SIONISME ET VISION SOCIALE DE L'ECONOMIE
Par 'Haim Ouizemann
Pour © 2011 Météor magazine et © 2011 www.aschkel.info
«La Défense et l'Economie ne constituent que des moyens et non point la fin». (David Ben Gourion)
Le gouvernement dirigé par le Premier ministre Benyamin Netanyahou, sous la pression de l'opinion publique et de la Histadrout, se voit contraint de prendre des mesures sociales en faveur des classes défavorisées et des classes moyennes dont le pouvoir d'achat n'a de cesse, depuis plusieurs années, de diminuer (*1). Benyamin Netanyahou annonce (16-02-2011) : «la croissance témoigne de la hausse du niveau de vie des citoyens israéliens. Elle est le fruit d'une politique économique responsable qui ne dépasse pas le cadre du budget». Comment est-il, alors, possible d’expliquer le paradoxe d'une économie forte dont l'expansion surpasse celle de tous les pays occidentaux face à l'accentuation des disparités sociales?
La difficile crise qui frappa si durement Israël dans les années 1950 faillit faire avorter la réalisation du rêve sioniste. Cependant la perspicacité de la vision des dirigeants sionistes refusant de conduire une politique populiste associée à la patience et au courage du peuple d'Israël permit finalement le redressement de l'économie et la croissance d'un Etat en perpétuelle lutte pour sa survie.
La période d'austérité: un défi économique et social
Dès sa naissance en 1948, le jeune Etat d'Israël se trouve confronté à deux défis principaux, militaire et économique.
Le 26 avril 1949, le Premier ministre David Ben Gourion annonce l'adoption de la politique d'austérité et charge Dov Yossef (1899-1980) de prendre toutes les mesures nécessaires à sa juste application et à la distribution égale des biens vitaux et besoins urgents à la population (attribution journalière limitée à 2800 calories par individu). Cette grave crise économique responsable de la politique d'austérité dont le but est de réduire au moins 20% des dépenses du budget national est provoquée par six raisons majeures:
- La guerre d'Indépendance (guerre de Libération) contraignant Israël à un énorme effort de guerre;
- L'alyah massive de Juifs d'Europe rescapés de l'horreur de la Shoah et de Juifs des pays arabes ayant abandonné tous leurs biens;
- Le manque de revenus intérieurs et de matières premières;
- Le manque de réserves en devises étrangères;
- Le déficit de la balance des paiements;
- Le taux d'inflation galopant.
Dans les dix-huit mois qui suivent l'Indépendance d'Israël (1948-1950), la population qui comptait 650 000 âmes atteint un million trois cent mille Juifs (*2).
Après la Déclaration d'Indépendance par David Ben Gourion, le tout jeune Etat d'Israël, libéré des chaînes de la puissance britannique décadente, devient enfin, après 2000 de domination étrangère, responsable de son avenir. Il ne détient, pour pouvoir se développer, que trois principales sources économiques: d'une part une faible production intérieure nationale, d'autre part l'aide extérieure comprenant les dons de la Diaspora juive (*3) auxquels s'ajoutent les prêts acquis sur les marchés internationaux. Or en l'absence quasi-totale de revenus intérieurs, Israël n'a d'autre choix que de se tourner vers l'extérieur, ballon d'oxygène nécessaire à sa survie. En effet, l'aide économique des Juifs américains, pour aussi conséquente qu'elle soit, ne représente que 40% de la somme nécessaire pour couvrir le déficit intérieur s'élevant à cette période de l'histoire d'Israël à 220 millions de dollars sur le compte courant de la balance des paiements. Ce soutien ne peut toutefois point suffire aux besoins vitaux d'un Etat sans cesse grandissant.
