Révolution et contre révolution...
Par Alain RUBIN
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Le vent de la révolte balaie le monde arabe, écrit le quotidien « le parisien » du jeudi 27 janvier.
Le vent de la révolte, ou celui de la révolution ?? Le numéro de ce vendredi consacre deux pages entières à ces événements en Tunisie et en Egypte, et il ronronne : pas de danger islamiste en vue ; tout va bien, bonnes gens dormez sur vos deux oreilles, ce n’est que des 14 juillet 1789 arabes combinés à des mai 68 version tunisienne et égyptienne… A lire ces informations, beaucoup de vieux jeunes gens en sont tout retournés et se remettent à frétiller.
Alain Rubin
L’histoire des révolutions montre que la révolution, c’est d’abord et en premier lieu, partout et toujours : l’irruption des masses. La révolution, c’est lorsqu’elles font directement l’histoire, en chassant le pouvoir central. Cela a eu lieu à Tunis, cela commence au Caire. Cela se profile à Aman… En Iran, le mouvement a commencé il y aura bientôt deux ans. Le fascisme du chiisme gouvernemental déchaîne la répression. Il s’arcqueboute, pour conserver un pouvoir acquis par une furieuse répression. Deux militants des Moudjahidines du peuple ont été pendus la semaine passée. Les grèves de masses qui se sont développées dans plusieurs secteurs restent ignorées des médias, mais le fait est là. Le retour des masses iraniennes sur le devant de la scène est le seul contrepoids à la contre révolution islamiste qui sort de mouvements qui ne supportent plus les régimes politiques en place.
L’histoire des révolutions, de toutes les révolutions, montre aussi que l’irruption de masses se fait dans un premier temps sans modifier de fond en comble l’appareil d’état. L’insurrection des masses, plus ou moins unanimes, n’est, par elle-même, jamais capable de produire un nouvel appareil d’état poursuivant de nouveaux buts sociaux. Cela s’appelle une révolution qui commence. Pour continuer d’agir, les masses doivent d’organiser, débattre, formuler leurs exigences concrètes. En Russie, elles inventeront les Soviets, les conseils élus et révocables des députés des usines (1905), puis les soviets des députés des usines, des unités militaires et des villages (1917). En Tunisie, l’UGTT, a appelé à la formation de « comités populaires ». Avait-elle en vue ce type d’organes révolutionnaires de démocratie directe assurant la souveraineté populaire en se fédérant ? Après presque trois semaines de « révolution », le mot d’ordre de la centrale syndicale est resté sans effet. Les masses tunisiennes ne se sont pas dotées d’organes de pouvoir émanant directement d’elles comme il s’en produit dans toute révolution jusqu’alors. Est-ce à dire que les masses arabes ne sont pas capables de s’organiser, comme les masses russes l’ont fait pas deux fois (1905 et 1917), comme les masses chinoises l’ont fait dans les années vingt du siècle passé, comme le peuple français l’a fait au cours de ses trois révolutions (1789-1794, 1848, 1871), comme les masses allemandes l’ont fait à l’automne de 1918, comme les masses espagnoles l’ont fait en 1936, comme les masses hongroises l’ont fait en 1956 ?
Jusqu’où va une révolution ?
Jusqu’où va une révolution, jusqu’où ira la révolution commencée en ce mois de janvier en Tunisie ? Personne ne le sait, pas plus ceux qui y participent que ceux qui l’observent ou veulent agir sur son cours.
Ce que montre aussi l’histoire de toutes les révolutions : c’est que dès le premier jour, la contre révolution est intimement mêlé à la révolution. De ce point de vue, la révolution commencée en Tunisie ne fait pas exception à la règle. Dés lors, il est vital de regarder froidement les choses, sans romantisme, et de dire où, dans quelles organisations, se trouve la contre-révolution. En Tunisie, menteur, irresponsable, dangereux instrument de la variante locale des ayatollahs, sera celui qui dira que la contre révolution, c’est et ce sera le clan de prédateurs économiques utilisant le bonapartisme de Ben Ali. Parce qu’en Tunisie, en ce mois de janvier 2011, comme probablement dans les prochaines semaines en Egypte (si le pouvoir glisse et s’effondre), la contre-révolution, ce ne seront pas les nostalgiques des cliques ayant perdu le pouvoir mais : ici les Frères musulmans, là les « islamistes modérés ».
La révolution russe s’est nourrie de la révolution française. Elle s’en est inspirée, de tous points de vue. Parfois, de manière si schématique (Lénine), en y cherchant ses repères, qu’elle a favorisé la contre révolution là où elle ne l’attendait pas (dans la révolution elle-même, dans le parti révolutionnaire). Elle s’y est référée d’une façon si schématique qu’en croyant la défendre, elle a ouvert la voie à la plus puissante contre-révolution qui soit (avec la répression de Kronstadt destinée à protéger la révolution elle a fabriqué le tremplin du pouvoir absolu de la bureaucratie exploiteuse et totalitaire). Dans le monde arabe, surimbibé par la culture totalitaire islamique au point de ne plus savoir réfléchir, la contre révolution a déjà sorti les crocs, avant même de posséder des unités armées. Elle n’en n’a pas tout de suite besoin : les unités ayant la fonction de Kornilov, Wrangel, Koltchak, Denikine, s’appellent injection de la charia dans la législation tunisienne bourguibiste.
