http://www-org.guysen.com/article_Un-Coeur-pour-la-paix-quand-un-chirurgien-puise-le-don-de-vie-dans-le-judaisme_16157.html Un Cœur pour la paix : quand un médecin puise le don de vie dans le judaïsme Par Isabelle Kersimon - Jeudi 18 août 2011 à 19:17 |
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![]() Le professeur Azaria Rein est Juif orthodoxe. Il est médecin spécialisé en cardio-pédiatrie à l'hôpital Hadassah Ein Kerem à Jérusalem, vénérable institution créée en 1912 par un groupe de femmes sionistes et qui accueille et soutient l'association "Un Cœur pour la paix". Des enfants palestiniens en danger de mort y recouvrent la vie. Entretien. Vos actions en faveur des enfants palestiniens interrogent les Juifs religieux. Les juifs religieux interrogent le projet en général : ils se demandent quel est le rapport entre la religion juive, et entre un Juif religieux dans un projet qui n’implique pas du tout ni les Juifs ni les Juifs religieux, mais qui implique une action humanitaire vis-à-vis de Palestiniens qui, sans être des ennemis sur le plan politique, ne sont pas forcément nos amis. Et ce rapport entre la religion et cette action n’est pas direct ; il se comprend au niveau de l’individu, de ce que je suis. Quel Juif orthodoxe êtes-vous ? Je suis un Juif orthodoxe pratiquant, né à Paris dans une famille orthodoxe pratiquante dans les années cinquante, une famille juive orthodoxe d’origine alsacienne pratiquante depuis des générations que l’on ne compte pas… avant le XVIIe siècle. Je suis né avec cette « tare ». Pour moi la religion n’a rien de nouveau. Mais être religieux pour moi, c’est d’abord être né Juif et avoir baigné dès le plus jeune âge dans la pratique. Lorsqu’on est élevé dans la religion, les actes religieux ne posent pas question : on apprend à agir avant de comprendre pourquoi on agit. Dans toute éducation, l’enfant va copier les gestes, les paroles, les regards et les sourires des adultes avant de comprendre dans quelle situation il va sourire ou faire une grimace. Si c’est un enfant religieux, il va copier les actes des adultes religieux avant de comprendre leur sens. Je n’ai pas eu à découvrir la religion, mais plutôt à la comprendre à l’âge adolescent, quand on se pose des questions : pourquoi mange-t-on kasher, pourquoi fait-on le kiddousch, pourquoi garde-t-on Shabbat… La réponse se situe parfois au niveau d’une tradition transmise que l’on ne comprend pas toujours, que l’on ne comprend parfois jamais. Que vous a enseigné le judaïsme ? A l’adolescence j’ai découvert quelle est la particularité de notre religion. Toute religion est acceptable, mais la religion juive a la particularité de mettre certaines valeurs en avant que l’on ne retrouve pas dans toutes les religions. Et pour moi, l’une des valeurs primordiales ou principale du judaïsme, c’est la vie humaine. Beaucoup diront que les religions ont mené à des actes de barbarie, d’assassinats, de tueries en leur nom. Ca n’a jamais été le cas pour la religion juive, en tout cas telle qu’elle a évolué au cours des générations. La vie pour ce qu’elle est, aux plans biologique et philosophique, est une vie entièrement préservée, et la Torah nous le dit. C’est l’un de ses préceptes de base. Quand on parle des mitsvot, des commandements, à la fin de ce verset qui en parle, on dit « Vehai bahem », « il vivra à travers ces mitsvot ». Et l’un des enseignements de base délivré par nos sages, qui n’est pas suffisant mais qui est nécessaire dans la religion juive, c’est que si quelque chose vous empêche de vivre, si un commandement vous empêche de vivre, vous ne devez pas le suivre. Par exemple, on ne doit pas garder Shabbat si une vie peut être mise en danger, ou si un doute existe. Ce n’est pas que l’on peut transgresser Shabbat, mais bien que l’on n’a strictement pas le droit de garder Shabbat s’il y a un danger. La religion s’efface devant la vie En médecine, on apprend aussi que s’il y a un doute sur un risque de danger de mort ou un danger sérieux chez un patient, on n’a même pas le droit de se poser la question de savoir si l’on va transgresser Shabbat. On le transgresse. La religion s’efface devant la vie. Quand on comprend ce principe, on comprend que l’on ne peut pas tuer au nom de la religion. Je pense que c’est important à dire aujourd’hui en 2011. Aucun cas de figure ne permet de tuer, et préserver la vie est l’un des principes les plus importants de la morale juive. Nous avons été éduqués ainsi, et l’humanitaire tel que je le conçois, et tel que beaucoup de mes collègues le conçoivent à l’hôpital Hadassah, fait partie de nos normes. Nous ne sommes pas dans la charité. Nous sommes dans ce qui nous constitue. A qui cela s’applique-t-il ? A tout le monde, dans la mesure où tout individu est créé à l’image de Dieu, qu’il soit Juif ou non-Juif. Donc toute personne doit être prise en charge, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme, d’un enfant, d’une personne handicapée – je fais allusion à ce qu’il s’est passé pendant la seconde guerre mondiale, où les personnes handicapées étaient conduites aux chambres à gaz comme les Juifs, en quelque sorte