Par Stéphane Juffa Une équipe d’agents hautement qualifiés a donc éliminé l’une des têtes pensantes du Hamas à Dubaï. Et alors ? Les media occidentaux et israéliens s’époumonent à dévoiler des détails de l’opération et à accuser le Mossad pour cette "élimination extrajudiciaire". Les chancelleries des pays développés jouent les vierges effarouchées et convoquent les ambassadeurs israéliens en place afin de leur demander des "explications". On assiste à une véritable comédie qui ne dit pas son nom, et qui va s’évaporer dans les nimbes du Golfe Persique d’ici quelques jours. Contrairement aux oracles de certains oiseaux de mauvais augures, qui prennent visiblement leurs désirs pour des réalités, la neutralisation de Mabhouh ne va pas fragiliser les relations entre Jérusalem et les capitales éclairées. Au contraire. A quoi fallait-il s’attendre ? A ce que les James Bond qui ont réalisé ce coup de maîtres présentent des passeports israéliens à l’aéroport de Dubaï, et expliquent aux gardes-frontières des Emirats qu’ils sont venus abattre un chef du Hamas ? Ou que la justice israélienne convoque Mahmoud-al-Mabhouh pour lui communiquer qu’une procédure pénale est ouverte contre lui ; en lui demandant, en sus, de bien vouloir se laisser incarcérer en détention préventive jusqu’à la conclusion de l’enquête ? Allons donc... Les divers commentateurs oublient un détail de la situation : Israël se trouve en guerre contre le Hamas. Hier encore, des miliciens en armes de cette organisation djihadiste ont tenté de s’approcher de la frontière de Gaza, probablement pour tuer quelques civils de l’Etat hébreu. Quelques jours plutôt, ils ont lancé à la mer des fûts remplis de liquides explosifs, dans l’espoir qu’ils heurteraient un navire militaire, une embarcation civile, ou qu’ils arracheraient les bras d’un pêcheur à la ligne sur la plage d’Ashkelon, ce sans préférence particulière. Les tyrans du califat de Gaza ont tenu à le préciser : ils n’expriment aucun remord pour les civils qu’ils ont tués ou blessés en lançant dans leur direction plus de huit mille roquettes. Normal, on ne présente pas d’excuses pour la poursuite de son unique objectif : assassiner. Assassiner des individus désarmés dans le plus grand nombre possible, la définition même du terrorisme. Mais s’agit-il vraiment d’un conflit larvé qui opposerait uniquement l’Etat hébreu au Mouvement de la Résistance Islamique (Hamas) ? Il faut être soit naïf soit stratégiquement malvoyant pour le croire. En fait, l’Iran et ses porte-flingues du Hamas, du Hezbollah et de Syrie ont déclaré la guerre, outre à Israël, à l’Egypte, l’Arabie Saoudite, le Yémen, le Liban, la Jordanie, l’Autorité Palestinienne, l’Irak, et à tous les émirats arabes, à l’exception, peut-être, du Qatar. Dans tous ces pays, on s’est réjoui de la disparition de l’ennemi al-Mabhouh, lorsqu’on n’y a pas activement participé. Le public est crétinisé par une presse qui – pour des raisons de plus en plus difficiles à comprendre – persiste à feindre que le conflit dont je parle n’existe pas. Peut-être assistons-nous à un effort pathétique tendant à nier le choc des civilisations. Les confrères peuvent cependant omettre d’en parler, mais ils n’ont, malheureusement, pas le privilège d’empêcher qu’il existe ou de le faire disparaître. Leur mode opératoire : taire les avatars de cette confrontation lorsqu’ils ne sont pas de taille à déborder sur les écrans ; isoler les péripéties les unes des autres pour en retirer le sens, et évider ce conflit de toute sa substance stratégique pour la remplacer par de l’humanitaire exclusivement. Le meilleur exemple de ce dernier paramètre – de loin le plus important – se reflète dans le choix de France-Télévision de diffuser le "documentaire" Gaza-strophe, le 10 février courant sur France Ô. Un film de Samir Abdallah et Kheridine Mabrouk, réduisant la Guerre de Gaza au seul témoignage de victimes palestiniennes. Sans avertissement au public de ce qu’il allait voir un document de propagande. Sans aucune question posée à ceux qui ont amené au déclenchement des hostilités. Sans la moindre image