La saisie du Francop n'est qu'un rappel de la menace perpétuelle à laquelle est sujet l'Etat d'Israël.
Le Francop transportait des armes iraniennes à destination du Hezbollah.
PHOTO: ARIEL JEROZOLIMSKI , JPOST
Janvier 2002 : la marine israélienne saisissait le cargo du Karine A, dans le cadre de l'opération "Arche de Noé". Le navire contenait des armes iraniennes destinées aux terroristes palestiniens de la bande de Gaza. Le vice-amiral Eli "Chiney" Marom dirigeait alors l'opération. Un sombre scénario qui a refait surface, la semaine dernière, au moment de la saisie du Francop. Mardi 3 novembre, l'opération "Quatre espèces", dirigée une fois encore par Marom - aujourd'hui responsable du commandement de la marine israélienne -, s'est déroulée sans incidents.
Depuis, des hélicoptères survolant la mer Rouge, des commandos ont investi le navire sans tirer le moindre coup de feu. Résultat : le plus important stock d'armes iraniennes - un arsenal de 500 tonnes, soit dix fois plus important que celui du Karine A - jamais intercepté par Israël. Mais, cette fois-ci, les destinataires étaient les membres du Hezbollah. Et, contrairement aux premières déclarations officielles - faisant état d'une manœuvre déclenchée au hasard - le nom de l'opération suggère qu'elle était déjà programmée depuis quelque temps. Si les bénéficiaires de ce trafic varient, la source du problème, elle, reste la même : l'Iran.
La bataille contre l'infiltration d'armes iraniennes dans la région est extrêmement complexe et implique une coordination sans précédent entre l'Etat hébreu et ses alliés - à commencer par les Etats-Unis. Israël participe à "Active Endeavor" (tentative active), une mission de l'OTAN basée à Naples. De là, des officiers s'échangent des informations sur toute circulation maritime suspecte en mer Méditerranée. Mais, si des milliers de navires ont été contrôlés ces dernières années, Israël ne peut finalement compter que sur lui-même quand il s'agit de mener des opérations plus complexes. Le récit du Francop en est un parfait exemple.
La liste se prolonge
L'épisode Francop n'est finalement qu'un nouveau chapitre du long combat d'Israël contre l'Iran et ses alliés. Il rejoint une longue liste d'opérations similaires qui visent à frapper la République islamique tout en maintenant la force de dissuasion israélienne. Une liste qui remonte au bombardement d'un site nucléaire syrien, en septembre 2007. Le message était alors très clair : démontrer la détermination et la force militaire israéliennes, au lendemain de la seconde guerre du Liban. Puis, février 2008 : l'explosion d'une voiture piégée - attribuée par des sources étrangères aux services secrets israéliens - tue le chef de la branche militaire du Hezbollah, Imad Moughnieh, en plein cœur de Damas. Plus tard la même année, le général Mohammed Suleiman - intermédiaire entre le président syrien Bashar el-Assad, le Hezbollah et le Hamas et directeur du programme nucléaire local - est abattu par un sniper.
Puis, en janvier dernier, des sources étrangères rapportent que l'aviation israélienne a bombardé un convoi au Soudan. Les camions transportaient des armes iraniennes destinées au Hamas, dans la bande de Gaza. Par ailleurs, il y a deux mois, le président américain Barack Obama, le Premier ministre britannique Gordon Brown et le président français Nicolas Sarkozy révèlent l'existence du site d'enrichissement de Qom. Un site qui, selon les services occidentaux de renseignement, ne peut avoir d'autres fins que militaires.
Le Francop n'est pas le seul navire à avoir été intercepté par Israël ou ses alliés : en janvier, les autorités chypriotes stoppent le Monchegorsk. Envoyé par les Lignes de Navigation de la République islamique d'Iran (LNRII), le bateau faisait route pour la Syrie. Et transportait de l'artillerie et des missiles, ainsi que des matériaux bruts destinés à fabriquer des roquettes. Enfin, le mois dernier, le Hansa India - qui a quitté l'Iran sous pavillon allemand - est intercepté avec huit conteneurs de cartouches et d'équipement industriel susceptible d'être transformé en armement. Des conteneurs destinés à la Syrie. Des saisies impressionnantes, certes, mais qui ne révèlent que la pointe de l'iceberg. De source israélienne, le Hezbollah posséderait déjà entre 30 et 40 000 roquettes.
