
Pour documenter mes journées romaines en compagnie des prêtres, les soirées homos, les escorts et les célébrations religieuses, j’ai travaillé en caméra cachée. J’avais besoin de preuves certaines et irréfutables. Sans quoi, je risquais de me faire massacrer.
Nous sommes le 23 juillet 2010. Panorama, le magazine pour lequel je travaille, publie une partie de l’enquête et des photos en ma possession. En couverture, sur fond noir, un prêtre aux mains jointes serre un chapelet entre ses doigts. Il a les ongles laqués de rouge. Titre: “Les belles nuits des prêtres gays”.
La première réaction de l’Église de Rome est diffusée par l’agence de presse Ansa. “Des sources anonymes du Vatican” stigmatisent une enquête “dépourvue d’informations concrètes et circonstanciées”; elles n’y voient qu’une “tentative de trouver à tout prix de sujets assez forts pour réveiller les lecteurs endorm
is sous leurs parasols”.
Réponse de Giorgio Mulè, directeur de Panorama: “Je souhaite rassurer les sources anonymes du Vatican en les invitant à se rendre dans un kiosque à journaux et à lire l’enquête. Si la chose se révélait impossible je serai heureux, en accord avec la direction du journal, de fournir les prénoms, les noms, les adresses des prêtres qui ont pratiqué des actes sexuels, le tout agrémenté de vidéos incontestables.”
Quelques heures plus tard, paraît une déclaration officielle du cardinal Agostino Vallini, vicaire du pape Benoît XVI: “Le but de l’article est évident: créer le scandale, diffamer tous les prêtres en s’appuyant sur les déclarations d’une des personnes interviewées, d’après laquelle 98% des prêtres de sa connaissance sont homosexuels; discréditer l’Église et faire pression sur cette partie de l’Église qu’ils réputent intransigeante, et qui refuse de regarder la réalité des prêtres homosexuels.”
Un clergé au-dessus de tout soupçon
Les faits rapportés ne devaient plus faire débat au sein du Vatican. Vallini continue: «Les faits relatés ne peuvent pas ne pas susciter douleur et désarroi dans la communauté ecclésiale de Rome, qui connaît bien ses prêtres et ne les considère pas comme ayant une “double vie” mais une “vie solitaire”, heureuse, pleine de joie, en harmonie avec leur vocation, vouée à Dieu et au service des hommes, consacrée à la vie et au témoignage de l’Évangile, modèle de moralité pour tous.
«Ils sont plus de 1300, répartis dans nos 336 paroisses, ceux des oratoires, des multiples œuvres de charité, des établissements consacrés et autres réalités ecclésiales présentes dans l’université, dans le monde de la culture, dans les hôpitaux, aux frontières de la pauvreté et de la dégradation humaine, non seulement dans notre ville mais aussi dans des pays lointains et dans des conditions passablement difficiles.
«Qui connaît l’Église de Rome, où vivent également plusieurs centaines de prêtres venus du monde entier pour étudier à l’université, sans appartenir au clergé romain ni être impliqués dans des activités pastorales, ne peut se reconnaître le moins du monde dans la conduite de ceux qui mènent cette “double vie”. Ceux-ci n’ont pas compris ce qu’est le “sacerdoce catholique” et n’auraient pas dû devenir prêtres. Ils savent que personne ne les oblige à rester prêtres, si c’est seulement pour en tirer des bénéfices. La cohérence voudrait qu’ils se montrent au grand jour. Nous ne leur voulons aucun mal, mais nous ne pouvons accepter que leur comportement salisse l’honorabilité de tous les autres.»
En substance, le Vatican reconnaît que le problème mis au jour par l’enquête existe. Sur ce point, au moins, le doute n’est plus permis.

La déclaration du vicariat s’achève ainsi: “Devant de tels faits, nous adhérons avec conviction à ce que le Saint-Père Benoît XVI a répété à plusieurs reprises ces derniers mois: les péchés des prêtres renvoient tous à la conversion des cœurs et de la vie, et à veiller à ne pas souiller la foi et la vie chrétiennes en entamant l’intégrité de l’Église, en affaiblissant sa capacité prophétique et testimoniale, en ternissant la beauté de son visage. Ce vicariat s’emploie à poursuivre vigoureusement, dans le respect des règles de l’Église, tout comportement indigne de la vie sacerdotale.”
On peut toujours discuter de la forme et, si l’on veut, de la cruauté de l’enquête, mais la matière des faits existe bel et bien. Au point que le vicariat exhorte fermement les prêtres homosexuels à se dévoiler, à enlever leur soutane et à quitter l’Église.
Deuxième point très important. La déclaration officielle du Vatican se résume ainsi: c’est une affaire classique de brebis galeuses comme il y en a dans toutes les bonnes familles. Pour le reste, l’Église est peuplée de prêtres menant une vie conforme à leur vocation et assumant leur tâche. Des prêtres au service de Dieu et des hommes, des témoins de l’Évangile, des modèles de moralité pour tous.
Personne ne veut mettre tout le monde dans le même sac. Je n’ai jamais eu, et je n’ai toujours pas à l’heure actuelle, le moindre doute quant à l’existence de prêtres qui, tous les jours, se consacrent à la messe, viennent en aide aux ados et aux exclus, qui se brisent l’échine dans les oratoires, de missionnaires qui passent leur vie au service des autres dans des endroits où les gens comme nous ne tiendraient pas plus de vingt-quatre heures.
