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L’ex-Pink Floyd Roger Waters donne ces jours-ci un concert à Athènes. Il s’était produit en Israël, au village coopératif judéo-arabe de Neve Shalom, en 2006. Depuis, il boycotte l’Etat juif.
En 2006, l’artiste britannique avait refusé de se produire sur les scènes à ciel ouvert connues en Israël, et opté pour un lieu particulier : le village coopératif judéo-arabe de Neve Shalom, au centre du pays. Il y avait donné un concert resté dans les mémoires, devant un public des dizaines de milliers de fans déchaînés et heureux, qu’il avait conclu par un appel à « abattre le mur » et à faire la paix. L’art a pour vocation d’éveiller les consciences, et « la musique adoucit les mœurs ». Nul ne devrait donc tenir rigueur à Roger Waters de rêver à une paix et à une fraternité que tous les Israéliens appellent de leurs vœux depuis toujours, fatigués des agressions répétées dont ils doivent se défendre, de génération en génération, en deuil de pères, de fils, de frères, de cousins et d’époux depuis trop longtemps. Personne, donc, n’aurait l’idée de contester le rêve de Roger Waters, à qui la qualité de star incontestée et internationale donne des airs de démiurge dans le gigantisme de son dernier show : « The Wall », « Le Mur ». On s’en doute, l’occasion est toute trouvée pour « dénoncer » la barrière de sécurité israélienne. Et la Ligue anti-diffamation américaine a alerté le gouvernement israélien au sujet des clips vidéo qui animent le spectacle, truffés, selon elle, de références antisémites et anti-israéliennes : des boucliers de David accrochés au symbole du dollar, des avions larguant des bombes en forme de bouclier de David, des images de soldats israéliens et de Palestiniens en souffrance… Dépêché par l’ambassade d’Israël à Athènes, le diplomate Yossi Moustaki s’est rendu sur place (en payant son ticket, selon le Jerusalem Post). Selon lui, les soldats de Tsahal sont représentés sans lien effectif avec les images de Palestiniens. Gageons que le public fera le lien tout seul, compte tenu des prises de position du musicien. Il ajoute que le seul autre pays critiqué par la star du rock progressif est l’Iran : des tableaux montrent l’assassinat de militants iraniens des Droits de l’homme lors des manifestations anti-gouvernementales. L’employé de l’ambassade, qui reconnaît ne pas avoir apprécié la musique, réfute aussi les accusations d’antisémitisme car « des croix apparaissent le long des boucliers de David, et nul ne prétend que le concert est anti-chrétien ». On est fondé à se demander quelle aurait été la réaction des chrétiens si le clip avait mis en scène la Garde suisse vaticane en sus des croix. Et qu’en est-il des dollars, évoquant dans l’imaginaire antisioniste radical la puissance de l’ « empire judéo-américain », le « capitalisme mondial aux mains des sionistes », voire le Protocole des Sages de Sion et la prise de pouvoir juive, par l’argent, sur la planète ? Ces images, pas exactement d’Epinal, marquent les consciences, et représentent peut-être pour l’artiste le danger de la valeur de l’argent, le coût des armements… Dans un entretien accordé à la chaîne qatarie Al-Jazeera, Roger Waters a aligné les poncifs de l’antisionisme radical, sans en avoir conscience sans doute. Il a accusé d’Etat juif de « répandre du bout des lèvres l’idée qu’ils veulent faire la paix, pendant qu’ils expulsent les gens de leurs maisons et qu’ils annexent tranquillement le pays ». Il a ajouté qu’Israël est un Etat raciste et discriminant, annexant une énorme partie de la Judée-Samarie. Et pour s’assurer de ne pas se contenter de paroles vaines, il a appelé ses amis musiciens et artistes à rejoindre la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). « J’ai finalement décidé de sortir ma tête de l’eau et de dire assez c’est assez », a-t-il dit. Cette formule « enough is enough » avait fait le tour du monde en 2009 pendant l’opération Plomb durci à Gaza, lorsque Tzipi Livni, leader du parti Kadima, expliquait aux gouvernements qu’Israël avait reçu trop de roquettes et de missiles pour en supporter davantage sans réagir. Mais les attaques sur Israël ne semblent pas vraiment émouvoir le pacifique créateur, qui se mêle de questions politiques complexes et propose, tel un gourou, des solutions simples. Il évoque ses amis israéliens « qui désapprouvent la politique étrangère menée par leur gouvernement » et indique que des milliers et des milliers d’Israéliens sont opposés à sa « politique répressive, raciste et colonialiste, impérialiste et mauvaise » et la combattent. Des amis de gauche. C’est pourtant bien le parti travailliste israélien, Yitshak Rabin en tête, qui avait le premier envisagé d’ériger une barrière de séparation, dès 1990, pour éviter la multiplication des incidents violents entre Palestiniens et Israéliens. Certes, c’est Ariel Sharon, après moult hésitations, qui a donné l’ordre de la construction préconisée par la gauche, sous la pression d’associations de citoyens refusant de continuer à subir sans broncher les séries d’attentats meurtriers de la deuxième Intifada... Sans doute n’a-t-il pas vraiment conscience du discours qu’il véhicule, parce qu’il est de bonne foi et qu’il calque l’image du mur de Berlin sur la situation en Israël. C’est un artiste, il pense en associant des idées, des images, des symboles. « Je pense », dit-il, « que nous sommes tous des êtres humains avant tout »… Un grand moment dans l’histoire de la pensée. Aux avant-postes de l’expérience post-nationale européenne, il « applaudit ceux dont l’humanité transcende la religion et la ferveur nationaliste qui pourraient les faire régresser ». Il se verrait bien donner un concert géant, comme à Berlin en 1990 après la chute du Mur, si « le mur séparant les Palestiniens et les Israéliens était abattu ». Berlin, c’est bien le problème. Marqué par son défunt père, mort au combat contre l’Allemagne nazie en 1944, Roger Waters s’est peut-être trompé d’époque, et de concepts. |