Les vagues d'alyah vont en se renforçant obliger l'Etat à développer son infrastructure immobilière, son éducation et à nourrir sa population. L'intégration massive des nouveaux olim face aux anciens s’accompagne d'un taux de chômage extrêmement important pour les premiers. Le summum de la crise survient dans les années 1949-1952 où près de 700 000 olim dans un complet dénuement, logent dans les camps militaires désormais inoccupés de ce qui fut autrefois l'empire britannique. Les difficiles conditions sanitaires, l'absence d’électricité et l'inexistence d'un réseau d'égout marquent les nouveaux immigrants ainsi que les rescapés de la Shoah qui, confrontés à cette rude réalité, vont tout de même réaliser le rêve sioniste. Trois cent kibboutz et moshavs (*4) naissent et se développent, permettant aux jeunes olim de travailler aux champs. Le cadre coopératif socialo-communiste s'avère, en cette période critique, jouer un rôle significatif dans la croissance de l'économie de l'Etat d'Israël chancelant. En 1952, au faîte de la crise économique, le produit national brut enregistre pourtant une augmentation de 40% comparé à 1950 au point de voir le PNB doubler au cours des années 1950-1956.
Le miracle israélien face au socialisme sioniste et prophétique
Cette politique d'austérité, relativement admise au début de 1949 par la majeure partie de la population, devient en 1951 sujet à controverse nationale. La députée Shoshana Parsitz affiliée au courant politique des «Sionistes généraux» (*5) interpelle le gouvernement à l'occasion d'un débat à la Knesset en accusant celui-ci de porter la majeure responsabilité dans le développement d'«un marché noir menaçant l'ensemble du pays», favorisant, de fait, les classes aisées au détriment des plus démunis soumis contre leur gré aux injonctions de la loi de rationnement. Sensible à la critique, le gouvernement s'empresse de combattre ce fléau mais en vain. En 1952, la politique d'austérité est annulée.
Lova Eliav, figure emblématique du sionisme (*6), écrit: «Une génération entière a maudit Dov Yossef alors que son action fut un des plus grands succès de cette époque d'intégration… dans l'ensemble, l'ancien et le nouvel immigrant reçurent la même chose. Ce fut la plus grande réussite de cette austérité et de ces coupons. Le succès réside dans l'égalité». («Les 40 ans de la naissance de la Grande Alyah» - 1987)
Le 10 septembre 1952, le ministre des Affaires étrangères Moshe Sharet et le Chancelier allemand Conrad Adenauer signent l'accord des indemnités en faveur des rescapés de la Shoah. Cette réparation pécuniaire versée sous forme de monnaie courante et de marchandises, contre laquelle se soulèvera Menahem Begin et dont les survivants des camps de la mort ne bénéficieront que très partiellement, servira principalement à l'amélioration des conditions d'intégration des nouveaux olim (dont une partie des rescapés), à l'effort de construction du pays, au développement de l'agriculture et surtout à combler l'énorme déficit en devises étrangères du jeune Etat hébreu. Le ministre des Finances, Eliezer Kaplan (1891-1952), sous la pression politique des «sionistes généraux» renforcés aux élections générales de Juillet 1951, est alors chargé de mener la «nouvelle politique économique» consécutivement à l'annulation du plan de rationnement.
Si Israël peut à juste titre s'enorgueillir de sa réussite dans les domaines de l'agriculture, de la gestion de l'eau, du refleurissement du désert, de ses cerveaux scientifiques et d'un haut niveau de vie calqué sur le mode occidental, ces succès ne vont pas sans de nombreuses disparités sociales que les fondateurs de l'Etat, pragmatiques mais idéalistes, ne concevaient point. David Ben Gourion écrit: «Nous construisons l'Etat d'Israël en nous fondant sur la prophétie des prophètes et leurs aspirations messianiques afin d'être un modèle et un exemple pour l'humanité. Nous avons le devoir d'être fidèles à la parole du prophète: «Je veux faire de toi la lumière des nations, mon instrument de salut jusqu'aux confins de la terre» (Isaïe 49, 6) (*7). «Notre place dans le monde ne dépendra ni de notre richesse matérielle ni de notre force militaire mais de la lumière qui émanera de notre œuvre et de notre culture» (*8). Le défi d'Israël, à la lueur de la parole prophétique dont David Ben Gourion s'inspira, réside dans l'adoption d'une réforme économique globaleà portée sociale visant à éradiquer, ou du moins dans un premier temps à diminuer les inégalités sociales. Les conclusions du «rapport annuel sur la pauvreté et les disparités sociales» de 2009 (paru en 2010) sont accablantes et pour le moins révoltantes: «L'inégalité est en moyenne de 22% plus haute en Israël que dans les pays de l'OCDE… L'un des problèmes principaux de l'inégalité en Israël réside dans la polarisation entre riches et pauvres». En 2009, le rapport indique que 435 000 familles vivent sous le seuil de pauvreté soient 1,774 800 âmes dont 850, 300 enfants (*9).
