Une nouvelle étude de Daniel Giacobi
son excellent blog
Pourtant contestée le concept de « choc des civilisations » a aujourd'hui pignon sur rue, que l’on soit pour ou contre, on en fait mention. La notion semble avancer dans l’opinion publique comme le montrent l’affaire de l’interdiction des minarets en Suisse ou le débat sur le voile islamique.
Le « choc des civilisations », un nouveau concept géopolitique ?
Ainsi pro- et anti-, contribuent en fait tous à répandre la thèse d’Huntington, en accordant une importance inouïe à la question des civilisations dans les affaires internationales.
Rejeté en France, le concept s’installe pourtant peu à peu. En décembre 2003, quand à Tunis, le président Jacques Chirac parle d’« agression » à propos du foulard islamique, la journaliste Elisabeth Schemla s’en réjouit : « Pour la première fois, Jacques Chirac reconnaît que la France n’est pas épargnée par le choc des civilisations.»
Emmanuel Brenner dans un pamphlet intitulé « France, prends garde de perdre ton âme.. » écrit en 2004 écrit : « il faut tenir compte d’enjeux culturels qui traduisentdes affrontements entre des conceptions du monde différentes sinon antagonistes. (...) Cette dimension culturelle fait défaut à de nombreux observateurs qui omettent de prendre en compte cet arrière-fond historique …. dont la nature longtemps conflictuelle affleure dans les retours identitaires d’aujourd’hui. Il n’est que d’évoquer les croisades et l’affrontement entre les deux rives de la Méditerranée, l’avancée de l’islam dans le sud-est de l’Europe jusqu’aux portes de Vienne au XVIIe siècle, le temps du Turc redouté et abhorré, puis le temps de la colonisation et son cortège de violences, celui de la décolonisation, enfin, qui fut souvent sanglante. Cette confrontation, ancienne et récurrente, a sédimenté dans les consciences des peuples. » Et c’est pour cela, conclut-il, que nombre de jeunes Beurs français sont « culturellement » antisémites...
A Blois, le 4 septembre 2007, Nicolas Sarkozy prononce un discours pour la rentrée des classes, il appelle au refus du "choc des civilisations" :
« Si je veux que l'école, par-dessus tout, demeure laïque, c'est parce que la laïcité est à mes yeux un principe de respect mutuel et parce qu'elle ouvre un espace de dialogue et de paix entre les religions, parce qu'elle est le plus sûr moyen de lutter contre la tentation de l'enfermement religieux. Au risque de la confrontation religieuse qui ouvrirait la voie à un choc des civilisations, qu'avons-nous de mieux à opposer que quelques grandes valeurs universelles et la laïcité ? Pour autant, je suis convaincu qu'il ne faut pas laisser le fait religieux à la porte de l'école. La genèse des grandes religions, leurs visions de l'homme et du monde doivent être étudiées, non, bien sûr, dans un quelconque esprit de prosélytisme, non dans le cadre d'une approche théologique, mais dans celui d'une analyse sociologique, culturelle, historique qui permette de mieux comprendre la nature du fait religieux. Le spirituel, le sacré accompagnent de toute éternité l'aventure humaine. Ils sont aux sources de toutes les civilisations et l'on s'ouvre plus facilement aux autres, on dialogue plus facilement avec eux quand on les comprend. »
Cette idée de civilisation a été reprise par Nicolas Sarkozy dans son discours de vœux 2008. Sous l’inspiration de Henri Guaino, principal conseiller et plume des discours officiels, il a annoncé aux français "une politique qui touche davantage encore à l'essentiel, à notre façon d'être dans la société et dans le monde, à notre culture, à notre identité, à nos valeurs, à notre rapport aux autres, c'est-à-dire au fond à tout ce qui fait une civilisation". Il a évoqué les "Droits de l'Homme", "le goût de l'aventure et du risque", "l'environnement", etc, pour appeler une "nouvelle Renaissance", "une politique de civilisation"pour la France du XXIe siècle. La formule est empruntée au titre d'un livre du sociologue Edgar Morin publié en 1997 en collaboration avec le politologue Sami Naïr après le mouvement social de 1995 contre la réforme Juppé. Cet ouvrage aborde la question de la nécessaire réforme du service public français tout en le préservant d’une destruction totale sous la pression du "libéralisme économique européen". Pour les deux auteurs, "la politique de civilisation vise à remettre l'homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être". Le livre développe un concept d'écologie politiqueformulé dès les années 1960 dans l'œuvre du sociologue, en particulier dansAnthropolitique: Introduction à une politique de l'homme (1969).
