Trois scénarios pour l'Egypte et le Moyen-Orient - Joshua Muravchik
Par Joshua Muravchik* pour le World Affairs Journal. Traduit de l’Anglais avec l’aimable autorisation de l’auteur pour le bulletin d'Amerique
Le soulèvement qui a lieu dans les rues d’Egypte pourrait refaçonner notre monde. L’agitation politique est contagieuse. La révolte de la petite Tunisie a enflammé le bois de l’Egypte. Si l’embrasement n’est pas étouffé rapidement dans ce pays qui est encore le plus influent du monde arabe, l’incendie se propagera à toute la région.
Trois scénarios approximatifs devraient attirer notre attention. Parmi ceux-ci, un seul n’atteint pas la dimension d’un événement. Si la loyauté de l’armée subsiste et que les manifestations sont annulées, l’Egypte traversera une période de répression intense, accompagnée par des promesses de réforme qui mettront l’accent sur l’économie – et qui n’auront aucun effet puisque les menaces à la stabilité feront fuir les investisseurs. Moubarak ne donnera pas le pouvoir à son fils, Gamal, par crainte de nourrir de nouvelles rancœurs. Le pays basculerait alors davantage vers une dictature militaire et s’éloignerait d’un modèle de parti unique. Le pays pourrait tâtonner dans cette direction, comme il l’a déjà fait depuis des générations. Les conséquences seraient malheureuses pour les Egyptiens et assez mineures pour le reste du monde.
Le scénario optimiste serait celui du drame. Il aboutirait à ce que le jargon de la science politique a qualifié de «transition compactée ». Cela signifierait qu’un accord entre le gouvernement et les opposants permettrait une sorte de redistribution du pouvoir. Naturellement, celle-ci ne pourrait avoir de sens qu’à travers des élections honnêtes. Il serait alors difficile pour les autres autocrates de la région de résister à la création d’un tel nouveau modèle. Une vague de démocratisation s’étendrait à tout le Moyen-Orient, semblable à celle ayant atteint l’Europe centrale et orientale en 1989 — bien que la question de savoir si les pays ressembleront davantage à la Pologne et à la République tchèque ou à la Biélorussie et au Kazakhstan resterait ouverte.
Le scénario effrayant serait celui de l’écroulement – après les autres organes de sécurité — de l’armée, que la révolution triomphe et que la seule force organisée capable de prendre le pouvoir parmi la masse des manifestants serait celle des Frères musulmans, venant de la rue comme Lénine disait l’avoir fait en 1917. Déjà, des rapports nous préviennent que les manifestants scandent des slogans islamistes. Non parce qu’ils sont tous des islamistes, mais parce que la Fraternité est la seule force capable de faire apparaître des cadres dans la masse des manifestants.
Si l’Egypte venait à tomber sous la domination islamiste, se joignant à l’Iran et à une Turquie de plus en plus islamisée, nous pourrions entrer dans une génération — ou davantage — de domination islamiste du Moyen-Orient. Parce que l’idée de base de l’islamisme est l(antipathie à l’égard des infidèles, cela pourrait déclencher un véritable « choc des civilisations ».
Alors, que doit donc faire Washington? Après avoir passé deux ans à essayer d’enterrer les appels de George W. Bush à démocratiser la région et l’Egypte en particulier, le président Obama a commencé à embrasser cette cause. Mais, de manière pathétique, ses appels pour éviter la violence apparaissent à la traîne.
La façon idéale de sortir d’une telle situation serait un dialogue entre le gouvernement et l’opposition, en suivant l’exemple des pourparlers organisés en Pologne en 1988-89. Mais ces pourparlers ont connu le succès précisément parce que l’opposition – Solidarnosc — était déjà bien organisée, légitime et démocratique.
Malheureusement, aucune opposition de ce genre n’existe en Egypte. Les partis d’opposition officiels ne sont que des marionnettes du régime. Il existe la Fraternité, qui est tout sauf démocratique. Le reste a été pulvérisé et écrasé.
Le meilleur pari pour l’Egypte serait d’organiser de véritables élections présidentielles, plus tard dans l’année. L’élection est déjà prévue, en fait – comme le sont ses résultats. Les États-Unis devraient ainsi s’engager de tout leur poids afin d’appuyer les revendications en faveur d’un nouveau code électoral. Cela signifierait: 1) Abaisser radicalement le seuil d’éligibilité dont les exigences actuelles sont prohibitives: quiconque pouvant obtenir quelques milliers de signatures par voie pétitionnaire devrait pouvoir être un candidat officiel; 2) une campagne ouverte entre aujourd’hui et le jour du scrutin, prévu pour Septembre : en effet, lors des dernières élections, la campagne avait été interdite jusqu’à 19 jours avant le vote, ce qui n’avait aucun sens; 3) ouvrir les listes électorales dès aujourd’hui : les règles d’enregistrement existantes sont si lourdes que les citoyens ne sont pas, pour la plupart, des électeurs inscrits; 4) répartir équitablement entre tous les candidats la présence dans les médias, en particulier à la télévision, pour assurer l’intégrité de ce scrutin et éviter toute intimidation, 5) le contrôle des élections par la communauté internationale, sous la bannière des Nations Unies.
Si Obama prononce un tel appel, de nombreuses voix égyptiennes s’en feront l’écho. Le chaos actuel pourrait rendre l’Egypte et la région meilleures – ou pires encore. En définitive, le temps est venu pour Barack Obama de délier sa langue.
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*Joshua Muravchik est Fellow à la School of Advanced International Studies de l’Université Johns Hopkins (Washington DC), contributeur au World Affairs Journal et analyste à l’American Enterprise Institute. Il tient unblog et a écrit près d’une dizaine d’ouvrages, le dernier en date étant The Next Founders: Voices of Democracy in the Middle East. Il a été décrit par le Wall Street Journal comme « peut-être l’auteur néoconservateur le plus convaincant et le plus prudent en politique étrangère »