Et la communauté internationale ?
La découverte de la semaine dernière n'arrêtera ni le Hezbollah, ni Téhéran. Ils trouveront simplement une alternative aux itinéraires habituels de leur trafic. Cependant, les conséquences diplomatiques et économiques ne sont pas négligeables pour l'Iran. D'une part, la cargaison - dont la valeur est estimée à plusieurs dizaines de milliers de dollars - est perdue. Et l'affaire causera aussi, sans aucun doute, des difficultés à la compagnie de navigation iranienne, la prochaine fois qu'elle voudra transporter un cargo - aussi inoffensif soit-il.
Les compagnies étrangères seront désormais plus prudentes avant d'accepter des conteneurs de la LNRII. D'autre part, sur le plan diplomatique, la saisie est extrêmement embarrassante : Téhéran est, une fois de plus, observé en train de violer les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU (qui lui interdisent tout trafic d'armes). Et ce, en des temps où l'Occident - les Etats-Unis en tête - tente de convaincre l'Iran de sous-traiter l'enrichissement d'une partie de son uranium à l'étranger. Le ministère israélien des Affaires étrangères a d'ores et déjà demandé à ses diplomates de saisir cette occasion pour accentuer les pressions sur le régime islamique, à l'étranger. Les chances de succès d'Israël sont pourtant faibles. La communauté internationale n'attend plus qu'une seule chose : conclure un accord avec Téhéran.
La saisie du Karine A et la reconnaissance internationale d'un trafic terroriste impliquant Yasser Arafat, en 2002, avaient progressivement pavé la voie à l'opération "Bouclier défensif", la même année. L'affaire Francop n'aura certainement pas le même effet. Quoi qu'il en soit, cette opération se présente à un moment où Israël jouit de relations particulièrement intéressantes avec plusieurs armées étrangères. Signe d'un front de plus en plus important contre l'Iran. Rien que le mois dernier, le chef d'état-major, Gabi Ashkenazi, s'est rendu à Berlin où il s'est entretenu avec son homologue allemand. Il a également rencontré les chefs d'état-major américain, français, et canadien. Par ailleurs, malgré l'exclusion israélienne de l'exercice militaire turc "Anatolian Eagle", le mois dernier, l'aviation israélienne a participé à des manœuvres conjointes avec les forces italiennes. Et, il y a deux semaines, Tsahal achevait l'opération "Juniper Cobra", en collaboration avec les Etats-Unis. L'armée israélienne a toujours bénéficié de liens privilégiés avec beaucoup d'autres pays. Mais ces liens semblent se resserrer encore davantage aujourd'hui, en des temps où Tsahal est accusée de crimes de guerre par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU et son rapport Goldstone.
Plusieurs responsables de la marine insistent désormais sur un point : l'importance de l'affaire Francop ne réside pas en la qualité des armes découvertes mais en leur quantité. Si le Hezbollah possède déjà des dizaines de milliers de roquettes, pourquoi lui faut-il une nouvelle cargaison (suffisante pour soutenir un mois de guerre contre Israël, de source militaire) ? La réponse : sans doute une combinaison entre le désir iranien de créer un Hezbollah puissant capable de préoccuper, voire paralyser, Israël dès qu'il le décide et les craintes du groupe lui-même de voir l'Etat hébreu anéantir tout son arsenal.
Même si beaucoup pensent que le Hezbollah n'a aucune envie d'attaquer Israël aujourd'hui, l'Iran a, sans aucune hésitation, renforcé son contrôle sur la milice chiite. Il peut ainsi lui ordonner d'agir quand bon lui semble. Deux scénarios deviennent alors possibles : soit Téhéran "activera" son allié libanais dans le cadre d'une riposte à une éventuelle attaque israélienne ou américaine sur ses infrastructures nucléaires ; soit il entamera une guerre indépendante, comme en 2006, en vue de détourner l'attention de la communauté internationale de ses activités illégales.
Dans les deux cas, le stock du Francop n'est que le rappel d'une menace perpétuelle. Menace que n'a pas manqué de souligner le général Amos Yadlin, chef des renseignements militaires, la semaine dernière, devant le pays tout entier.
commenter cet article …