Le socialiste Arnaud Montebourg dénonce un "concept nouveau qui ne veut absolument rien dire" hormis "une sorte d'intégration au bloc anglo-saxon" et "une espèce de croisade de l'affrontement des civilisations".
Le 19 janvier 2009 l’éditorial de Ouest France était intitulé : « Refuser le choc des civilisations ». Il a gardé toute son actualité. En voici l’intégralité (les passages sont surlignés par moi):
On prie à Gaza et à Jérusalem. En appeler à Dieu pour vaincre son ennemi ? Cette question sacrée pose un sacré problème... Cela donne le choc des civilisations et c'est la guerre. Le monde en fourmille d'occasions quand les hommes défendent aveuglément leurs fourmilières organisées autour d'une vision du monde, d'une révélation et d'un territoire. Nous le savons tous et l'actualité s'en fait le triste écho ces jours-ci aux abords d'une terre sainte et martyre. L'Histoire est jalonnée de guerres de religions, de conflits ethniques, de rivalités communautaires...
Or, nous voulons la paix, celle des hommes et des âmes. Au fil du temps qui fait l'Histoire, sur le chemin de la paix, l'homme a écrit les droits de l'homme, parmi lesquels la liberté de conscience, droit de croire ou de ne pas croire. Mais, pour que la foi ne soit pas prise en otage par des illusions séculières, il faut séparer ce qui relève de la transcendance et du temps qui passe. Pour que la loi protège la foi il faut renoncer à ce que sa foi dise la loi... Très clairement : pas de religion d'État.
Mais la séparation entre le privé (religieux) et le public (laïc) suppose de renoncer à l'arrogance de la supériorité... N'ayez pas peur... Admettre la légitimité d'une autre foi n'est pas nier sa propre foi. La peur de la religion de l'autre serait un manque de confiance en sa propre foi. Il faut dire adieu au fanatisme. Le respect de l'autre prend alors le nom de laïcité.
Il faut redire l'exigence de laïcité dans la conduite des affaires du monde, pour le respect des consciences et l'harmonie publique, avec pour meilleure arme la tolérance. Non pas cette laïcité paranoïaque qui voit en toute croyance un déni d'humanité et du coup se révèle croyance obscurantiste, mais cette belle laïcité qui permet à chaque religion de ne pas craindre l'autre, la laïcité comme lettres de noblesse de la politique du bien commun, pour vivre ensemble au nom de quelque chose ou de rien, espérance aux multiples racines...
La laïcité comme moyen de la liberté et de la paix, ce n'est pas une utopie trop belle pour être crédible. C'est une exigence. C'est le seul moyen de lutter contre les peurs ignorantes qui lancent les modes de vie les uns contre les autres.
Chez nous, contre les tentations de conflits qui reproduiraient les guerres qui désolent le monde, l'école républicaine et laïque doit enseigner tous les faits religieux et l'histoire des civilisations. Apprenons l'histoire aux enfants, étudions le fait religieux des autres, invitons toutes les cultures du monde à la table des écoles, écrivons le nom de Dieu et de la liberté dans toutes les langues. Et chacun saura que Dieu ne peut être l'ennemi de personne. À Gaza comme à Jérusalem.
En 2005, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, commanda un rapport et réunit un forum international sur “l’Alliance des civilisations”.
« L'Alliance des civilisations », l’initiative a été lancée par le Premier Ministre espagnol de l’époque, M. Zapatero avec le soutien de la Turquie, en septembre 2004, à l'Assemblée générale des Nations Unies dans le but de prévenir les risques de fracture entre l'Occident et le monde musulman. Elle est présentée en décembre 2004 devant la Ligue arabe. Le 14 juillet 2005, le Secrétaire Général de l'ONU, Kofi Annan reprend l'idée d'une « alliance des civilisations» et décide de parrainer l'initiative. Un groupe de travail formalisa le projet et un comité de haut niveau créé en septembre 2005 présenta un rapport fin 2006, assorti d'un plan d'action concret. - Ce haut comité fut présidé par Federico Mayor, ancien Directeur Général de l'UNESCO et par Mehmet Aydin, Ministre d'Etat turc. Il comprend des personnalités du monde politique, des intellectuels, des hommes de religion, comme l'Archevêque Desmond Tutu, l'ancien Président iranien Mohammed Khatami, l'ex-président de la Banque inter-américaine de développement Enrique Iglesias, M. Hubert Védrine. - Il vise à renforcer le dialogue interculturel et à dépasser les incompréhensions mutuelles, particulièrement entre le monde occidental et le monde musulman.
