Gaza à la croisée
des civilisations
Une preuve de plus que les "Palestiniens" ne sont en rien originaires de cette région
MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE, GENÈVE
Genève, janvier 2007. – S'étirant le long de la côte méditerranéenne, les 362 km2 de la Bande de Gaza défraient nos journaux télévisés avec une tragique régularité. Marqués par des carcasses de voitures calcinées, des rangées de maisons détruites, des cortèges funèbres encadrés par des banderoles vertes, jaunes ou noires, nos regards occidentaux n'imaginent guère quelle richesse archéologique fabuleuse repose là, masquée par ce quotidien dominé par la violence ordinaire.
Les multiples fouilles archéologiques menées depuis le XIXe siècle ont pourtant progressivement révélé l'ancienneté et la grandeur de ce passé. Ces quinze dernières années ont été, par l’ampleur même des fouilles entreprises conjointement par le Département des antiquités de l’Autorité palestinienne et l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, particulièrement fertiles pour les recherches. Les dizaines de milliers d’objets issus de ces fouilles, ainsi que ceux provenant de la collection privée de Jawdat Khoudary qui, depuis plus de vingt ans, préserve les vestiges parfois monumentaux apparus dans les chantiers de Gaza, illustrent la diversité et les constantes des civilisations qui se sont succédé – et métissées – sur ce territoire aujourd’hui exigu.
Lampes à huile byzantines (photo: S. Crettenand)
Grâce aux cinq cent trente objets sélectionnés pour la circonstance – une première mondiale – le Musée d’art et d’histoire invite le public à la découverte de la vie quotidienne, civile et religieuse dans la Bande de Gaza depuis 3500 av. J.-C. Gaza, une histoire multimillénaire
Dernier point d’eau pérenne avant le franchissement du désert du Sinaï, Gaza – située le long de la seule voie terrestre unissant l’Afrique à l’Asie – est connue de tout temps pour la richesse de ses vergers, la clémence de son climat et l’abondance de ses ressources en eau. Dès la plus haute Antiquité, la région constitue un enjeu majeur : l’attrait pour les matières premières de Palestine (cuivre et bitume, mais aussi huile d’olive et vin) conduit l’Égypte prédynastique à implanter, dès 3500 av. J.-C., la citadelle de Tell Sakan sur les rives du Wadi Ghazzeh, à quelque douze kilomètres de la cité actuelle.
Cette prédominance égyptienne sera battue en brèche à partir du IIe millénaire av. J.-C. par les populations syro-palestiniennes, connues sous le vocable de Hyksôs ; Gaza abrite alors le site exceptionnel de Tell al-’Ajjul, le premier à être fouillé méthodiquement à partir de 1931 par Sir Flinders Petrie. La cité ne tarde pourtant pas à basculer à nouveau sous la domination égyptienne et ce fait entre dans l’Histoire, puisque sa conquête par Thoutmosis III, survenue le 25 avril 1468 av. J.-C., est rapportée dans les archives égyptiennes. Son territoire est alors jalonné par d’autres forteresses égyptiennes, tel le site de Deir-el-Balah, rendu célèbre par la découverte d’une nécropole du XIVe-XIIIe siècle av. J.-C. comportant une cinquantaine de sarcophages anthropomorphes en terre cuite.
Dès 734 av. J.-C., l’Empire assyrien s’empare de la région et fait de Gaza sa frontière méridionale ; ladite frontière s’effacera devant l’expansion sans précédent de l’Empire perse, en 539 av. J.-C. L’essor commercial de Gaza est dès lors exponentiel : point de conjonction entre les routes caravanières acheminant l’encens et le poivre depuis l’Hadramaout (Yémen) et celle ouvrant la voie aux matières premières de Palestine, la cité et son territoire abritent dès lors plusieurs ports dont l’activité a été débordante.
