pour aschkel.info et lessakele
REQUIEM POUR UN APPEL
Par Jacques BENILLOUCHE
Les deux appels de « raison » ne mobilisent pas les israéliens puisque seule une opinion a été publiée par le journal de gauche Haaretz. La presse israélienne et les sites internet, hormis ceux de langue française, n’ont pas trouvé matière à réfléchir dans ce qu’ils considèrent comme un problème judéo-français.
L’« appel à la raison » pour la paix au Proche-Orient lancé par quatre mille juifs européens de gauche est plein de bons sentiments : « Nous aimons Israël de tout notre cœur, nous voulons un État juif, Israël, et qu’il vive en paix avec ses voisins. Mais nous pensons que le temps joue contre la paix. » Pour contrecarrer cet appel, plusieurs personnalités ont lancé leur propre texte « Raison garder » pour argumenter point par point.
Gesticulations stériles
Les israéliens n’ont pas l’air d’être concernés par des gesticulations aux péripéties inutiles parce qu’ils sont plus pragmatiques que philosophes. Les pétitions et les appels n’entrent pas, en effet, dans la culture politique d’un pays qui reste très attaché à la réalité du terrain. Cette initiative subira certainement le sort du plan de paix de Genève, tombé dans les oubliettes alors qu’il avait pourtant l’avantage, contrairement à cet appel, d’avoir été signé par les deux parties impliquées dans le conflit.
Les israéliens n’aiment pas les interférences venant de l’extérieur car ils estiment qu’ils sont seuls qualifiés pour juger de la conduite de leurs affaires. D’une part, la réputation médiatique des signataires reste un handicap car ils les assimilent à des donneurs de leçons se permettant de dire la morale aux hommes politiques israéliens depuis la terrasse d’un café de Paris. D’autre part, la proximité de ces intellectuels français avec l’extrême-gauche pro-palestinienne, et souvent antisémite, dénature l’essence et la crédibilité de leur appel.
La démarche n’est certes pas innovante mais l’appel, unilatéral puisqu’il n’est signé que par des juifs, aurait eu beaucoup plus d’impact international s’il avait été lancé depuis Jérusalem et si des signatures arabes l’avaient cautionné. La coresponsabilité semble avoir été éludée et, en fustigeant une seule des deux parties, l’appel atteint un résultat inverse au résultat escompté. Les juifs de la Diaspora n’arrivent pas à se départir de leurs complexes, poussés au paroxysme, au point de s’auto-flageller sans cesse. Ils sont toujours les seuls à faire des propositions tandis que les intellectuels arabes arbitrent le conflit entre juifs dans l’ombre. Rares sont les palestiniens qui mouillent leur chemise, font preuve de courage et d’indépendance et accolent leur signature au bas d’un document cosigné en parité avec les intellectuels juifs.
Responsabilité unilatérale
Les critiques unilatérales à l’encontre du gouvernement Netanyahou, nommément jugé comme responsable du blocage du processus de paix, réduisent l’intérêt du document. Les signataires estiment en effet que « l'alignement systématique sur la politique du gouvernement israélien est dangereux car il va à l'encontre des intérêts véritables de l'État d'Israël et que la colonisation est une erreur politique et une faute morale ». Le texte, indulgent à l’égard des palestiniens, perd de son impact politique lorsqu’il est déséquilibré puisqu’il impute aux seuls israéliens les responsabilités d’une absence de paix.
En utilisant la fibre juive, les signataires se démarquent du problème politique car l’argumentation « le lien à l’État d’Israël fait partie de notre identité » n’est pas suffisant pour prétendre intervenir dans le choix politique d’un gouvernement démocratiquement élu. Les israéliens sont jaloux de leurs prérogatives acquises avec le sang de leurs enfants et ils n’acceptent donc ni conseil et ni critique de leurs frères étrangers : « S’ils veulent donner leur avis, qu’ils viennent combattre à nos côtés ou pour le moins, vivre avec nous ». Les signataires semblent avoir des inquiétudes sélectives puisque certains n’ont jamais levé la voix quand Ahmadinejad a menacé l’Etat d’Israël et quand les roquettes du Hezbollah tombaient sur les villes du nord. Leur silence, sinon la condamnation des actions de Tsahal, les disqualifie pour suggérer des solutions.