Cette crise sociale doit, donc, être perçue comme une opportunité à saisir, d'une part pour l'application de cette réforme conjuguant libéralisme et socialisme et, d'autre part, pour le retour d'une éducation visant à l'adoption de principes valorisant la simplicité d'une vie moins avide de consommation. Le Likoud s'avouant le direct et fidèle héritier de Menahem Begin (*10) et le Parti travailliste (Avoda) en perte de légitimité, successeur de Ben Gourion, doivent sur le plan social associer leurs efforts pour instituer un programme d'urgence qui répondra aux besoins des citoyens d'Israël. Les deux mouvances surmontant leurs clivages politiques regagneront ainsi leurs lettres de noblesse historique en inscrivant comme priorité la résolution de l'épineuse question de la pauvreté en Israël.
Peut-être assisterons-nous à l'émergence de nouveaux partis politiques prônant une renaissance sociale regroupant des acteurs d'horizons différents de droite comme de gauche soucieux de répondre à la détresse bien réelle d'une population si durement frappée par l'injustice due à l'inégale répartition de la richesse nationale. L'histoire retiendra tous ceux qui, avides de justice sociale auront su œuvrer pour l'instauration d'un Etat hébreu respectueux des droits du démuni. Souvenons-nous de la parole prophétique: «Or, voici quel a été le crime de Sodome… elle n'a pas soutenu la main du pauvre et du nécessiteux» (Ezéchiel 16, 49).
(*1) Les salaires des classes défavorisées ne sont pas indexés sur l'indice des prix à la consommation.
. 4 mesures principales du gouvernement Netanyahou:
a- Diminution de 10% des tarifs dans les transports publics,
b- Annulation de la taxe sur l'essence,
c- Diminution du coût de l'eau. Toutefois tout abus et gaspillage dans la consommation d'eau (piscine et arrosage de jardins) sont durement sanctionnés par un barème adapté à cet effet.
d- Le salaire minimum augmentera de 450 shekels et s'élèvera à 4300 shekels.
Le ministre des Finances Youval Schteïnitz annonce que des coupes de 2% dans le budget des bureaux ministériels permettront de financer l'application de ces mesures à caractère social. Shelly Ye'himovitch (Parti travailliste-Avodah) souligne que ces restrictions budgétaires «toucheront l'Education, les Affaires sociales, la Santé… il n'existe qu'un moyen économique et juste: geler la réforme sur la taxe qui de toute manière ne profite qu'aux classes les plus aisées en accroissant les disparités et en portant atteinte aux revenus de l'Etat».
(*2) En huit ans la population juive passe de 900 000 (Novembre 1948) à 1 million 800 000 habitants (1956).
(*3) En 1948, l'aide du Judaïsme américain soutenant l'effort militaire s'élève à 75 millions de dollars, somme astronomique pour l'époque.
(*4) Ces implantations agricoles fournissent, en 1949, 50% des besoins alimentaires. Aujourd'hui des architectes israéliens tentent de faire inscrire à l'UNESCO le Kibboutz comme patrimoine mondial.
(*5) De l'alliance politique, en 1961 entre «les Sionistes généraux» (Parti libéral-capitaliste) et le «parti du Progrès» (Libéral-Centre) naît le «Parti libéral israélien» qui, en 1973, devient le Likoud.
(*6) Lova Eliav (1921-2010), après sa démission du parti travailliste en 1975, fonde le mouvement social-démocrate.
(*7) Extrait de l'article en hébreu «les vocations de l'esprit et œuvre pionnière en Israël»
(*8) Molad, Volume 15 p. 219
(*9) http://www.btl.gov.il/Publications/oni_report/Documents/oni2009.pdf
(*10) Après la victoire du Likoud en 1977, M. Begin, jette les bases d'une économie libérale capitaliste et initie le «Projet de Rénovation des quartiers».