Si le Hezbollah est inculpé en décembre, l’indulgence de l’Amérique et de la France envers le voyou syrien pourrait bien coûter une guerre.
Par Marc Brzustowski
Pour © 2010 lessakele et © 2010 aschkel.info
Doit-on parler de changement de ton envers Bachar al-Assad, tant à Washington qu’à Paris, à la faveur de deux évènements attendus :
- les élections de mi-mandat, qui se soldent par le retour des Républicains au Congrès ;
- et l’annonce de l’issue prochaine des mandats d’arrêt par le Tribunal Spécial sur le Liban ?
Le 3 novembre, le Juge italien Antonio Cassese, Président du Tribunal spécial, a annoncé que les actes d’accusation, dans l’enquête sur le meurtre de Rafik Hariri, seraient rendus publics en décembre prochain.
Cette clarification judiciaire fait suite à la campagne de guerre psychologique lancée quelques jours auparavant par le Hezbollah, le 28 octobre. Celui-ci se fait fort de prendre le contrôle du pays en deux heures, à la moindre tentative visant à se saisir de ses hommes, les 9 présumés inculpés sous peu. Par cette décision, les magistrats internationaux démontrent que rien ne saurait venir se mettre en travers de la route de la Justice internationale et affichent son statut de totale indépendance à l’égard de toute manœuvre politique, voire guerrière.
Depuis quelques temps, la milice pro- iranienne de Nasrallah est, clairement, sur la défensive. Dans l’impasse, mise au pied du mur, elle avoue implicitement sa culpabilité : elle refuse de comparaître et de devoir prouver sa « bonne foi », un argument qui n’appartient pas au lexique de l’agence de communication des Mollahs au Liban. Elle boycotte même le dialogue national libanais, ce jeudi 4 novembre, soit le lendemain même de la publication de sa date approximative de convocation devant la loi. Elle rend responsable les autres parties libanaises, ainsi que la communauté internationale et les accuse de collusion avec les intérêts américano-sionistes et de trahison de la « sécurité du Liban ».
Cette période, houleuse pour les pro-Iraniens de Beyrouth, est marquée par au moins deux interpellations de l'une de leurs bonnes fées, la dictature alaouite : l’une par voie de presse, dans le Figaro du 25 octobre ; l’autre, par l’avertissement inhabituel de Susan Rice, ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, à l’encontre de Damas :
L’article de Georges Malbrunot se fonde sur les sources du Ministère français de la Défense. Il détaille la location de plusieurs bases logistiques du Hezbollah en Syrie, toutes consacrées à l’acheminement d’armes et de missiles à la milice libanaise. Pas n’importe où en Syrie, puisque l’une se trouve près de l’aéroport de Damas, relié à celui de Beyrouth contrôlé par les agents de Nasrallah ; d’autres sont situées à Alep, Homs et Tartous, le fameux port, là encore, indispensable aux transferts. Une source anonyme du Ministère précise alors que des actions israéliennes contre ces sites sont toujours possibles. On comprend, de facto, le message : rien de ce que fait Bachar en faveur du Hezbollah n’est ignoré, ni à Washington, ni à Paris et ces stocks sont, d’ores et déjà, des cibles légitimes pour Israël.
On sait que, depuis le 14 juillet 2008, Paris a beaucoup fait pour favoriser le rapprochement avec Damas et tester sa flexibilité. Ses deux alliés, américain et israélien, n’y sont pas étrangers. Mais l’élection de Barack Obama a permis de pousser toujours plus loin la surenchère dans la voie de la négociation, qui renforce tendanciellement le sentiment d’impunité chez le dictateur damascène. L’article semble indiquer qu’il existerait, néanmoins, une limite dans la stratégie de contrebande syrienne, en faveur de l’Iran et de ses opérateurs au Liban. Mais le recours à la fermeté reste entre les mains du seul Israël.
Susan Rice entre en scène 3 jours plus tard, le 28, soit le même jour que les menaces de Nasrallah d’imposer sa mainmise sur le pays du Cèdre. Mais ce n’est pas tant à lui qu’elle s’adresse qu’à son parrain de l’autre côté de la frontière : elle accuse la Syrie de fournir des armes toujours plus sophistiquées » à la milice, violant ainsi les résolutions du conseil de sécurité de l’ONU. Damas, dit-elle, "n’a pas le moindre égard pour la souveraineté du Liban et menace sa stabilité ».