Le monde hellénique, à la pointe des échanges maritimes, ne tarde pas à fonder une cité portuaire à quatre kilomètres de Gaza : les Grecs, probablement venus de Béotie, créent vers 520 av. J.-C. Anthedon de Palestine, que les fouilles conjointes de l’Autorité palestinienne et de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem ont mis au jour à partir de 1996. La vocation de Gaza sera dès lors pérennisée pendant plus d’un millénaire ; la cité devient de fait un carrefour des civilisations entre l’Arabie caravanière des Nabatéens, l’Égypte, le Levant, la Syrie et un monde grec dont l’influence artistique imprègne profondément ce territoire privilégié. Ni la conquête d’Alexandre le Grand en 332 av. J.-C., pourtant sanglante, ni celle, éradicatrice, d’Alexandre Jannée en 96 av. J.-C. ne briseront le destin de Gaza, qui renaîtra de ses cendres sous la protection de Pompée en 57 av. J.-C. Déjà fastueuse sous l’Empire romain, Gaza connaîtra pourtant son apogée sous l’Empire byzantin : dès le Ve siècle de notre ère, son vin est exporté jusqu’en Angleterre – et aussi à Genève –, alors que son École abrite des théologiens de premier plan tels Barsanuphe, Jean de Gaza ou encore Marc le Diacre, dont les écrits ont profondément marqué la littérature chrétienne en Orient comme en Occident.
L’avènement de l’islam en 637 apr. J.-C. ne vient pas briser l’aura de la Cité ; elle demeure un carrefour essentiel et abritera à partir du VIIIe siècle la plus célèbre École de droit islamique, fondée par Muhammad al-Shafi. Disputée par les Croisés et les armées musulmanes entre le XIe et le XIIIe siècle, elle se fondra progressivement dans l’Empire ottoman en demeurant une étape centrale pour la route du Pèlerinage.
De la poterie de 3500 av. J.-C. à la colonne byzantine
Le Musée d’art et d’histoire s’apprête à accueillir une exposition hors du commun, par son ampleur comme par la nature du mobilier présenté. Instances officielles et collectionneur privé se sont en effet unis pour proposer au public genevois un véritable florilège archéologique. Ainsi, le Département des antiquités de l’Autorité palestinienne a prêté deux cent vingt et un objets issus des nombreuses fouilles de sauvetage conjointes franco-palestiniennes menées depuis 1994. En parallèle, Jawdat Khoudary a mis à disposition trois cent neuf objets de sa collection archéologique privée. Elle est aujourd’hui officiellement inscrite à l’Inventaire des biens culturels de Palestine.
Des jarres vieilles de cinq mille cinq cents ans au raffinement des vases en albâtre égyptiens, du casque de hoplite aux mosaïques byzantines, de la ménade enjouée à la stèle ayyoubide, de la reconstitution minutieuse d’une somptueuse demeure hellénistique aux linteaux ornés ottomans, la diversité des civilisations accueillies au sein de la Bande de Gaza accompagnera, comme un fil conducteur à la fois familier et surprenant, le visiteur dans son parcours au sein des salles. Placée à l’orée du parcours, une amphore de Gaza, mise au jour en 1980 dans le sous-sol de la cathédrale Saint-Pierre de Genève par les fouilles du Service cantonal d’archéologie, témoigne de l’ancienneté du lien qui unissait Genève à Gaza puisqu’elle fut importée au Ve siècle de notre ère déjà.
L’exposition présentée est le témoignage concret d’un espoir fondé sur le rôle – peut-être déterminant – d’une initiative culturelle permettant une exploration de l’identité palestinienne aux facettes si diverses. Cet espoir a déjà pris une tournure concrète au Proche-Orient : le transport des objets de la collection de Jawdat Khoudary depuis Gaza a été mené à bien le mardi 28 novembre 2006.
De l’exposition vers un musée archéologique à Gaza
Le parfait état de conservation des ports antiques mis au jour à Gaza – Blakhiah –, allié au nombre et à la qualité des objets exhumés, suscitent le projet de créer à l’emplacement même des ports un vaste musée archéologique. Patronné par l’UNESCO, ce futur musée, destiné à préserver tant les structures antiques que les collections archéologiques, est envisagé avec l’appui technique et scientifique de la Ville de Genève, notamment en regard de l’indispensable concours d’architecture et de la formation du personnel palestinien. La scénographie muséale de l’exposition genevoise constituera dans ce sens une des variantes possibles pour la future présentation des collections.