desdits chefs du Califat. Sans la moindre trace des miliciens islamistes et de leurs armes, à croire qu’Israël a engagé ses divisions uniquement pour tourmenter ces pauvres gens. Sans la moindre allusion à la causalité de cet affrontement, et, surtout, en faisant l’économie du replacement de ces événements dans leur contexte stratégique. Cela participe de la même démarche que les soi-disant reportages de proximité, régulièrement proposés aux lecteurs du Monde par Laurent Zecchini. Ces réalisations ne servent qu’à stigmatiser Israël par leur caractère unilatéral, invérifiable et biaisé. Ce faisant, ils sont des vecteurs gratuits d’antisémitisme, mais, côté informatif, ils n’ont aucune valeur. Parce que l’aspect humanitaire ne constitue qu’un dégât collatéral et inévitable des conflits ; et parce que ce qui pousse les militaires à déclencher des guerres ne procède que d’une décision stratégique. La tentative morinienne tendant à imposer au public l’idée que, lors d’un conflit, on peut distinguer dans un camp les bons, et dans l’autre, les mauvais par atavisme, et que les mauvais par nature, dans ce cas, ce sont les Juifs, est dérisoire et criminelle. Mais au-delà d’icelle, et c’est encore pire (si, si), elle est non-informative. Mahmoud-al-Mabhouh n’était pas seulement un assassin, directement impliqué dans le rapt et l’assassinat de deux soldats israéliens – à ce seul motif, personne n’aurait monté une opération de l’envergure de celle de Dubaï -, il était l’un des cerveaux du trafic d’armes en direction de la milice islamiste de Gaza. C’est la raison de son décès. Son rôle s’inscrivait dans le cadre de la stratégie persane visant à faire de la Bande de Gaza une grande base militaire, dirigeant ses canons et ses agents contre tous les ennemis de Téhéran dans la région. S’il était tombé entre les mains des services égyptiens ou de ceux de l’Autorité Palestinienne, ils en auraient fait de la charpie. D’ailleurs, deux membres des services palestiniens ont participé à l’opération ; ils se trouvent en détention dans les Emirats. Pour saisir la portée réelle de l’élimination de Mabhouh et les circonstances dans lesquelles elle s’est produite – on appelle cela l’information -, le lecteur doit déjà savoir que le Mossad constitue la principale source de renseignement des Etats du Golfe, à l’exception du Qatar, dans leur résistance contre l’Iran. Le Qatar jouant le jeu de la neutralité bienveillante avec le régime d’Ahmadinejad, et plus encore à l’égard du Hamas. Durant Plomb fondu, les images soigneusement dirigées – pour les transformer en armes de guerre – d’Aljazeera, ont formé l’ossature de la non-information sur le conflit, avec but unique de stigmatisation d’Israël. Au-delà des ravages que la chaîne appartenant à la famille régnante à Doha a infligés à l’image de l’Etat hébreu, la mise à disposition du Hamas de la représentation diplomatique du Qatar à Gaza a procédé d’un acte politique clair. C’est au sein de ce bâtiment, ainsi que dans les sous-sols de la section pour enfants de l’hôpital Shifa, que s’étaient réfugiés Ismaïl Hanya et son entourage pour se protéger des coups de boutoir de Tsahal. Mais hormis à Doha – et encore ! – les gens du Mossad ont pignon sur rue sur la rive méridionale du Golfe Persique. Le chef de la police de Dubaï, le lieutenant-général Dahi Khalfan Tamim, se laisse un peu aller lorsqu’il en appelle à l’arrestation du chef du Mossad Meïr Dagan. La Ména est en mesure de vous assurer que si M. Dagan se rendait à Dubaï, il serait accueilli par l’émir Mohammad ben Rached Al-Maktoum comme un hôte de marque. Et on demanderait à Tamim de se taire. Je ne suis, en outre, pas du tout certain que Meïr Dagan n’a pas déjà rencontré l’émir, et peut-être pour parler avec lui de l’élimination d’al-Mabhouh. Car enfin, la meilleure façon, pour l’Emirat, de ne pas se compliquer la vie avec l’élimination de Mabhouh sur son sol, eût été de ne pas accueillir ce chef de la contrebande pro-iranienne sur son territoire. Et si, pour une raison qui ne me vient pas spontanément à l’esprit, les émiratis avaient décidé d’héberger