La contradiction des valeurs :
le débat à propos de la condition féminine
Pourtant le dialogue n’est pas aussi simple que l’on pourrait croire, alors que l’Occident depuis un siècle tend à établir la parité hommes-femmes dans tous les domaines, le maintien dans l’Islam d’une condition de second rang pour les femmes crée une contradiction difficile à résoudre si l’on se place du côté du droit occidental ou de celui du droit islamique, le débat sur le voile intégral en France en est la démonstration.
Un autre exemple : Au Pakistan, les crimes d’honneur sont très courants et toléré par la justice : une jeune fille refuse d’épouser le garçon choisi par sa famille, ou une épouse regarde un autre homme, et la folie s’empare de celui-ci et parfois de ses complices. Un flacon d’acide coûte seulement quelques roupies au marché du coin, il est très facile de s’en procurer pour commettre son crime sans souci. ”Sans souci”puisque l’État Pakistanais ne porte pas devant la justice ces crimes d’honneur. Une déclaration d’un ”témoin” présent le jour de l’agression permet au garçon d’échapper à la prison. Les femmes ont toujours tort. Chaque année, des centaines de femmes sont aspergées d’acide ou de kérosène. Lorsqu’une jeune femme se retrouve ainsi mutilée, si elle a eu la chance de survivre, elle doit rester cachée dans sa famille, qui a souvent honte d’elle ou mendier dans la rue pour pouvoir manger. Ses cicatrices indélébiles et douloureuses, sont cachées sous ses amples vêtements et un foulard. Comment vivre ainsi ? Puisque la justice ne reconnaît pas le crime dont elle a été victime, il ne lui reste souvent qu’une solution : le suicide.
Si c’est le sort de nombreuses pakistanaises, quelques unes espèrent s’en sortir grâce au soutien d’associations venant en aide aux femmes victimes de crimes d’honneur.
C’est le cas de Smile Again qui a déjà fait l’objet de reportages dans Elle et sur France 24. C’est en 2003 que Smile Again,association italienne officiant jusqu’alors au Bangladesh, qu’au PakistanMassarat Misbah, une femme d’affaire de Lahore, décide d’associer son entreprise de salons de beauté, Depilex à cette association. Elle crée Depilex Smile Again et ouvre ses salons de beautés aux femmes traumatisées et mutilées pour qu’elle retrouvent leur dignité. Malheureusement - l’exploitation de la détresse humaine est une réalité bien connue dans notre monde - beaucoup n’ont pas bénéficié des soins promis et l’association a subi des graves détournements d’argent de la part de la femme d’affaire contre laquelle une plainte a été déposée. Lors de son dernier voyage au Pakistan, en décembre 2009, Clarice Felli, la fondatrice de Smile Again, s’aperçoit que Masarrat a levé des fonds considérables sans jamais lui en parler. Elle réclame des explications mais Masarrat refuse de lui répondre et la menace. Clarice Felli découvre que des dizaines de patients censés avoir été traités par la fondation n’ont jamais reçu d’aide médicale.
Lisez l’enquête du journal Libération en février 2010 :
http://www.liberation.fr/monde/0101616880-la-marraine-escroc-des-femmes-brulees-du-pakistan
Il n’empêche que la réalité des femmes défigurées est incontestable et intolérable au regard des principes occidentaux.
http://www.depilexsmileagain.com/
Deux vidéos : http://www.youtube.com/watch?v=xThMhHT_rZY
http://www.france24.com/en/20090225-pakistani-women-acid-sulfuric-kerosene-attacks-Depilex-Smile-Again
http://www.youtube.com/watch?v=CQvHtJg3kuQ
D’où vient le concept de "choc des civilisations" ?
Il a été formulé par Samuel Huntington qui est mort à l'âge de 81 ans le 24 décembre 2008.
Il était né le 18 avril 1927 à New York. Diplômé de la prestigieuse université Yale à 18 ans, il commence à enseigner dans la tout aussi prestigieuse université Harvard à 23 ans ; professeur reconnu très réputé il donna des cours jusqu’à l’âge de 80 ans en 2007. "On a étudié ses idées et on en a débattu dans le monde entier", écrit l'économiste Henry Rosovsky, ami de Huntington, sur le site internet de Harvard. "Il était de toute évidence l'un des politologues les plus influents des cinquante dernières années." Jorge Dominguez, l'un des vice-doyens de Harvard, l'a décrit comme "un des géants de la science politique dans le monde au cours du dernier demi-siècle. Il avait le chic pour poser la question cruciale mais dérangeante. Il avait le talent et l'intelligence pour formuler des analyses capables de résister au temps". Pour le professeur Stephen Rosen, spécialiste des affaires militaires et de sécurité nationale, "l'intelligence brillante de Samuel Huntington était reconnue par les universitaires et les hommes d'Etat qui avaient lu ses livres à travers le monde. Mais ceux qui le connaissaient l'aimaient car il combinait une loyauté féroce envers ses principes et ses amis et un plaisir à se confronter à ceux qui s'opposaient à ses idées".