Mardi 2 novembre, c’est Amos Yadlin, responsable sortant des renseignements militaires israéliens, qui confirme : la prochaine guerre prendra une ampleur bien plus vaste que les précédentes. Elle ne pourra concerner un seul théâtre d’opérations, mais bien plus sûrement, deux ou trois ». Et de citer la fourniture de systèmes de missiles russes à la Syrie, qui pourraient bien finir, au train où vont les choses, entre les mains du Hezbollah. C'est ce couple infernal, élément d'un trio avec l'Iran, qui fait problème, et il devient impossible de traiter l'un sans prévenir ce qui en découle immédiatement pour l'autre. Dit autrement, ils sont indissociables et avoir prétendu le contraire depuis trois ans relève de l'art de perdre son temps. Ce retour à la lucidité aura t-il la moindre conséquence diplomatique? On peut en douter.
Les mises en garde françaises et américaines demeurent bien timorées. Certes, on ne se contente plus d’envoyer le Sénateur John Kerry « rassurer » Damas, mais on s'en tient à une simple rebuffade, devant la caisse de résonance un peu creuse, de l'ONU. Chez les uns comme chez les autres, on surjoue sur le couplet de l'indépendance du Liban et de la légitime défense d’Israël -elles aussi "indissociables"?-, au lieu de requérir une conformité sans failles aux fameuses résolutions cache-misère, sans quoi les nations agiront.
A l’heure où les Républicains peuvent réclamer des comptes à Barack Obama sur l’inanité de sa politique « d’engagement » vis-à-vis des Etats-voyous, l’Administration anticipe sur d’éventuels reproches. D’une certaine façon, elle se couvre. Lorsqu’on interroge son porte-parole, J. Crowley sur les conséquences pour Damas de ce comportement, il s’en tire par une pirouette qui fait la démonstration cinglante que les proches d’Obama sont totalement déconnectés des réalités régionales : si elle persiste, la Syrie se verrait privée des investissements américains en matière de Haute-Technologie, promis par Oncle Barack Hussein. Cette tirade aurait pu sortir d’un magazine pour enfants à l’annonce de Noël. Elle trahit l’inconsistance des hommes qui sont censés être les « gendarmes du monde » à la Maison Blanche. L'isolationnisme américain risque de se renforcer au gré des préoccupations intérieures, toutes aussi légitimes, face à la crise. Les questions fiscales et budgétaires sont le fer de lance du mouvement "Tea Party", bien plus que la restauration du prestige de l'Amérique sur la scène mondiale.
Et sans « police internationale », on se demande bien quel pourra être l’impact d’une Justice de même envergure. Le Tribunal sur l’ex-Yougoslavie a pu fonctionner bon an mal an, parce qu’il intervenait pour juger les faits et les hommes après une mise à genoux de la Serbie et l’arrestation des principaux chefs de milice impliqués dans les crimes de guerre et massacres de masse. La Justice, à cette heure, annonce son agenda et ne se préoccupe pas d’être épaulée par les puissances globales capables de l’aider à faire appliquer ses décisions.
Il y a peu, un éditorialiste du Washington Post, David Broder, évaluait les chances de réélection pour Obama. Selon lui, elles résident dans la ferme décision de réunir tous les suffrages en résolvant par l’action militaire la question du nucléaire iranien, qui représente le plus grand danger de ce début de siècle. En attendant le dénouement de ce dossier, on argue que les sanctions auraient, finalement, plus d’impact que ne le redoutait Téhéran. Mais, dans l'expectative, Washington serait, déjà, bien inspiré de ne pas laisser les dossiers incandescents lui brûler les doigts, ceux qui s’ouvriront avant le prochain arbre de Noël à la Maison Blanche. Et de ne pas se contenter de les déléguer à la seule charge des acteurs locaux, dans un soupir de lâche soulagement.
Si la Syrie sait que l’impunité continue de galoper malgré les mises en garde, alors rien n’empêchera le Hezbollah d’opter pour l’une des deux portes de sortie qui s’offrent à lui :
- Prendre le Liban en otage
- déclencher une fuite en avant dans la guerre avec Israël,
- dans les deux cas, avec l’appui assuré de son protecteur al-Assad, ouvrant les vannes à la relance de l’économie iranienne par la production d’armes de destruction massive.
A ce moment-là, peut-être, la "Communauté internationale" se réveillera t-elle de sa torpeur pour comprendre comment se comportent les voyous et qu'ils ne craignent ni Justice ni gendarmes...
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