Là n’est pas la question. Si tu as un ami qui a un problème d’alcool ou de drogue, tu ne lui feras sûrement pas du bien en le plaignant et en mettant la cause de son mal-être sur le dos des autres: sa fiancée qui l’a trompé, son patron qui est un con, la société qui est corrompue et travaille seulement à sa propre chute. Si tu veux vraiment rendre service à cet ami, ton devoir est d’être franc, direct, cruel. Tu ne restes pas les bras ballants pendant qu’il s’éteint doucement. Si son sort te tient vraiment à cœur, tu lui dis ce qu’il en est vraiment. Que le problème est en lui, dans son ventre, dans sa tête. Qu’il faut qu’il se soigne. Tu restes auprès de lui, tu l’accompagnes; mais tu ne lui donnes pas de petites tapes sur l’épaule. Tu l’obliges à regarder son problème en face, tu le persuades de le résoudre en allant à la racine du mal.
Des ecclésiastiques qui ont une double vies
Ils sont très nombreux, les prêtres qui ont une sphère sexuelle cachée, une double vie. Peu importe qu’il s’agisse d’homosexualité ou d’hétérosexualité. Car personne ici ne songe à établir une distinction entre les prêtres qui aiment une femme et ceux qui aiment un homme. Au terme de cette enquête, le problème se révèle comme étant exactement le même.
Ça n’a pas été une entreprise facile que d’établir des chiffres susceptibles d’aider à circonscrire le phénomène. En effet, comme on s’en doute, il n’existe pas d’études ni de données officielles. Il faut se contenter d’estimations officieuses, partielles, contestables, qui n’auront certes pas la prétention d’affirmer une vérité scientifique, mais peuvent aider à saisir l’étendue du terrain sur lequel nous avançons.
Quelques statistiques
Les tentatives les plus probantes viennent des États-Unis. Selon lesinnombrables études du psychiatre Richard Siper, ex-moine bénédictin, ex-prêtre, 25% des prêtres américains ont eu des relations avec des femmes après leur ordination. 20% encore sont impliqués dans des relations homosexuelles, ou ont eu un conflit en rapport avec une activité sexuelle régulière, ou se sont sentis attirés par une activité homosexuelle, ou se sont identifiés comme homosexuels, ou ont eu au moins des doutes quant à leur orientation sexuelle. Richard Sipe a déclaré au Boston Globe: “S’il fallait éliminer tous ces prêtres qui ont des tendances homosexuelles, leur nombre serait tellement grand que ça aurait l’effet d’une bombe atomique. Cela signifierait la démission d’un tiers des évêques de par le monde.”
Le sociologue et écrivain James G. Wolfe a également mené des études, par le biais de questionnaires adressés à des prêtres. Il estime que 48% des prêtres américains sont gays. Ses conclusions sont les suivantes: 58% d’entre eux pensent que le célibat est un idéal plus qu’une loi à laquelle obéir. Ils sont 35% à le considérer comme un engagement à ne pas se marier, plutôt qu’à n’avoir aucune activité sexuelle. Et 41% à séparer leur vie sexuelle et leur vie de prêtre.
À l’automne 1999, le Kansas City Star a adressé un questionnaire à 3000 prêtres aux quatre coins des États-Unis. 801 réponses ont été recueillies: 75% des prêtres interrogés ont déclaré avoir une tendance homosexuelle, 15% se sont ouvertement déclarés homosexuels, et 5% bisexuels.
En 1990, un franciscain, le révérend Thomas Crangle, a envoyé 500 lettres à autant de prêtres sélectionnés au hasard; 398 ont répondu: 45% d’entre eux ont affirmé être gays.
Au Brésil, le Centro de Estatísticas Religiosas e Investigações Sociais, le Ceris, a mené une enquête anonyme sur un échantillon de 758 prêtres catholiques brésiliens: 41% ont admis avoir eu des rapports sexuels; la moitié d’entre eux s’affirment opposés au célibat.
La situation est comparable en Europe. Eugen Drewermann – ex-prêtre, écrivain, critique, théologien – soutient, études à l’appui, qu’en Allemagne, sur un total de 18.000 prêtres, 6000 au moins vivent avec une femme.
Le Guardian a avancé le chiffre de 1000 enfants nés de prêtres en Grande-Bretagne.
Selon Pat Buckley, évêque irlandais qui a créé un groupe de soutien aux femmes maîtresses de prêtres, 500 Irlandaises au moins ont une relation avec un prêtre catholique, sur un total de 1900 prêtres en activité.
La revue chrétienne espagnole 21rs a mené une étude, intitulée “Radiographie du clergé diocésain espagnol”, et conclut que 52% du clergé espagnol souhaitent que le célibat devienne facultatif.
Et en Italie? Rien de rien. Personne n’a jamais tenté d’ébaucher la moindre étude de ce type. Quant à entrer en contact avec des prêtres psychiatres en charge des cas les plus difficiles de religieux impliqués dans des affaires sexuelles, sûrement pas! Ils fuient les questions comme la peste. Ils ont peur. On peut parler de tout, sauf de sexe.
Extraits de “Sexe au Vatican – Enquête sur la face cachée de l’Église” –
document par Carmelo Abbate, éditions Michel Lafon, 2011
Photos: Google Images
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