CHRONOLOGIE DE GAZA
Grandes périodes
Événements
3500-2250 av. J.-C.
âge du Bronze Ancien
av. 3000 av. J.-C. installation de groupes venus d’Égypte
vers 3500 av. J.-C. site de Tell es-Sakan
vers 3000 av. J.-C. développement de l’urbanisation
2250-1600 av. J.-C.
âge du Bronze Moyen
2000 av. J.-C. débuts du Tell al-´Ajjul
1600-1200 av. J.-C.
âge du Bronze Récent
25 avril 1484 av. J.-C. prise de Gaza par Thoutmosis III et début
de la domination égyptienne ; apparition du
nom de Gaza dans l’histoire
1200-900 av. J.-C.
âges obscurs
1200 av. J.-C. établissement des Philistins sur la côte
900-550 av. J.-C.
époques néo-assyrienne et néo-babylonienne
734 av. J.-C. perception d’un tribut de Gaza par les Néo-Assyriens
605-601 av. J.-C., domination néo-babylonienne
550-330 av. J.-C.
domination perse
529 av. J.-C. résistance de Gaza face à l’Achéménide Cambyse
vers 520 av. J.-C. établissement de comptoirs grecs
380 av. J.-C. frappe de la première monnaie sur le modèle d’Athènes
332 av. J.-C. siège de Gaza par Alexandre le Grand
330-27 av. J.-C.
domination hellénistique
301 av. J.-C. début du règne des Ptolémées
198 av. J.-C. domination des Séleucides
96 av. J.-C. destruction et massacres par Alexandre Jannée
64 av. J.-C. début de l’ère de Gaza selon le calendrier de Pompée
27 av. J.-C.-330 apr. J.-C.
empire romain
30 av. J.-C. remise de Gaza à Hérode le Grand par Octave
70 apr. J.-C. destruction de Jérusalem par Titus
130 apr. J.-C. visite d’Hadrien
250 apr. J.-C. diffusion du christianisme
303 apr. J.-C. persécution de Dioclétien
330-637 apr. J.-C.
empire byzantin
402 apr. J.-C. destruction des temples païens
vers 540 apr. J.-C. Gaza comme point de départ des pèlerinages au Sinaï
615 apr. J.-C. raid du Sassanide Chosroes
637-750 apr. J.-C.
dynastie omeyyade
637 apr. J.-C. prise de Gaza par le musulman ‘Amr ibn al-‘As
750-909 apr. J.-C.
dynastie abbasside
750 apr. J.-C. fin des Omeyyades et avènement des Abbassides ; Gaza centre pour l’élaboration du droit islamique
909-1100 apr. J.-C.
dynastie fâtimide
909 apr. J.-C. influence des Fâtimides d’Égypte
943 apr. J.-C., déclin de Gaza, malgré la prospérité du port de Maioumas ; importation de l’oranger (originaire des Indes)
XIIème - XIIIème siècles
période des croisades
1149 fortification de la ville par Baudoin III et protection de celle-ci
par les Templiers
1170 premier raid de Saladin sur la ville basse
1191 reprise de Gaza par Richard Coeur de Lion
1260 Gaza comme point ultime de la conquête du Mongol Hûlâgû
XIIIe -XVe siècles
époque mamelouke
1277 domination des Mamelouks de Damas
1340 reconstruction de la Grande Mosquée
XVIe -XIXe siècles
empire ottoman
1660 rôle de capitale de la Palestine sous Husayn Pasha ;
contacts privilégiés avec l’Europe chrétienne
1799 prise de Gaza par Bonaparte puis domination des Turcs
1832 Gaza incorporée à l’Égypte par Mohammad Ali
XXe - XXIe siècles
époque contemporaine
1918 mandat britannique
1948 la Bande de Gaza confiée à l’Égypte
1956 raids israéliens pendant la crise de Suez
1967 occupation israélienne
1987 révolte de l’Intifada
1993 autonomie Nationale Palestinienne
2000 2e Intifada
2005 démantèlement des colonies israéliennes de Gaza
[Mercredi 10/02/2010 13:29]