Il fut l'auteur ou co-auteur de 17 ouvrages et 90 articles scientifiques, sur la politique américaine, la démocratisation, la politique militaire, la stratégie et la politique de développement, selon Harvard. Ses recherches ont d'abord porté surles relations entre l'armée et l'Etat et sont publiées en 1957, dans un ouvrage à l'époque très controversé intitulé "The Soldier and the State" (Le soldat et l'Etat). Réimprimé 15 fois, il est aujourd'hui considéré comme une référence. Puis il étudiales conséquences désastreuses de la guerre froide. Son travail s'orienta à la fin des années 1960 vers la situation économique et politique des pays du Tiers monde. Il aboutit à la publication en 1969 d'un livre de synthèse, "Political Order and Changing Societies" (« Ordre politique et évolution des sociétés »).
Aux Etats Unis, Huntington n’était pas un conservateur !
Démocrate, il participa à la campagne présidentielle de 1968 comme conseiller aux affaires étrangères de Hubert Humphrey battu à l’époque par Richard Nixon. Il est toujours resté fidèle au Parti démocrate et travailla à la Maison Blanche pour le Conseil de sécurité nationale de Jimmy Carter en 1977 et 1978.
Huntington, auteur d’un best-seller mondial : "le Choc des civilisations".
QU’EST-CE QUE LE "CHOC DES CIVILISATIONS" ?
C’est en 1993 que Huntington reprend la formule du « choc des civilisations » dans un article célèbre paru dans la revueForeign Affairs: “The conflicts of the future will occur along the cultural fault lines separating civilizations.” = « Les conflits à venir se produiront le long des lignes de fracture culturelle qui séparent les civilisations. » )
Il développe ensuit sa thèse dans un livre paru en 1996 - traduit ensuite dans 39 langues - avec un titre choc : « the clash of civilizations » qui fut un événement majeur dans l’histoire contemporaine des idées politiques. Samuel Huntington a suscité aux Etats Unis un vif débat sur les relations entre les mondes occidental et islamique -surtout après les attentats du 11 septembre 2001 -. Dès la publication, intellectuels, médias et opinions publiques en Occident se divisent en pro- et anti-Huntington.
Le contexte de sa publication est important, non pas, celui du 11 septembre 2001, mais celui du 9 novembre 1989,celui de la chute du Mur de Berlin et de la fin du communisme en Europe …Alors que Francis Fukuyama proclame la fin de l’histoire, pour Huntington l’histoire rebondit : à l’affrontement bipolaire de la Guerre froide succède un affrontement multiforme et multipolaire où coexistent, pacifiquement ou pas, huit blocs qu’Huntington appelle “civilisations”.
Son dernier livre, "Qui sommes nous? Identité nationale et choc des cultures" est paru en 2004 et fit aussi débat car il y affirmait que l'afflux massif d'immigrés mexicains aux Etats-Unis menaçait l'identité et l'unité nationales américaines; ses dernières travaux portèrent sur les liens religions/ identités nationales.
Pour Huntington, dans le monde d'après-guerre froide, le conflitn'opposera plus des Etats-nations rivaux idéologiques, politiques et économiques mais des "civilisations", aux spécificité culturelles et religieuses de plus en plus marquées et antagonistes. En insistant sur les facteurs de conflit culturels et non plus sur les antagonismes idéologiques, politiques et économiques qui dominaient la Guerre froide.
“Si le XIXe siècle a été marqué par le conflit des Etats-Nations et le XXe par l’affrontement des idéologies, écrit-il, le siècle prochain verra le choc des civilisations car les frontières entre cultures, religion et race sont désormais des lignes de fracture.”
§ La notion de civilisation selon Huntington est une notion composite théologico-ethnico-politique un peu inspirée des historiens Fernand Braudel et Toynbee, beaucoup de Spengler. Mais pour Braudel la religion n’est qu’un des traits de caractères d’une civilisation, elle n’est pas déterminante, il utilise la notion de civilisation permet de comprendre la complexité du monde.