Quand à Lyon, le PCF, le NPA, des « libertaires » ( ?) donnent le micro à un agitateur élu par personne, qu’ils lui permettent d’inviter la manifestation de soutien à la révolution tunisienne à scander « allahou Akbar », cela veut dire que les débris putrides du stalinisme, avec lesquels l’ex lambertiste Mélenchon veut ouvrir une alternative dans deux ans (aux présidentielles), cela veut dire que les ex porteurs de valises du parti qui a usurpé le combat du peuple algérien (le FLN), et les pseudos libertaires, favorisent les partisans tunisiens d’une forme tunisienne de la contre révolution iranienne.
Lorsqu’à Tunis même, une femme se fait chasser d’une manifestation, parce qu’elle a eu l’inconvenance de dire qu’il n’était pas question de revenir sur les acquis laïques du bourguibisme, cela veut dire que la contre révolution en Tunisie est beaucoup plus active et forte qu’elle ne l’était en Iran dans les mois qui suivirent la chute du Shah.
Rien n’est joué, c’est certain : mais tous les risques, toutes les chausses- trappes sont prêtes. Les forces sanglantes, ces forces qui ont étranglé la révolution iranienne, sont à l’œuvre en Tunisie ; elles y disposent de l’appui d’inconscients, que leur haine irrationnelle d’Israël amène à diner avec le diable islamique, sans prendre la précaution de prendre une longue cuillère pour leur repas pris en commun.
En d’autres termes, en Tunisie, la contre-révolution, ce n’est pas, ce n’est plus le clan Ben Ali.
Ben Ali, c’est fini. La contre-révolution, en Tunisie, ce sont déjà les déclinaisons de ce qui a écrasé le mouvement populaire et ouvrier en Iran. En Tunisie en 2011, la contre révolution, est dans la « révolution ».
La contre-révolution, en Tunisie, ce sont ces hommes qui manifestent à Lyon et en Tunisie pour conspuer ceux qui ne veulent pas scander « Allahou Akbar ! » Ce sont ceux qui commencent, en Tunisie même, à vouloir intimider les femmes pour les faire revenir sous les prisons vestimentaires dont Bourguiba les avait tirées.
Pour ceux qui ne se contentent pas de regarder, comme voyeur, un processus révolutionnaire, la question c’est : discerner où se trouve la contre-révolution réelle, celle qui peut asservir le peuple tunisien.
La révolution russe, les leçons tirées par ses protagonistes constituent encore aujourd’hui un réservoir, que dis-je- une bibliothèque d’Alexandrie de leçons à méditer. Vous me direz, Alexandrie n’a plus beaucoup de volumes, sa grand bibliothèque est partie en fumée, incendiée qu’elle fut par les guerriers de l’expansion islamique. Dire Alexandrie, c’était une manière de présenter les choses. C’est une façon de dire « alerte » et de cerner le danger qui rode autour du peuple tunisien. Pour ce dernier, ce n’est pas la Russie révolutionnaire, la référence. Pour ce dernier, la référence, c’est l’Iran révolutionnaire des années 1979-1980.
Ceux qui voulurent contre toute évidence (parti Toudeh), pour d’autres (Fidayïn du Peuple et Moudjahidin du peuple) qui crurent sincèrement possible de marier traditions islamiques et progrès social et politique, Islam et marxisme, le bout du chemin, ce fut le plus souvent le plus court chemin vers la potence.
En 2011, certains font comme si les années 80-81, en Iran, n’avaient pas existées.
Ils font aussi comme si Ahmadinejad (auprès duquel Ben Ali fait figure de parangon de démocratisme et de vertu civique) n’avait pas déclaré il y a quelques semaines : qu’il était déterminé à envoyer cent mille Iraniens à la potence pour défendre la « révolution » (la contre-révolution) islamique.
Une révolution a commencé en Tunisie. Elle ébranle tous les régimes arabes. Elle les ébranle dans le sens du mieux et dans le sens du pire. Elle éveille à l’action politique les émigrés tunisiens ; là aussi dans tous les sens : dans le sens de la démocratie, du progrès social et de la démocratie nécessaire, mais aussi dans celui de l’enfermement des femmes et de la soumission de l’homme à un dogme que l’on ne peut discuter sans s’exposer à la violence, voire à la mise à mort.
Les camarades français du défunt parti Toudeh, les amis des défunts Fidayîn du Peuple, ceux de l’oublié PST Quatrième internationale, font comme si rien ne s’était passé en Iran. Ils font comme si aucune leçon n’était à tirer de la contre révolution en Iran. Ils s’apprêtent à recommencer en Tunisie et dans l’émigration, ils recommencent déjà... c’est ainsi qu’ils continuent, les uns et les autres à refuser de soutenir les travailleurs iraniens du transport, en grève pour obtenir la libération de leur deux principaux dirigeants syndicaux, Mansour et Reza.
Obtenir liberté pour Mansour et Reza, c’est défendre une classe ouvrière d’Iran qui se dresse et dit à ses bourreaux : ôtez-vous de là ! Cessez de persécuter nos hommes de confiance. !!
Protéger la révolution tunisienne contre la contre révolution islamiste qui sourd ici et là, s’apprêtant à recommencer à Tunis la besogne des Pasdaran et celle des bassidji, cela passe par le soutien aux revendications ouvrières et populaires en Iran, cela passe par la défense du mouvement ouvrier iranien et de ses militants férocement réprimés.
Liberté pour Mansour OSANLOO et Reza SHAHABI !
Alain Rubin