cet "ennemi", ils auraient soigneusement surveillé son séjour. Les dispositifs antiterroristes déployés notamment à l’aéroport local – dont les plus sophistiqués sont de fabrication... israélienne ! – qui font la une de toutes les feuilles chou, démontrent à quel point, à Dubaï, on est éveillé sur la question. Bref, en préférant ne pas nous étendre inutilement sur les détails - nous sommes déjà allés à Dubaï -, l’hébergement de Mabhouh dans une chambre de palace non gardée ressemble plus à une souricière qu’à un effet de surprise. Car les chances pour que les hôtes de l’agent iranien aient ignoré son identité ainsi que ses fonctions au sein du Hamas et les risques qui planaient sur son existence sont absolument nulles. Et si c’était à la Ména que les ennemis de Téhéran avaient demandé de monter cette opération – rassurez-vous, c’est un exercice mental purement virtuel et nous n’avons aucune intention de quitter nos claviers – nous l’aurions conçue exactement comme elle a eu lieu. Y compris la révélation rapide de l’élimination, la réaction exagérée des amis occidentaux, et les déclarations victorieuses de ce gros vantard de Khalfan Tamim. D’ailleurs, s’il s’est bien agi d’une souricière, nous n’aurions pas mis cette pipelette de Tamim dans le secret des dieux, le laissant volontiers étaler ses tartarinades sur toutes les chaînes de la planète. Et après. Un Israélien a-t-il été blessé ? Le ressortissant d’un autre allié ? La mission n’a-t-elle pas été menée à bien ? Dubaï passe-t-il aux yeux des crédules pour un ami de l’entité sioniste ? Ses relations avec l’Iran se sont-elles détériorées ? C’est à l’aune de ces questions et des réponses qu’elles invitent, que l’on peut imaginer ce qui s’est réellement passé. A part au Hamas et à Téhéran, je n’ai vu pleurer personne. A la Ména, nous avons cependant noté la réaction de Bernard Kouchner, affirmant que c’était pour éviter ce genre d’incident qu’il était nécessaire d’établir le plus tôt possible un Etat palestinien. Ainsi que le pan sur le bec, très ferme, que lui a infligé François Fillon, hier, depuis Amman, rappelant au ministre des Affaires Etrangères français que "notre but est la création d'un Etat palestinien viable, indépendant, démocratique, vivant en paix aux côtés d'Israël dans des frontières sûres et reconnues (...)". A l’ami Kouchner, dont la sortie fait plus penser à une onomatopée qu’à une réflexion murie, nous confions que la création immédiate d’un Etat palestinien sans frontières reconnues aurait probablement encore plus d’effet sur le prix des pommes de terre que sur ce genre d’incident. Nous lui rappelons également que la France a signé, en sa présence, un engagement formel à mettre un terme à la contrebande d’armes en faveur du Hamas, et que Mahmoud-al-Mabhouh était l’un des architectes de ce trafic. Qu’à en croire une source bien informée auprès du gouvernement israélien, "Paris aurait très peu œuvré pour respecter son engagement". Nous n’avons, par ailleurs, toujours pas compris l’intérêt de la France à protéger le Hamas de l’anéantissement, ni celui de ses cerveaux. Cette organisation n’est-elle pas listée comme terroriste par l’Union Européenne ? Le vœu, sans cesse répété, de Paris de combattre le terrorisme n’inclut-il pas des individus comme Mahmoud-al-Mabhouh ? Et pourquoi cette exonération ? En quoi consiste le vœu alors ? A qui s’adresse-t-il ? Je veux aussi dire à Bernard Kouchner que tous les analystes que je connais, sans aucune exception, y compris notre camarade palestinien Sami El-Soudi, s’entendent pour affirmer que la création d'un Etat palestinien viable, indépendant et démocratique, n’est pas réalisable tant que le Hamas contrôlera Gaza. Et qu’il aiderait mieux à l’avènement de la paix en distillant des conseils pour se débarrasser de ces assassins, que de regretter la disparition de l’un d’eux. Un dernier point pour cet article : chaque Etat démocratique possède sa centrale de renseignement. Comme leur nom l’indique, leur tâche principale consiste à tenir informé les gouvernements élus des dangers qui menacent la sécurité nationale. |