handicapés de leur religion. Toutes les personnes ont pour dénominateur commun d’être des êtres humains vivants. A partir de ce moment, un homme qui fait partie du judaïsme, qu’il soit religieux ou pas, fera de l’humanitaire sans aucun conflit. Des conflits immédiats peuvent se poser, mais le principe de vie l’emporte toujours. Combattre, mais soigner C’est valable en médecine, c’est valable à l’armée aussi. Je me souviens très bien que pendant la première guerre du Liban à laquelle j’ai participé en tant que soldat réserviste, nous avons combattu des commandos syriens dans la ville de Bahamdoun. Une fois que nous avons remporté la bataille, nous sommes allés les soigner. Les journalistes qui nous interviewaient à ce moment-là ne comprenaient pas comment d’un côté nous pouvions les combattre, et de l’autre les soigner. On les combat parce qu’il faut se défendre ; mais une fois qu’ils sont battus, ce sont des hommes. C’est l’un des exemples du principe de vie si important chez nous. Cela n’est pas conflictuel. Cela peut paraître conflictuel dans un contexte d’Europe occidentale, qui fait passer avant tout peut-être le courage et l’honneur. Chez nous, ce qui passe avant tout ce n’est pas le courage et l’honneur, c’est la vie. Le Cœur pour la Paix est évident, ce n’est même plus une question Mes rapports humains avec les Palestiniens sont vraiment excellents, sans arrière-pensées, sauf la question de savoir comment faire pour ne pas être paternaliste, qui nous vient sans doute de notre éducation européenne. Parce que quand j’étais petit, j’étais nourri d’histoires sur Albert Schweitzer – je ne vais pas critiquer ce qu’il a fait, mais tout n’a pas été évident. Ce n’est pas notre propos, et nous faisons très attention à ce que notre action humanitaire ne soit pas interprétée comme une forme de paternalisme, de colonialisme… Nous avons d’abord essayé de soigner des enfants qui allaient mourir, puis de créer une structure palestinienne qui serait en mesure de soigner ces patients de manière autonome. Nous avons aussi veillé à n’en tirer aucun profit. Jusqu’à présent, « Un Cœur pour la paix » a sauvé 345 enfants depuis septembre 2005, et on a fait attention à ce que ces enfants reviennent dans leur village, dans leur famille, sans en tirer un quelconque profit politique ou financier. « Un Cœur pour la paix » a moins de 1% de frais de fonctionnement : 0,75% de ces frais sont destinés au commissaire comptable, ce qui est obligatoire en France, et les 0,25% restants aux quelques frais de secrétariat. Les médecins ne sont pas payés, ni les chirurgiens, ni les infirmières. Nous sommes tous volontaires. L’hôpital Hadassah paie la moitié des frais d’hospitalisation, et notre association l’autre moitié. Israéliens et Palestiniens, Juifs et musulmans Dans l’équipe nous sommes 7 médecins, 2 chirurgiens – dont l’un est Palestinien et travaille un jour par semaine à Hadassah et le reste du temps à Hébron. Notre équipe est très diversifiée. L’un de nos techniciens est Palestinien aussi, que nous formons à l’échographie cardio-pédiatrique. On n’a pas non plus de profit politique : il y a un spectre très large de tendances politiques dans notre service, de droite à gauche, de médecins issus de la ville ou de kibboutzim, de milieux religieux et non religieux. Nous vivons en parfaite harmonie avec nos collègues palestiniens avec qui nous partageons les repas, avec qui nous discutons, avec qui nous partageons les temps de prière… On respecte vraiment l’autre. En ce moment, notre collègue palestinien fait le Ramadan, ce qui n’est pas évident, donc nous l’aidons dans la mesure du possible. Le seul véritable profit que nous tirons de cela, c’est que l’on apprend à se connaître, à connaître la culture de l’autre. On parle très souvent, à table, de Coran et de Bible, et on fait des découvertes de part et d’autre, c’est passionnant. Je pense qu’on peut vivre ensemble, que l’on doit vivre ensemble, que l’on doit rester sur ses positions mais que l’on peut vivre ensemble, surtout la vie de tous les jours. Pour le reste, je pense qu’on a encore du chemin à faire de part et d’autre. Je pense pour ma part que nous avons du chemin à faire surtout de notre côté, mais peu importe. Les accusations antisémites Nous avons été accusés par d’autres médecins, surtout en Belgique, de mener nos actions pour « se faire la main sur les Palestiniens ». Je pense que quelqu’un qui ne nous aime pas ou qui nous hait ne peut pas comprendre cet acte humanitaire, puisqu’on ne gagne pas d’argent – puisqu’on en perd – et puisqu’on n’en retire aucun profit d’aucune sorte … Non seulement cette réaction est antisémite, mais en outre elle est ridicule, dans la mesure où l’on est obligés de créer des listes d’attente aussi pour nos concitoyens, puisque nous soignons les citoyens israéliens juifs, chrétiens, musulmans, druzes, tcherkesses, en parallèle avec les non-citoyens israéliens que sont les Palestiniens. Je ne trouve pas de mot assez fort pour qualifier cette accusation outrageuse. Nous, nous savons pourquoi nous faisons cela. Nous le faisons parce que l’homme juif pense avant tout à la vie. |