Elie Barnavi, ancien Ambassadeur, qui a une tribune de plus en plus réduite à quelques amis de « la Paix maintenant », n’est plus en odeur de sainteté en Israël. D’une part, il vit trop souvent à l’étranger pour être en mesure d’appréhender le conflit israélo-palestinien avec la même acuité qu’auparavant. D’autre part, ses accointances avec l’extrême-gauche française lui enlèvent l’aura dont il pouvait s’enorgueillir du temps de sa mission diplomatique en France. Les thèses qu’il a défendues dans son dernier livre n’ont eu aucun écho en Israël car il prône, dans les discussions de paix, une intervention étrangère à laquelle s’opposent les israéliens intéressés par un dialogue direct.
Survie d’Israël
Les israéliens comptent sur Tsahal pour leur propre sécurité et ne comprennent pas les signataires quand ils estiment qu’ils ont « pour ambition d’œuvrer à la survie d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, laquelle est conditionnée par la création d’un État palestinien souverain et viable ». Ils sont très jaloux de leur indépendance et, gavés par les expériences historiques de pays ayant confié leur avenir entre des mains étrangères, ils veulent garder la responsabilité de leur survie qu’ils confient à leur armée et à leurs jeunes conscrits. Quelque soit l’affection qu’ils éprouvent pour les juifs de la Diaspora, ils ne supportent pas de les voir s’ingérer dans les affaires d’Israël. Ils acceptent leur amitié, leurs vœux et leur aide mais certainement pas leurs conseils, encore moins leurs diktats.
Les amis d’Israël à l’étranger sont gagnés par une certaine lassitude de ne voir aucun progrès dans le processus de paix. Mais au lieu de penser en termes de futur, ils refont l’Histoire, développent les griefs, ne cherchent plus à convaincre et finissent par admettre que le seul consensus passe à présent par la séparation définitive à laquelle songent de plus en plus d’israéliens L’exemple des deux politologues, Emmanuel Navon du Likoud et Denis Charbit, de gauche, arrivés à cette même conclusion est éloquente en la matière.
Requiem
L’idée de transformer le mur de séparation en frontière temporaire germe de plus en plus dans les esprits de ceux qui veulent fermer les accès et supprimer tous les contacts avec les palestiniens pour laisser à l’Etat son identité juive. Israël s’est fait à l’idée de vivre définitivement à l’abri d’un mur puisqu’il en existe déjà entre les USA et le Mexique, entre le Maroc et le Sahara occidental ou entre l’Irak et le Koweït. Une majorité commence à assimiler le principe de l’existence d’une Palestine, amputée de quelques 7% de ses territoires, vivant sa vie après avoir reçu en compensation quelques villes arabes israéliennes, limitrophes du mur, qui ne cessent d’arborer au centre ville le portrait d’Hassan Nasrallah affublé des drapeaux du Hamas et du Hezbollah.
Convaincus que le dialogue est définitivement rompu, les signataires de l’appel ont dû se rendre à cette évidence et leur action sonne comme un cri pour éviter la rupture définitive. Mais, cette rupture est consommée malgré l’intervention tardive de Leila Shahid, déléguée de l’OLP, qui avait complètement disparu de la scène européenne et qui se rappelle à notre souvenir pour cautionner cet appel. Elle s’était murée dans un silence compréhensible puisqu’elle n’arrivait pas à arbitrer le conflit Fatah-Hamas qui la mettait mal à l’aise alors qu’elle était censée représenter le peuple palestinien en entier. Sa position actuelle s’explique mal après avoir combattu le camp de la paix palestinien en torpillant l’initiative de Genève. Mais son intervention donne à penser que cet appel sonne à présent comme un requiem pour le dialogue israélo-palestinien.