] espère mettre un terme à une rébellion qui dure depuis mars, soit cinq mois pleins. Les défections au sein de l’armée ne permettent pas d’établir le début d’une « armée syrienne libre », même si plusieurs déclarations d’officiers supérieurs rebelles vont en ce sens. Au contraire, ce nouvel élan de résistance accentue les tueries.
- Le torchon brûle entre l’Etat-Major turc et le gouvernement islamiste de l’AKP, qui ne parvient pas encore à réduire l’armée à sa botte. Pendant ce temps Ehud Barak entend supplier Erdogan de lui pardonner d’avoir envoyé ses Shayeret 13 de la Navy apprendre la politesse aux Jihadistes de l’IHH, venus bêtement se faire tuer des armes contondantes à la main, au large des côtes israéliennes.
- Au Liban, une explosion plus que suspecte frappe la banlieue de Daniyeh, aussitôt bouclée par le Hezbollah et interdite à l’armée « souveraine » libanaise ainsi qu’aux médias. L’Archi-terroriste Samir Kuntar se compterait parmi les victimes.
Plutôt que de « plan concerté », on ne peut évoquer qu’un « coup de chauffe », à l’approche d’une période généralement « chômée » dans le monde arabo-musulman, qui donne fréquemment lieu à des regains de tension. Mais Téhéran est suractif à tenter de rassembler les forces convergentes pour renforcer sa suprématie dans la région. Le Sinaï est, ici, de la plus haute importance stratégique pour compléter la panoplie d’un « troisième Jihad », de concert avec l’AfghaPak et l’Irak. Ce troisième front pointerait directement ses armes de destruction sur le nord et le sud d’Israël, alors que la Syrie devient un allié instable, en voie de disparition à plus ou moins long terme.
L’autre zone de conquête, en vue d’une généralisation de l’offensive, c’est le Kurdistan irakien, région où l’Armée américaine devrait conserver des bases, en dépit de son retrait massif d’Irak.
L’OTAN, de son côté, se trouve engluée dans une « drôle de guerre » en Libye, où tous les coups sont permis, entre chefs rebelles dont on détecte encore mal les véritables ambitions. Le Dirigeant du Conseil de Transition, Mustafa Abdul Jalil, apparaît comme un faible sans envergure, aux yeux de bien des chefs tribaux. Il redoutait que son rival Younès ne soit mis en avant par les Occidentaux, au moment de passer à table pour discuter avec le Tyran. Les Français, notamment, Alain Juppé, comptaient sur Abdel Fatah Younès pour assurer un front unitaire en vue de négociations souterraines avec Kadhafi. Le Ministre des Affaires étrangères espérait que cette stature de Commandeur ferait baisser d’un ton des Britanniques qui affirment encore que la transition n’aura lieu qu’une fois Kadhafi évincé du pouvoir. Younès, quant à lui, général ayant 40 ans d’ancienneté sous les ordres du maître de Tripoli, pensait qu’il faudrait environ une semaine à celui-ci pour tronçonner le pays et reconquérir l’Est, si jamais les bombardements de l’OTAN baissaient d’intensité contre les troupes régulières du « Fou du Moyen-Orient ». En d’autres termes, jamais les Rebelles ne seraient réellement en mesure d’inquiéter le pouvoir central. Ils feraient donc mieux de chercher les moyens de mettre un terme au bain de sang, sous forme de répartition des administrations territoriales fédéralistes.
Ce à quoi on assiste en Libye, depuis la mi-mai, n’est que le reflet de ce ballet entre délégations bicéphales, en forme de danse des canards boîteux :
- les unes commandées, jusque-là, par Younès, appliquent régulièrement des périodes de cessez-le-feu ou de baisse d’intensité dans les combats.
- Jalil, furieux de ces manigances, lance alors des officiers issus du CNT à l’assaut de telle ou telle contrée, Misrata ou Brega pour démontrer la vivacité et la réactivité des rebelles. Ceux-ci sont, le plus souvent, cloués sur place par les loyalistes pro-Kadhafi, jusqu’à la prochaine trêve promise par l’autre « camp rebelle »…
L’OTAN a encore du souci à se faire, si l’Alliance comptait sur l’armée turque pour jouer le rôle de gendarme régional, en cas de situation humanitaire catastrophique en Syrie. C’est tout l’Etat-major qui démissionne, vendredi 29 juillet, à cause des rancœurs soulevées par les condamnations pour faux-complot contre le régime islamiste. Même si la Turquie apparaît comme l’un des pays les plus stables et les plus prospères dans une région tourmentée, le type de « nettoyage politique » mis en œuvre par l’AKP, depuis 2002, met l’ensemble de ses capacités de commandement et de dissuasion sur la sellette. Un chassé-croisé entre société civile lentement gagnée à l’Islamisme, le pouvoir central détenu par l’AKP et l’armée, autrefois garante de la laïcité des institutions, engage le bras-de-fer politique au plus mauvais moment.
Cette occurrence, en forme en grève du zèle, tombe plutôt à pic pour Bachar al-Assad aux abois. Ce signe de faiblesse institutionnelle turque lui permet enfin de tenter de liquider quelques centres sunnites comme le principal, Hama. Alep et Lattaqieh pourraient suivre, alors qu’il avait déjà un feu vert implicite d’Erdogan, concernant les centres kurdes, comme Der Ez-Zor et Qamlishli, du nom d’une tribu locale kurde.
Les assauts militaires iraniens au Kurdistan irakien et la répression en Syrie vont de pair avec la paralysie de toutes les démarches de condamnation du régime alaouite à Damas, entreprises par les Occidentaux. Ce sont, principalement les pays dits « émergents » qui bloquent ces grandes manœuvres diplomatiques à l’ONU : le Brésil, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, sous l’orchestration de Moscou. Ils ont également le renfort de pays de la région, comme le Liban de Najib Mikati, mais surtout l'appui, ô combien!, « révolutionnaire » du patron de la Ligue Arabe, l’Egyptien Nabil Elaraby, valant quitus.
Les manifestants syriens et les Kurdes d’Irak accusent la Communauté internationale de leur tourner le dos et de contempler le massacre en silence. En réalité, au moins deux des pièces maîtresses de la lutte anti-occidentale (ou « anti-impérialiste » d’antan), Kadhafi et Assad, semblent avoir encore de beaux jours devant eux, grâce à l’appui d’intérêts croisés qui n’ont pas nécessairement les mêmes objectifs, mais pensent que le monde tourne dans leur sens dès que la démocratie et les droits de l’homme reculent partout sur la planète…
Le chien fou iranien peut poursuivre l’avancée de ses pions, au Caire et tenter de consolider in extremis son frère arabe (Alévi/Alaouite) Assad. Au bout du compte, c’est l’ensemble du panel qui importe, plus que les pertes collatérales incidentes. On peut parier entendre longuement parler d’Assad et de Kadhafi, bien après la période de jeûne dans le monde arabo-musulman…
Liberté
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom
Sur l'absence sans désirs
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
- 1942 -
Ce poème de Paul Eluard provient du recueil intitulé " Poésie et vérité 42 "