Huntington divise le monde en huit aires d’importance inégale :
occidentale –Europe occidentale + Amérique du Nord-(bleu foncé) ,
slave-orthodoxe autour de la Russie, (bleu clair)
latino-américaine, (violet)
confucéenne - sino-vietnamo-coréenne- , (brun-rouge)
japonaise, (rouge)
islamique, (vert)
hindouiste (orange)
africaine. (marron)
Dans cette division du monde le fait religieux est déterminant. Il applique au monde entier un modèle théologico-politique qui porte en lui le radicalisme religieux (qu’il soit musulman, juif ou chrétien). Pour lui, le fondamentalisme l’a déjà emporté et tous les progrès issus des Lumières, ce qu’on appelait justement au XVIIIe siècle la civilisation, sont ruinés.
Mais sa théorie géopolitique se confronte souvent à la complexité de la réalité. Par exemple, c’est le cas de la Turquie, membre de l’Otan depuis 1952 et ainsi arrimée au bloc occidental, Huntington la retire de l’aire de la civilisation musulmane en s’appuyant sur son choix de la laïcité après la 1ère Guerre mondiale sous le régime de Mustafa Kemal Atatürk.…Il ne prend pas en compte la montée des partis intégristes en Turquie. Samuel Huntington a défini la Turquie comme "un Janus aux deux visages", dont on ne sait jamais s’il est ami ou adversaire de l'Occident.
Aussi ses thèses étaient souvent présentées comme simplistes et auraient signifié l'idée d'un Occident en opposition avec le reste du monde. Huntington répondit dans un entretien à la revue Islamica en 2007: "Je maintiens que les identités, les antagonismes et les affiliations culturels joueront non seulement un rôle, mais un rôle majeur dans les relations entre Etats."
Ainsi, au cœur de la pensée d’Huntington se trouve l’opposition entre deux entités aux contours nettement définis,« Islam » et « Occident » (ou « civilisation judéo-chrétienne »). C’est une pensée minimaliste qui réduit les musulmans à une culture figée et éternelle qui rejette avec haine une culture occidentale fondée sur le progrès et la remise en question. « Cette haine… devient un rejet de la civilisation occidentale comme telle, non pas seulement pour ce qu’elle fait mais pour ce qu’elle est et les principes et les valeurs qu’elle pratique et qu’elle professe.» Selon lui si les Musulmans haïssent l’Occident et les EU en particulier, ce n’est pas à cause de leur soutien à l’Etat d’Israël ou de leur occupation de l’Irak mais parce qu’ils rejettent les notions de liberté, de promotion des femmes et de démocratie. Comment comprendre le conflit du Kosovo selon cette thèse ? Par le refus des musulmans d’être gouvernés par des infidèles.
Le succès des thèses de Huntington tient au fait que pour se mettre à la portée du commun des mortels, il est plus facile d’expliquer le monde contemporain suivant des schémas simples, sinon simplistes, plutôt que de chercher à rendre compte de la complexité de toutes les interactions à l’œuvre dans les relations internationales en appliquant des méthodes historiques rigoureuses à la façon d’un Fernand Braudel, d’un Raymond Aron ou d’un Edgar Morin qui en "keynésien" libertaire, un des premiers penseurs d'une écologie radicale appliquée à tout l'écosystème de la société humaine, environnemental mais aussi social, économique et politique. Sa notion de "complexité systémique" et ses analyses sociétales formulées ses divers livres - de L'Homme et la mort (1951) à L'an I de l'ère écologique (avec Nicolas Hulot, 2007) en passant par La Méthode (6 volumes, 1977-2004), Terre-Patrie (1993), La Complexité humaine (1994) ou encore Le monde moderne et laquestion juive (2006) - aborde les problèmes fondamentaux de notre temps et s'efforce de concevoir la complexité anthropo-sociale en y incluant les dimensions biologiques et imaginaires. Edgar Morin appelle à se saisir de la complexité du réel et s'attache, notamment dans La Méthode, à proposer aussi bien une éthique qu'un nouveau "filtre d'intelligibilité"
En réalité l’histoire comme l’actualité sont le lieu d’innombrables paradoxes et contradictions (rivalités entre Etats musulmans, rivalités au sein des mêmes religions, conflits entre Etats occidentaux, relations complexes des EU avec certains de ses alliés : Arabie Saoudite, Pakistan…).
Il n’est pas si facile qu’il y paraît d’enfermer notre monde dans la « planète du "choc des civilisations" selon Huntington ».